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2.4 Des outils et une démarche adaptés aux contraintes médiales

3.1.1 Le projet MPF

3.1.1.2 Les données récoltées

La majorité des données anglaises ont été obtenues à partir d’entretiens réalisés dans un établissement scolaire auprès de lycéens londoniens, avec un enquêteur unique. Les conditions de recueil à Paris ont été bien différentes pour des raisons institutionnelles, il était en effet impossible d’obtenir les autorisations nécessaires pour s’implanter dans des établissements scolaires et procéder à des enregistre- ments, mais aussi pour des raisons théoriques103.

Le problème de la comparabilité avec les données anglaises a d’ailleurs été soulevé par F. Gadet et E. Guerin (2012) :

« Compte tenu de la variabilité des situations d’interviews, les don- nées anglaises et françaises présentent à première vue des limites dans la comparabilité. D’une part, côté britannique, c’est un même enquê- teur qui a pratiqué les interviews dans des écoles, alors que les entre- tiens parisiens sont menés par différents enquêteurs, dans différents lieux, de préférence informels ».

Cette question, même si elle mérite d’être soulevée, ne nous concerne pas direc- tement puisque notre corpus de travail ne relève que du volet français du projet. Pour l’équipe française, la méthodologie adoptée a consisté à choisir des locu- teurs sur la base de réseaux en amont des enregistrements, privilégiant ainsi une relation antérieure entre enquêteurs et enquêtés (amis, amis d’amis, connaissances de travail, associations104. . . ). Contrairement à ce qui a été fait à Londres, aucun enregistrement retenu par l’équipe du projet n’a été réalisé avec un/des inconnus. Ainsi, les enregistrements ont été recueillis par 24 enquêteurs différents.

« Une première conséquence est la diversité des lieux de recueil, qui mettent en jeu une vingtaine de communes de la région parisienne105, ainsi que quelques arrondissements populaires de Paris » (F. Gadet et R. Paternostro, 2013).

103. Il y a en effet peu de « [. . . ] rapport entre une interaction où deux protagonistes partagent un réseau et une autre faite avec un inconnu au hasard de rencontres dans un lieu public ou un organisme [. . . ]. Même si la catégorisation des acteurs peut être la même, il est probable que les produits langagiers diffèreront, sans parler des contenus » (F. Gadet, S. Wachs, 2015, p. 37).

104. L’un des enquêteurs a notamment privilégié une présence ethnographique de longue durée au sein d’une association. Il y a passé plusieurs mois avant de s’enregistrer avec les jeunes qu’il côtoyait régulièrement.

Chapitre 3 Présentation du corpus

Figure 3.1.1 – Carte des différents lieux de réalisation des enquêtes

Ces conditions, outre une diversité des lieux de recueil106, ont également donné lieu à différents types d’interaction qui ont été classés en trois catégories107. La première regroupe les entretiens dits « traditionnels », la seconde les entretiens dits « de proximité » et la dernière les données écologiques. La première distinc- tion qui sera faite concerne les entretiens et les données écologiques.

Les entretiens mettent en scène un enquêteur et un ou plusieurs enquêtés se si- tuant dans l’exercice d’une interview sollicitée. Au contraire, les enregistrements écologiques ont la particularité d’être réalisés hors de la présence d’un enquê- teur108 dans une situation de communication habituelle pour l’informateur, une situation non provoquée. Ce sont les données les plus difficiles à obtenir puisque leur recueil repose entièrement sur le bon vouloir des enquêtés qui, lorsqu’ils acceptent de s’enregistrer, ne comprennent pas toujours l’intérêt d’une telle dé- marche (en quoi l’ordinaire est-il intéressant ?) et/ou ont du mal à se défaire de la présence de l’enregistreur, élément « non naturel », « étranger » qui subsiste mal- gré l’absence de l’enquêteur. Bien que nous puissions nous demander dans quelle mesure l’enregistreur influence la situation, il reste cependant certain que ces en- registrements restent moins artificiels que l’entretien qui est largement construit et planifié par et pour l’enquêteur. Pour recueillir des données vraiment « au- thentiques », il faudrait enregistrer les informateurs à leur insu, ce qui d’un point de vue éthique, déontologique et juridique ne saurait être envisageable :

« L’idéal du spontané total serait d’enregistrer les locuteurs sans qu’ils s’en doutent (micros cachés, enregistrements pirates), en le leur

106. La carte présentée est extraite de la vitrine du projet MPF : http ://mpfvi- trine.modyco.fr/vitrine/

107. Ce classement a été effectué aussi bien par rapport aux types d’interaction que par rapport à ce qui était entendu à l’écoute des enregistrements.

