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1.4 Les indices du discours direct

1.4.2 Les indices propres à l’oral et propres à l’écrit

1.4.2.1 La ponctuation

Les signes typographiques classiques marquant le discours rapporté à l’écrit sont les guillemets, les deux points et le tiret. J. Drillon (1991) souligne que « la plus importante [fonction du guillemet] est de signaler au lecteur qu’on passe en discours direct » (p. 294). Pour N. Catach (1980), ces « signes d’énonciation » ont une « fonction séparatrice » marquant une distanciation :

« Les guillemets, [. . . ], conservent leur valeur primitive de distan- ciation et de mise en valeur : un mot entre guillemets (ou souligné ou en italiques) est un mot qu’on attribue aux autres, que l’on ne prend

56. Un exemple (ou plutôt un contre exemple) : « je vois pas quelqu’un de vingt-cinq ans dire

ouais tu as le seum@s ou(.) tu me fais bader@s ou (..) plein de trucs comme ça quoi »

(MPF, Anaïs2, 2378). L’indication de la pause montre que la conjonction de coordination n’est pas à rattacher à l’énoncé qui suit. Ici, le locuteur cherchait un autre exemple d’expressions et ne trouvant pas, conclut ses propos par le biais de la particule d’extension en laissant son interlocuteur interpréter et compléter les exemples donnés.

pas à charge, un mot extérieur au discours, étranger [. . . ], bref un mot marqué ».

L. Rosier (1998) considère, pour sa part, les guillemets comme des « hyper-signes du discours rapporté » qui signalent « le jeu d’une illusion » :

« ils sont traditionnellement attachés au discours direct et condi- tionnent notre réception : lire des guillemets, c’est entrer dans le jeu d’une illusion, faire comme si on croyait à la transparence, à la mimé- tique du discours rapporté » (p. 360).

Les tirets signalent généralement des tours de parole au sein d’une conversation rapportée, « le tiret peut faire fonction de guillemet, et indique le changement d’interlocuteur dans le dialogue » (J. Drillon, 1991, p. 330). Les deux points, quant à eux, sont très souvent utilisés de façon combinatoire avec les guillemets pour signaler le discours cité, « pour introduire le discours direct classique » (L. Rosier, 1998, p. 360).

Si, dans les grammaires ou les dictionnaires, les exemples canoniques de discours rapporté (direct) sont présentés dans le respect de ces conventions, il n’en est pas de même dès lors que l’on s’éloigne des écrits dits « standard58 » ou « acadé- miques ». Ces conventions apparaissent alors moins respectées et plus aléatoires. Ainsi, nous avons pu constater, notamment dans les forums, que « l’entrée » dans le discours rapporté n’était pas simplement (ou uniquement) marquée par deux points et/ou des guillemets. Plusieurs posts montrent d’autres signes de ponc- tuation, ou d’autres usages typographiques, pour distinguer le discours citant du discours cité59. Ainsi, il n’est pas rare de relever l’emploi de parenthèses jouant le rôle des guillemets, ou encore l’emploi de la majuscule à l’initiale du discours cité comme en témoignent les exemples suivants60 :

(19) il suffit que le ton monte un peu et il lui sortira des phrases comme (tu débarassera sale chienne (Forum : Aufeminin, kohphiphii31)

(20) A une certaine apoque il lui disait sans cesse (c’est quand qu’on baise connasse, c’est quand que tu me suce) devant mon frère et moi. (Forum : Aufeminin, kohphiphii31)

(21) et la il me sort Ecoute stop (Forum : Aufeminin, gwengwen. . . )

58. Nous renvoyons à L. Rosier (1999) qui montre que les combinatoires des signes typogra- phiques du DD sont multiples dans la littérature et dans la presse. Elle parle dès lors de DD « multiforme » (p. 208 à 210).

59. Cette remarque s’applique également aux conversations IRC et aux anecdotes VDM. 60. Nous reviendrons plus en détails sur l’utilisation des signes typographiques dans la partie consacrée à l’analyse des données (chapitre 6). En tant qu’indices de marquage du DR, nous nous intéresserons à leur répartition en fonction des situations de communication. J. Drillon précise que « lorsqu[e le deux points] introduit une citation [. . . ], il est généralement suivi d’une majuscule ». Or, nous verrons que ce marquage avec une majuscule est loin d’être majoritaire dans nos données écrites et qu’il n’est pas présent dans toutes les situations, notamment celles qui s’éloignent d’un usage littéraire de la langue.

