• Aucun résultat trouvé

L’opposition oral/écrit reste cependant pertinente du point de vue du me- dium et des contraintes qui en découlent. En effet, écrire/lire, parler/entendre représentent des modalités de production et de réception différentes, ce sont des activités cognitives qui ne convoquent pas les mêmes sens, qui n’impliquent pas les mêmes contraintes :

« Il n’est pas trivial de rappeler d’emblée que le français parlé se parle, c’est-à-dire qu’il fait appel à la voix et à l’oreille, et que le français écrit s’écrit et implique donc l’usage de la main et des yeux. En termes un peu plus formels, on peut caractériser l’opposition de

présentés (p. 42-43) que le netspeak partage davantage de propriétés avec l’écrit qu’avec l’oral : « it is plain that Netspeak has far more properties linking it to writing than to speech » (p. 47). 77. Mais aussi au-delà du support (mail, forum, chat), la relation entre les interactants in- fluence les pratiques linguistiques des internautes. On n’écrit pas un mail destiné à son supérieur comme on écrit un mail à un ami.

la langue parlée et de la langue écrite avant tout au moyen du canal exploité » (L. Mélis, 2000, p. 56).

B. Schlieben-Lange (1998) résume ces contraintes à travers quatre aspects : les moyens employés (production/réception), le temps (linéarité, durée), le sujet (prise en charge/autonomie) et les entours (situation/contexte) :

Table 2.4 – Les différences entre oral/écrit selon B. Schlieben-Lange (1998, p. 264)

Nous émettons quelques réserves quant à cette « classification » qui laisse sous- entendre que la production et la réception78 d’un message relèvent du même ordre. Comment dès lors traiter la possibilité aujourd’hui de pouvoir dicter un message (production par la voix) pour qu’il soit envoyé par un téléphone et lu par le destinataire (réception par les yeux) ? Il serait ainsi intéressant de préciser qu’une production relevant de l’oralité n’implique pas toujours une réception relevant de l’oralité (même s’il s’agit de cas minoritaires) et qu’il en va de même pour la scripturalité (nous pensons notamment aux logiciels de synthèse vocale permettant de lire des textes qui sont dès lors perceptibles par l’oreille).

Il nous semble également important de nous attarder sur le caractère holistique de la scripturalité parce qu’il n’est pas sans soulever de problème. Notre inter- prétation du terme holistique en tant qu’ « un tout », « une globalité », tend à considérer les productions scripturales comme des produits finis, qui ne sont pas en construction (ce qui peut être vrai pour des lettres ou des romans par exemple79). M.-A.-K. Halliday (1994) envisage d’ailleurs le langage écrit comme un produit et le langage parlé comme un processus : « Written language represents phenomena as if they were products. Spoken language represents phenomena as if they were processes » (p. 65).

78. L’auteure précise que l’analyse pourrait être affinée « en parlant des formes intermédiaires, telles la lecture à haute voix ou le téléphone » (1998, p. 263). Cependant, dans les exemples donnés, il est toujours question de moyens de production et de réception parallèles (la voix > les yeux/les oreilles ou l’un des deux, la voix > les oreilles pour le téléphone).

79. Lorsque ces derniers parviennent aux lecteurs. L’écriture d’une lettre et davantage, celle d’un roman font l’objet de nombreux remaniements, d’ajustements et de ratures. . .

Chapitre 2 Hypothèses de recherche : le DD au-delà de l’opposition oral/écrit

Cependant, une discussion instantanée par exemple, ne peut pas être envisa- gée comme « un tout » au moment de sa production/réception par les inter- nautes puisqu’ils construisent leur échange comme dans le cadre d’une conversa- tion (orale). Il s’agit, dès lors, bel et bien d’un processus.

Nous pouvons également, de manière très succincte, faire une remarque concer- nant l’autonomie du texte. Une nouvelle fois, ce critère est inadéquat pour les conversations instantanées.

Pour terminer sur ce point, soulignons que si les différences entre oralité et scripturalité énoncées par B. Schlieben-Lange (1998) s’appliquent bien à de nom- breux types de productions (orales et écrites), en revanche, elles doivent être nuancées pour s’adapter aux possibilités offertes par les nouvelles technologies.

Pour illustrer l’opposition entre « code phonique » et « code graphique », reve- nons plus spécifiquement au discours rapporté. Nous prendrons appui sur certains indices du DR dont les modalités de représentation sont différentes d’un code à l’autre. Nous pouvons dire que certains indices sont inhérents au medium utilisé. Les uns se voient (ponctuation, guillemets), les autres s’entendent (intonation, pause) sans qu’il y ait de correspondance entre le graphique et le phonique. Il est important de souligner ici que le terme « inhérents » ne signifie pas systématique. Si l’emploi des guillemets, par exemple, est exclusivement lié au graphique80, ces derniers ne sont pas pour autant automatiques. Nous postulons que c’est la si- tuation de communication (proximité/distance > conception) qui permet de faire l’économie ou non de certains indices et qu’il ne s’agit pas d’une simple question de medium.