108. Certains enregistrements écologiques ont été réalisés en présence de l’enquêteur lorsque celui-ci était partie prenante naturelle de l’interaction.

disant ensuite ou sans le leur dire, l’objectif étant de saisir leur lan- gage "en toute liberté", avec un minimum de contrôle. Les dispositions juridiques limitent cette possibilité » (O. Baude et al., 2006).

Si la première distinction entre les données écologiques et les entretiens est la plus évidente, qu’en est-il de la seconde entre les deux types d’entretien ? A priori, nous ne devrions avoir qu’une grande catégorie « entretiens » regroupant tous les enregistrements réalisés en situation d’interview puisque toutes les enquêtes ont été effectuées par le biais de réseaux. Cette distinction mérite donc que l’on s’y attarde et présente « un apparent paradoxe » mis en avant par F. Gadet (2015) :

« Quant à la distinction entre entretiens de type A [traditionnel] et B [de proximité], un apparent paradoxe mérite d’être souligné. Etant donné que les enquêtés ont été sélectionnés sur la base de réseaux, certes de natures diversifiées, on pourrait s’attendre à ce que tous les entretiens relèvent du type B. Or tel n’est pas le cas, ce qui montre que d’autres facteurs interviennent dans le jugement de qualité ».

La répartition des enregistrements dans les deux catégories d’entretien ne repose donc pas sur les critères externes de relation entre informateur et enquêteur109 (plus ou moins connu par exemple) ou encore sur le mode de recueil puisqu’il s’agit dans les deux cas d’une situation d’entretien. Elle repose sur un certain nombre de facteurs internes, en particulier la rapidité de la circulation de la parole, l’aisance des protagonistes, le nombre de chevauchements, la présence de rires. . . Facteurs qui ne semblent pas échapper à une certaine subjectivité et à une difficulté de formalisation :

« L’évaluation par la qualité interne a conduit à écarter environ 25% des enregistrements, pour des raisons allant de la qualité acous- tique au sentiment d’inauthentique, de forçage, de surjeu, ou d’excès de "distance", quand les protagonistes n’accrochent pas ou quand la parole ne circule pas bien. Les critères d’un tel jugement, qui fait l’objet de discussions dans l’équipe, ne sont facilement ni formulables ni généralisables. [. . . ] La qualité d’un enregistrement est donc tribu- taire de la complexité de facteurs intriqués, relevant de paramètres

109. Cette remarque s’applique également pour des enregistrements à la frontière de l’entretien et de l’écologique. La relation entre interactants ne peut être un critère unique à prendre en compte pour la classification des enregistrements. Nous avons une enquête en particulier, Marion1, qui a été classée en premier lieu comme un enregistrement écologique. Cet entretien met en scène 3 locuteurs principalement (dont l’enquêtrice) qui sont des amis d’enfance. Bien que nous soyons dans une relation de « proximité » maximale entre les locuteurs, le cadre formel de l’entretien (question-réponse), ne permet pas, à notre avis de classer cet enregistrement comme écologique parce qu’il reste un échange provoqué, réalisé pour les besoins de l’enquête qui n’aurait sans doute pas eu lieu (du moins pas sous cette forme) au cours de leurs interactions quotidiennes (nous y reviendrons dans le chapitre 8).

Chapitre 3 Présentation du corpus

divers, dont certains sont difficilement répertoriables, et en tout cas certainement pas quantifiables » (F. Gadet, 2015).

La répartition des enregistrements dans les différentes catégories est représentée par le graphique ci-dessous :

Figure 3.1.2 – Répartition des enquêtes MPF transcrites

Les données les moins nombreuses sont logiquement les enregistrements écolo- giques conformément aux difficultés mises en avant précédemment.

A l’heure actuelle, le corpus MPF est composé de 119 enquêtes pour un total de près de 68 heures et de plus de 855 000 mots transcrits et révisés. 76 enquêtes ont été transcrites, révisées et anonymisées et 43 enquêtes restent à transcrire ou à réviser.