• Aucun résultat trouvé

1.4 Les indices du discours direct

1.4.1 Les indices partagés par l’oral et par l’écrit

1.4.1.1 Les verbes introducteurs

L’étude des verbes introducteurs semble indissociable de toute étude sur le DR en général et sur le DD en particulier, puisqu’ils sont un « pivot entre le discours d’accueil et le discours rapporté, apte[s] à superposer emploi d’attribution du dire, mais aussi usages métalinguistiques et performatifs » (J.-M.-L. Muñoz, L. , S. Marnette, 2002, p. 7). Les verbes introducteurs participent en effet au marquage du passage du discours citant au discours cité. « Ils fournissent [également] des informations sur le temps, le mode et le sujet de l’énonciation » (D. Vincent et S. Dubois, 1997). Cependant, cet indice n’est pas systématique. Dans de nombreuses occurrences de DD relevées, il n’y a pas de verbe introducteur (nous reviendrons plus en détail sur ce point dans cette section).

Des typologies et classifications différentes ont été proposées selon qu’elles s’ap- puient sur des critères syntaxiques (verbes intransitifs/transitifs), sémantiques ou pragmatiques (en tant que les verbes accomplissent des actes de langage). L. Ro- sier (2008) notamment classe les verbes en quatre catégories : verba dicendi ou verbes de parole (dire, crier. . . ), verba sentiendi ou verbes de sentiment (pen- ser. . . ), verba scribendi ou verbes « faisant référence » à l’écrit (noter, écrire. . . ) et les verbes-gestes (désigner. . . ).

D. Vincent et S. Dubois (1997) choisissent quant à elle de distinguer d’une part le verbe dire, les verbes spécifiques43et l’absence de verbe. Nous retiendrons ce principe de classification pour nos données étant donné que, comme nous le verrons, le verbe dire est le plus fréquemment utilisé par le locuteur/scripteur pour introduire le DD. 54,6 % des occurrences relevées sont introduites par le verbe dire, représentant ainsi plus de la moitié des verbes introducteurs de l’ensemble de notre corpus.

Dans le tableau suivant, nous présentons la répartition de certains verbes44 dans les différents cadres communicatifs :

C. Blanche-Benveniste (2010) remarque que « dans les conversations, le stock lexical de verbes est souvent limité à dire, demander, répondre et à une variante faire, jugée vulgaire [. . . ] Faire est cependant la seule solution pour rapporter des onomatopées qu’on ne présenterait pas facilement avec dire » (p. 108). Nous nuancerons ces propos en soulignant que le stock lexical ne se limite pas à ces quelques verbes, ils sont certes dominants (notamment pour dire, moins pour répondre ou demander) dans le corpus mais les locuteurs/scripteurs utilisent de

43. Les auteures subdivisent cette « classe » en plusieurs catégories : les verbes locutoires

modalisés, les verbes illocutoires, les verbes de communication autres que dire et les verbes d’action.

44. Nous présentons dans le tableau les verbes les plus représentés dans la totalité de notre corpus. Nous indiquons en rouge les situations dans lesquelles le verbe dire est le plus présent.

Absence de verbe Autre Dire Faire Répondre Forums 46,2 % 9,5 % 27,1 % 0 % 7,5 % VDM 18,5 % 13 % 23,9 % 0 % 13 % IRC 51,8 % 12,5 % 21,2 % 0,9 % 4,6 % Entretiens A 13,8% 13,4% 64,8 % 7,9 % 0% Entretiens B 16,5% 5,2% 74,7% 3,4% 0% Ecologique 20,7% 4,8% 62,5% 10,8% 0,9%

Table 1.2 – Répartition des verbes introducteurs dans le corpus

nombreux autres verbes (ou locutions verbales) de manière plus sporadique45 pour introduire le DD :

Verbes de parole

Adresser

(la parole) Critiquer Hurler Proposer

Annoncer Déclarer Insulter Râler

Appeler (se) Demander Lâcher Réclamer

Balancer Discuter Lancer Rétorquer

Chuchoter Donner une raison

Marmonner Sortir (qqch) Commencer (s’) Ecrier Murmurer

Crier (s’) Exclamer

Autres

Arriver Être (là) Revenir avec... Terminer par

Ecrire Mettre Sonner Voir

Entendre Réagir Surprendre une

conversation

Envoyer/recevoir (un message/un mail/une réponse)

Table 1.3 – Les verbes introducteurs employés au sein du corpus (par ordre alphabétique)

C. Blanche-Benveniste (2010) note également que les verbes de citations sont des « verbes bien particuliers, qui ne connaissent que la forme affirmative ». Il serait « impossible » selon elle, « de nier ou interroger le verbe de citation sans en changer radicalement le fonctionnement ». Pourtant, de nombreuses occur- rences de DD contiennent des verbes introducteurs « niés ». Le locuteur souligne alors explicitement que les propos rapportés sont fictifs, qu’il ne s’agit pas de la reproduction de paroles mais d’une production46 :

45. L’emploi de mettre, par exemple, est assez anecdotique dans notre corpus et ne se trouve que dans notre corpus écrit puisqu’il est utilisé comme un synonyme d’ « écrire » : « Le mot clé que j’ai mis : "pour le poste de chef du gouvernement de la Confédération" » (IRC, joueur 15, conversation 18).