Chapitre 1 La notion de « discours rapporté »

J. Drillon (1991) a relevé ces parenthèses à valeur de guillemets dans la littérature : « La parenthèse peut faire référence, comme certains guillemets, à des traits de langage, au vocabulaire propres à un groupe, à une personne, à un milieu social. La citation entre parenthèses a un aspect plus sec que celle qu’on fait entre guillemets, et contient en elle-même un jugement, une ironie » (p. 262).

En l’occurrence, dans les exemples (19) et (20), les parenthèses sont employés pour faire référence aux propos tenus par le père de l’internaute.

1.4.2.2 La prosodie

A l’oral, la prosodie61 joue un rôle important dans l’interprétation du discours rapporté. S. Leandri (1993) qui s’est intéressée à la prosodie du discours rapporté, a montré que dans un contexte d’occurrences lues dans un laboratoire, les diffé- rentes formes de discours rapporté présentent des aspects prosodiques différents. Là où elle constate pour le discours indirect, une transition62 descendante, elle constate pour le discours direct une pause et une transition montante :

« In direct style, there is a correlation between an inter-sentence pause and the values of f0 heights before et after the pause ; two strategies can be observed : rise/fall vs continuous fall ».

M. Demers (1998) nuance ces résultats dans le contexte de l’oral spontané en précisant que :

« si la transition est le plus souvent descendante en discours indirect (65 % des cas), elle est aussi souvent plate (40 %) que montante (40 %) en discours direct. De plus, la présence de la pause à la transition du discours direct n’est qu’occasionnelle (18 %) » (p. 29).

La prosodie est souvent associée, dans le cadre du discours rapporté, au locu- teur citant et plus précisément à son attitude vis-à-vis des propos cités. M.-A. Morel (1996) indique notamment que les variations de « la hauteur mélodique du verbe introducteur » et « les propriétés intonatives du DRD63 » marquent

61. La prosodie n’étant aucunement considérée comme l’équivalent de la ponctuation à l’oral. Nous développerons cet aspect dans le chapitre suivant lorsque nous évoquerons l’opposition entre graphique et phonique.

62. La transition s’entend ici comme le passage du discours citant au discours cité, soit dans ce cas, le passage du verbe introducteur au début du discours direct à proprement parler. M. Demers (1998b) précise que « la mesure de la transition [. . . ] se fait entre la dernière syllabe du discours citant et la première syllabe du discours cité » (p. 55).

le « désengagement » ou au contraire « l’implication du locuteur dans le propos qu’il rapporte » (p. 132).

Nous ne développons pas, volontairement, la multiplicité des études qui ont été menées sur le lien entre prosodie et discours rapporté (la prosodie n’étant pas, comme nous le verrons, l’objet principal de notre travail). Cependant, nous citerons une dernière étude récente qui adopte en partie le point de vue de ce que nous souhaitons défendre ici. R. Paternostro (2014, 2016), a consacré une partie de son travail à l’analyse prosodique de 126 occurrences de DR, et a établi :

« une forte corrélation entre le degré d’implication des locuteurs et l’activation de procédés à la fois prosodiques et discursifs relevant [. . . ] d’une dynamique d’adaptation à l’appréhension réelle ou souhaitée de la proximité communicationnelle » (2014, p. 74)

Comme nous l’avons évoqué précédemment, le lien entre prosodie et implication du locuteur a déjà été soulignée (M.-A. Morel, 1996, voir plus haut) mais l’in- tégration d’une autre perspective centrée sur les locuteurs et les relations qu’ils entretiennent en termes de proximité/distance64 nous semble pertinente et inté- ressante. C’est ce vers quoi nous tendons avec l’analyse du DD dans sa dimension à la fois syntaxique et pragmatique.

