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L’espace de travail : un espace à poser

Chapitre 5 - Présentation du corpus et des données recueillies

5.2. Analyse des Résultats du corpus principal (corpus 1 à 6)

5.2.2. Analyse de la notion d’espace en interprétation

5.2.2.1. L’espace de travail : un espace à poser

Par la particularité visuelle de la langue, il est évident que l’interprète en LS ne peut pas travailler en cabine à l’instar de ses collègues en langues vocales en situation dite de conférence. Les bénéficiaires de l’interprétation étant sourds, il apparait également logique que la place physique de l’interprétation doit être présentée face au public signant ou, le cas échéant, que la prestation soit retransmise sur des écrans pouvant être visibles par l’ensemble du public, comme ce fut le cas récemment lors de grands meetings politiques. Lors d’une situation de communication revendiquant l’accessibilité, les organisateurs ont souvent tendance à mettre en avant l’interprétation en LS. L’interprète prend alors une place entière dans le déroulement visuel de l’évènement et ne peut échapper à celui qui n’aurait pas besoin de ses services, comme il est possible de le faire en changeant de canal audio si l’on ne souhaite pas entendre une interprétation en espagnol par exemple.

La visibilité de l’interprète en langue vocale (ILV) par les auditeurs d’une conférence est surtout symbolisée par les installations techniques qui lui permettent d’exécuter sa tâche : les micros, les casques distribués au public et les cabines situées à l’opposé de la tribune. Pour observer les ILV en exercice, il faut faire l’effort de se retourner vers eux pour tenter de les apercevoir derrière une vitre, bien à l’abri des nuisances de la salle. L’ILV peut d’ailleurs

couper son micro à tout moment (autant pour tousser que pour feuilleter des pages de ses notes personnelles), il est en retrait des regards pour se concentrer et mettre en place une routine d’installation et d’appropriation des lieux qui pourrait avoir un effet rassurant (la bouteille d’eau à droite, le glossaire à gauche), la liste est non exhaustive. Le plus important étant que la cabine présente l’avantage de permettre à l’ILV d’être loin des regards pour donner à son confrère une aide ponctuelle ou pour regarder ses documents. Les normes techniques exigées pour l’interprétation de conférence garantissent à l’interprète des conditions optimales pour son travail d’interprétation123.

L’espace dédié à l’ILS est quelque peu différent (nous mettons de côté pour l’instant le cas de l’interprétation audiovisuelle et celui des grands meetings politiques dont nous avons parlé plus haut) puisqu’au quotidien, l’ILS n’a simplement pas d’espace de travail qui lui soit strictement dédié. C’est à lui de déterminer avec l’organisateur de la conférence124, en général quelques minutes avant le début de la manifestation, le meilleur endroit où il se placera (à comprendre malheureusement parfois où il gênera le moins). Pour cela il lui faut prendre en compte plusieurs paramètres, à savoir son éclairage et sa bonne visibilité par l’ensemble de la salle (il est arrivé plus d’une fois aux ILS de se retrouver dans la pénombre, l’ensemble de l’éclairage étant orienté sur les participants). L’ILS n’a donc pas de lieu fixe comme une cabine et il doit systématiquement négocier son espace de travail avant chaque prestation, c'est-à-dire s’approprier un morceau de l’espace commun dédié aux intervenants et l’organiser rapidement en une zone de travail. Cela peut parfois être perçu comme un « empiétement » sur l’espace consacré à la manifestation (une partie de la scène d’une conférence, d’une salle de classe ou d’un auditorium). Les ILS ont donc quelques minutes pour observer un lieu et pour y délimiter l’emplacement qui leur permettra de travailler, de procéder aux relais et de se concentrer tout en ayant à l’esprit qu’ils sont souvent très observés par l’ensemble de l’auditoire. Un point très important inhérent à ce placement est que l’ILS n’a pas de « retour son » où le discours de l’orateur lui parviendrait isolé de l’ensemble des bruits de la salle. Il travaille en prise directe acoustique et, de l’avis de nombreux ILS, cela s’avère très fatigant tant cela requiert une attention et une concentration soutenues.

De façon générale l’ILS travaillera dans toutes les situations (conférence ou liaison) indifféremment dans les deux sens, du français vers la langue des signes et inversement. En

123Voir le site de l’AIIC à ce sujet http://www.aiic.net

124Ou du professeur si c’est en amphithéâtre, etc.

termes de placement, tout changement de sens de la langue de travail se matérialisera par un changement de place dans la salle, c'est-à-dire par une modification temporaire de son espace de travail. Pour ce qui concerne les situations de conférence, l’ILS traduit face au public de l’oral vers la LS par souci de visibilité par l’ensemble de l’audience, comme nous l’avons expliqué en introduction. Lorsqu’un locuteur sourd voudra prendre la parole, il est d’usage que celui-ci se déplace et vienne se positionner face au public, en général non loin de l’espace de travail de l’ILS pour que son intervention soit également visible pour le public signant.

L’ILS devra donc se déplacer pour suivre le discours signé en vue de son interprétation à l’oral. Il interprétera vers l’oral dos au public pour être face au locuteur signant, puis se repositionnera face au public pour interpréter éventuellement les réponses vers la LS. Ces déplacements sont fréquents en conférence. Ils le sont moins en comité plus réduit où la disposition de l’audience est en cercle par exemple, ce qui résout la question de la visibilité des discours signés.

Ces déplacements sont autant de risques de perturbation de l’ILS qui doit rester concentré tout en s’assurant de la visibilité de sa prestation et de sa bonne perception des discours signés par les sourds. En plus de la gestion des Efforts relatifs à la simultanée, il doit donc intégrer une gestion efficace de ses espaces de travail tout en modifiant le sens de son interprétation. Le déplacement dans l’espace est ainsi très souvent accompagné d’un changement de langue. Il nous semble que dans cette configuration particulière, les risques de saturation sont très élevés.