Chapitre 1 La notion de « discours rapporté »

(5) je lui ai pas dit vous puez / puis je dis elle date de quand la

dernière douche ?(GTRC, Repas2, 1665)

(2) Ça la plomberie l’électricité tu en verras jamais qui va dire ah je

vais devenir ingénieur je vais travailler à la Défense<pff>. (MPF,

Nacer3, 1371)

(11) je j’arrive pas à me dire c’est c’est moi qui l’ai fait quoi. (MPF, Em- manuelle3, 424)

Ces formes peuvent être rapprochées des occurrences dans lesquelles le verbe introducteur est au conditionnel ou au futur47 :

(12) <Ah franchement moi je lui dirai ça hein je> eh c’est bien fait pour ta gueule qu’est-ce que tu vas travailler avec eux ( ?) (MPF, Nacer3, 1256) (13) <Quand ils> auront vers dix onze ans elle va leur dire bon maintenant c’est la rue qui va vous éduquer hein. (MPF, Nacer3, 2931)

Il semble, comme l’a justement noté L. Rosier (2008, p. 58) que « la répartition des verbes et leur diversité ou leur spécialisation dépend[ent] également des genres de discours oraux ou écrits et des registres ». Cette répartition n’apparaît pas uniquement tributaire du medium graphique ou phonique puisque nous observons des disparités dans nos corpus (nous y reviendrons).

Il nous semble intéressant de nous interroger sur les formes il dit/elle dit, consi- dérées par D. Vincent et S. Dubois (1997), comme des « ponctuants », des « élé- ments désémantisés et répétitifs [qui] rythment l’énoncé et contribuent à dynami- ser son élaboration » lorsque ces formes ne remplissent pas une fonction verbale. Elles ajoutent que ces « [ponctuants] n’ont pas de rôle explicite dans l’organi- sation du discours ». Si nous partageons ce point de vue pour ce qui a trait au côté répétitif de ces formes et à la participation à la dynamique de l’énoncé, en revanche, nous émettons quelques réserves quant au caractère désémantisé de ces éléments dans certains cas de figure.

Nous prenons appui sur un exemple pour expliciter notre position. Les locu- teurs/scripteurs font le choix d’utiliser ou non des verbes introducteurs parfois même au sein de la même séquence textuelle :

(14)

Véronique : Mais quand il était à la maison je lui ai dit mais au fait tu

étais où au collège tu as toujours habité Caudebec ?

Il me dit non avant j’habitais au Puchot.

Ah ... et tu étais où au collège ?

(.) Au Mont-Vallot. (.) Ah (rire).

les inventer de toutes pièces (ce que l’on n’a pas dit, ce que l’on va dire, ou ce que l’on aurait dit). C’est en ce sens que nous parlons de « production ».

(.) Ok.

Et tu as eu qui comme prof ?

Il me dit oh euh alors il me parlait de madame XX là il m’énerve avec elle.

Après il bah il cherchait ton nom il dit ah madame Mo/Mo.

Oh je disais non dis pas ça dis pas ce nom je lui dis madame XXX ? Il me dit oui oui c’est ça tu la connais ?

[. . . ]

Il m’a dit oui et là je me suis dit eh merde. Julie : Tu lui as dit tout de suite ?

Véronique : Oui bah oui parce qu’il m’a dit bah tu la connais ?

<Tu l’as eue> aussi ?

<Ah bah> je l’ai tous les jours.

(rire)

C’est ma mère.

Ah c’est fort ça. (GTRC, Repas4, 255-283)

Dans cet extrait, la locutrice alterne les énoncés introduits par le verbe dire et les énoncés sans verbes introducteurs. Afin de poser le cadre de sa conversation rapportée, la locutrice utilise pour les premiers discours cités un verbe introduc- teur puis pour la suite du dialogue entretenu avec son ami (un locuteur absent), aucun verbe introducteur n’est employé.

Lorsque la succession du dialogue est interrompue pour donner des précisions par exemple, quand le locuteur cherchait le nom du professeur en question, la locu- trice réutilise des verbes introducteurs pour ne pas perdre son auditoire. Lorsque des voix sont alternées, les formes il dit/je dis (et leurs variantes au passé) jouent un rôle dans l’organisation du discours et servent à marquer le passage d’un locu- teur à l’autre. Il faut cependant préciser que l’exemple donné par D. Vincent et S. Dubois (1997, p. 102) ne concerne pas l’alternance des voix puisque les auteures explicitent un cas dans lequel le locuteur utilise « huit fois le verbe de parole du discours rapporté » au sein d’un discours cité qui met en scène un seul et même locuteur. Nous n’avons pas relevé d’exemples similaires dans notre corpus48 et c’est pour cette raison que nous ne retenons pas cette proposition de considérer ces formes comme des « ponctuants » puisqu’ils remplissent une fonction verbale. L’exemple (14) conduit à s’interroger sur l’absence de verbe introducteur que l’on peut corréler49 à certains paramètres. Le tableau (1.2) montre qu’elle repré- sente une part non négligeable dans notre corpus entre 13 et 51% des occurrences

48. Il faut cependant souligner que dans les données écologiques MPF et les repas du GTRC, la parole circule parfois très rapidement.

49. S’interroger sur l’absence de verbe introducteur n’est pas sans inconvénients puisqu’un traitement en ces termes nous ramène immanquablement vers l’idée de normalité et de standard (autrement dit, cela nous amène à dire qu’il devrait y avoir un verbe introducteur). L’opposition standard/non standard révèle un paradoxe, puisque l’un ne peut exister sans l’autre. K. Ploog (2002) souligne d’ailleurs que « Le non standard est constitué par la somme des traits non compatibles avec les principes d’une grammaire standard mais relevés dans le discours [. . . ] Le

Chapitre 1 La notion de « discours rapporté »

relevées en fonction des situations de communication. Nous laissons de côté cette question pour le moment, nous l’aborderons dans notre seconde partie.