Vouloir comparer les indices relevant des deux ordres en affirmant qu’il existe- rait une équivalence nous semble délicat. E. Ngamountsika (2014), et il n’est pas le seul, affirme que l’ « on peut assimiler le fonctionnement de la pause aux guille- mets de la langue écrite » en tant qu’indices linguistiques d’introduction du DR. Si on se limite à dire que ce sont deux indices distincts (et nous insistons sur ce terme) du DR, nous abondons en ce sens. Mais parler d’assimilation sous-entend l’idée d’une certaine similarité, et nous émettons quelques réserves à ce sujet. Si vraiment il était nécessaire de trouver une correspondance entre le graphique et phonique, il existe un signe typographique utilisé notamment pour indiquer une pause : les trois points de suspension. Les guillemets ne sont pas uniquement uti- lisés pour marquer le DR (voir notamment J. Authier-Revuz, 1998), et les trois points de suspension ne pourraient se substituer aux guillemets pour faire men-

80. A noter tout de même qu’il n’est pas rare d’entendre un locuteur dire « entre guillemets » pour atténuer un mot ou une expression mais généralement pas dans le cadre d’un discours rapporté. Nous n’avons pas relevé cet emploi dans notre corpus. J. Authier-Revuz (1998) précise, à propos de cette « verbalisation du signe écrit », qu’elle n’est « aucunement réductible à une oralisation d’énoncé écrit » (p. 383).

tion d’un mot ou d’une expression, ou pour signaler un emploi métalinguistique (par exemple : « maison » est composé de deux syllabes). On ne peut donc pas dire que ces signes soient équivalents81 :

« There are differences between the two [mechanisms of punctuation and prosody, not only in how well each can perform a certain function, but also in whether one can do all things that the other is capable of doing. [. . . ] Neither is there a spoken equivalent quotation marks » (K. Jahandarie, 1999, p. 134).

De plus, dans cette logique d’équivalence, E. Ngamountsika devrait considérer que la pause est également assimilable aux deux points de l’écrit mais il n’en fait aucune mention. Si ponctuation et prosodie ne sont pas équivalents, nous pouvons nuancer ces propos en précisant que :

« Bien que l’écrit ne puisse pas rendre réellement compte des phé- nomènes vocaux tels que l’intonation ou les pauses, les points d’in- terrogation, d’exclamation ou de suspension tentent d’en donner une idée » (U. Tuomarla, 1999 p. 223).

Si sur le plan conceptionnel, nous mettrons toutes nos données orales et écrites sur un continuum (voir infra, chapitre 3) en laissant de côté les spécificités inhérentes au medium, pour nos analyses, nous traiterons nos données séparément82. Notre objectif n’est pas de faire une comparaison entre oral et écrit mais de montrer de quelle façon la situation de communication influence les productions relevant des deux ordres. Autrement dit, ce qui nous intéresse, c’est la façon dont se manifeste la variation d’un point de vue conceptionnel, et non médial, sur la construction du discours rapporté. Nous retiendrons dès lors, comme l’affirme E. Guerin (2006), que :

« l’oral et l’écrit s’opposent à la seule condition de ne pas impliquer dans l’interprétation de ces deux termes des considérations qui iraient au-delà de la simple idée de médias : ce qui a trait au phonique d’une

81. Nous ne disons pas qu’il n’existe absolument aucune équivalence entre la prosodie de l’oral et sa représentation à l’écrit à l’aide de la ponctuation. Notamment, il est reconnu que les points d’interrogation et d’exclamation rendent compte de l’intonation. Cependant, il n’existe que deux signes pour une multitude de nuances de l’intonation de l’oral, la correspondance est donc imparfaite. Nous perdons le continuum permis par l’intonation.

82. Notre démarche s’appuie sur les remarques que nous venons de faire. Au début de nos travaux, nous pensions traiter indifféremment nos données orales et écrites en ne prenant en compte que les paramètres avancés par P. Koch et W. Œsterreicher (2001). Mais plus nous avancions dans nos recherches, plus il nous est apparu erroné de ne pas tenir compte des mediums et de leurs contraintes. Notamment, nous avons été confrontée à la question de la comparabilité de nos résultats avec plusieurs indices différents et en nombre inégal. Il nous a semblé dès lors plus pertinent de rendre compte d’une diversité d’usages et d’emploi du discours direct dans les oraux et les écrits représentant différents degrés de proximité.

Chapitre 2 Hypothèses de recherche : le DD au-delà de l’opposition oral/écrit

part et au graphique de l’autre. Si cette distinction peut constituer un paramètre qui entre en jeu quant à l’élaboration d’un énoncé ce n’est que du fait des contraintes matérielles que l’usage du code graphique ou phonique impose » (p. 17).

2.4 Des outils et une démarche adaptés aux