Le deuxième indice prosodique en jeu dans les études du DR est la pause. Cette dernière correspond à « une interruption momentanée de la chaîne parlée » (E. Ngamountsika, 2013). La pause est également considérée comme un marqueur du passage du discours citant au discours cité qui « participe [. . . ] de l’identification du DR » ou encore qui accompagne la mise en scène du DR : « Son emploi massif, voire quasi-systématique entre discours citant et discours cité [. . . ] est [. . . ] consubstantiel à l’acte de mise en forme du DR » (A. Queffélec, 2006, p. 270)65.

Dans le cadre de ce travail, nous n’avons retenu et analysé que la pause comme indice prosodique pour plusieurs raisons que nous développerons dans le chapitre suivant.

64. Nous développerons ces notions dans le chapitre 2 de cette première partie.

65. Les remarques d’A. Queffélec portent sur le discours rapporté dans un contexte particu- lier. L’auteur décrit son corpus (un entretien de 60 minutes), comme appartenant au « genre monologue et à la sous-catégorie récit ». « L’emploi massif » de la pause, serait ainsi, à notre sens, davantage corrélé au genre de production plutôt qu’au lieu de production (Cameroun). Nous verrons, dans la partie consacrée à l’analyse de nos données, que les pauses ne sont pas majoritaires dans notre corpus oral (qui n’est pas constitué du même type de données) mais qu’elles ne sont pas exceptionnelles non plus.

Chapitre 2

Hypothèses de recherche : le DD

au-delà de l’opposition oral/écrit

Dans ce deuxième chapitre, nous nous intéresserons aux questions qui ont mo- tivé la constitution de notre corpus afin d’établir clairement le cadre dans lequel s’inscrit notre recherche. Nous détaillerons ainsi les hypothèses qui ont présidé nos différents choix.

Nous nous consacrerons à la mise en place et à l’ajustement de l’opposition oral/écrit. Notre objectif sera de corréler la variabilité de construction du discours direct à des facteurs situationnels plutôt qu’au medium employé. Il s’agira ainsi de creuser la question oral/écrit pour voir quels aspects de cette opposition sont véritablement en cause.

Nous nous appuierons notamment sur le modèle de P. Koch & W. Œsterrei- cher (2001) qui envisage le problème (oral/écrit) en termes de continuum (immé- diat/distance). Nous l’appliquerons, par la suite (chapitre suivant), à notre propre corpus afin de montrer que nos données écrites et orales se trouvent de part et d’autre du continnum, et non de façon exclusive d’un côté ou de l’autre. Nous proposerons une classification affinée de nos données en fonction des paramètres énoncés par P. Koch & W. Œsterreicher. Nous nous intéresserons inévitablement ensuite au statut particulier des communications médiées par ordinateur qui sont souvent envisagées comme « hybrides », conception qui ne nous paraît pas perti- nente.

Il s’agira, en somme, de dépasser les préjugés66 et de repenser l’opposition oral/écrit en termes de contraintes phoniques et graphiques. Ce qui est en jeu

66. Préjugés tels que « l’écrit est plus soutenu que l’oral », « l’oral est familier ». Comme le soulignent F. & D. Luzzati (1986) « cette confusion entre oral et familier tient souvent au fait que l’on se réfère non à l’oral mais à un de ses sous-ensembles : le français parlé. C’est l’oral tel qu’il est couramment pratiqué, c’est-à-dire dans son usage le plus commun » (p. 6). Pour C. Blanche-Benveniste & C. Jeanjean (1987) « l’opposition entre "français parlé" et "français écrit" est la plupart du temps équivoque ; cela revient à limiter le français parlé à un domaine très étroit, celui du français "familier", voire "vulgaire", et à le comparer à un français écrit "correct" » (p. 21).

ici est une assimilation courante entre écrit et littérature, entre écrit et français standard alors qu’il existe bien des situations de communication, que ce soit à l’oral ou l’écrit, qui n’impliquent pas les mêmes contraintes, c’est ce que nous allons essayer de démontrer dans ce chapitre.

Nous présenterons également les « outils » que nous avons mis en place pour traiter nos données en tenant compte de ces contraintes phonique/graphique. La grille d’analyse, que nous proposons, permet de traiter tous les indices du DD évoqués dans le chapitre précédent afin de rendre compte de leur répartition dans les différentes situations de communication. Comportant un volet « oral » et un volet « écrit », notre grille intègre les particularités induites par le caractère graphique ou phonique des énoncés.

2.1 L’opposition oral/écrit