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1.4 Les indices du discours direct

2.1.2 Les concepts d’immédiat/distance

Pour pallier cette lacune, les auteurs, à la suite de L. Söll, « font une distinction stricte entre les aspects médiaux [(phonique/graphique)] et les aspects conception- nels [(proximité/distance)] de l’oralité et de la scripturalité » (B. Schlieben-Lange, 1998, p. 265) : « la différence entre les codes phonique et graphique représente une dichotomie au sens strict tandis que langage parlé et langage écrit correspondent aux deux extrêmes d’un continuum communicatif » (P. Koch et W. Œsterreicher, 2001, p. 585).

Ces deux extrêmes correspondent à l’immédiat et à la distance, comme le re- présente le schéma ci-dessous72 :

72. Nous avons simplifié le schéma proposé par les auteurs qui y avaient intégré des exemples de situation de communication situés tout au long du continuum immédiat/distance et de part et d’autre du medium graphique/phonique. Nous ne citerons que deux exemples aux extré- mités du continuum : phonique/distant = « lecture à haute voix d’un texte de loi » - gra- phique/immédiat = « transcription d’une conversation spontanée entre amis ».

Chapitre 2 Hypothèses de recherche : le DD au-delà de l’opposition oral/écrit

Figure 2.1.1 – Immédiat communicatif/distance communicative et code pho- nique/code graphique par P. Koch et W. Œsterreicher

Ce modèle de représentation permet de ne pas mettre sur le même plan toutes les productions relevant de l’écrit d’un côté, et celles relevant de l’oral de l’autre. Le schéma montre en particulier que les productions phoniques se situent préfé- rentiellement sur le pôle de l’immédiat mais qu’elles peuvent également se situer sur le pôle de la distance. A l’inverse, il y a davantage de productions graphiques sur le pôle de la distance sans que les productions phoniques y soient exclues. Ainsi, une conversation instantanée (de type chat par exemple) est une réalisa- tion graphique mais sa conception correspond au langage parlé. A l’inverse, un discours politique est une réalisation phonique mais dont la conception corres- pond au langage écrit. Cette distinction entre le chat et le discours politique fait écho à une distinction proposée par E. Ochs (1979b) entre discours non préparé (unplanned discourse) et discours préparé (planned discourse). Le premier étant défini comme étant : « [a] discourse that lacks forethought and organizational preparation » et le second comme étant : [a] discourse that has been thought out and organized (prior) to its expression » (p. 55). Le chat est ainsi un discours imprévu, spontané alors que le discours politique est un discours prévu, préparé. P. Koch & W. Œsterreicher (2001) développent différents paramètres pour « caractériser le comportement communicatif des interlocuteurs par rapport aux déterminants situationnels et contextuels » :

Table 2.2 – Paramètres de P. Koch et W. Œsterreicher pour « caractériser le comportement communicatif des interlocuteurs »

Nous n’ignorons pas que le medium a une influence sur le discours mais ce uniquement parce qu’il a des effets sur certains paramètres. Nous faisons ainsi l’hypothèse que le medium n’est pas le critère principal pouvant expliquer la variation de forme des énoncés et qu’il devrait davantage être envisagé comme un critère secondaire : « la situation détermine la forme du texte, le médium étant une des caractéristiques de la situation et non l’inverse » (E. Guerin & A. Moreno, 2014).

A l’écrit (sauf exceptions éventuelles), l’interactivité est nécessairement réduite et la restitution du discours ne peut s’appuyer, comme c’est le cas à l’oral, sur des éléments paraverbaux comme l’intonation ou les gestes par exemple.

« Ecrire implique une élaboration contrainte par la distance phy- sique et/ou symbolique qui sépare les acteurs de la communication. Cette distance est certes fonction du médium, mais aussi et surtout des constituants de la situation de communication. La distance physique, ou absence de partage du cadre spatiotemporel, est liée au mode de transmission de la production écrite : certains écrits électroniques par exemple tiennent compte du partage du cadre temporel [. . . ] Quant à la distance symbolique, elle est relativisée par la perception que l’on a du lecteur et le partage de savoirs et d’expériences » (F. Gadet & E. Guerin, 2008).

M.-J. Béguelin (1998) qui retrace le débat concernant le rapport oral/écrit en analysant certains phénomènes linguistiques73, pointe les tensions « contradic- toires » entre deux positionnements adoptés par les linguistes sur la question : la « différenciation » ou « l’homogénéisation ». Elle montre que si l’oral et l’écrit sont « distincts du point de vue des canaux et du point de vue énonciatif, [ils]

73. Notamment l’emploi de celui-ci, celui-là ou encore les phénomènes d’enchâssement ou de détachement.

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articulent différemment le discours, mobilisent des opérations cognitives en par- tie spécifiques, et tendent l’un comme l’autre à sélectionner des formes linguis- tiques particulières », ils « ne relèvent pas de deux descriptions grammaticales distinctes ». Elle conclut ainsi :

« En d’autres termes, l’écrit et l’oral, en tant qu’activités langa- gières, sont bel et bien soumis à des contraintes d’encodage et de décodage pragmatiquement différentes, ce qui comporte des consé- quences linguistiques ; mais cela n’implique pas que les produits finis des deux activités puissent être caractérisés par des traits de surface qui seraient exclusifs à l’un ou à l’autre mode de production » (p. 250).

2.2 Le caractère « hybride » des communications

médiées par ordinateur (CMO)

La particularité des forums (et de notre corpus écrit en général) réside dans le fait qu’il relève de la communication médiée par ordinateur (désormais CMO74). « Computer-mediated communication (CMC) is communication that takes place between human beings via the instrumentality of computers » (C.-S. Herring, 1996). Ce mode de communication et son émergence a fait l’objet de nombreuses études. Tantôt décrit comme de l’écrit oralisé, de l’oral écrit ou comme de l’« ora- lité simulée » ou du « parlécrit » pour reprendre les termes de J. Anis (1998, 1999), la CMO soulève la question de l’influence respective de l’oral sur l’écrit. Il est souvent attribué à ce type de communication le caractère d’« hybride75 » :

« La CEMO est une forme de communication hybride car elle relève à la fois de la communication écrite et de la conversation. Le code utilisé est l’écrit, mais les échanges de messages entrent dans une dynamique conversationnelle, essentiellement à cause de la rapidité de la rédaction et de la transmission des messages » (M. Marcoccia, 2000).

Concernant la relation oral/écrit, la notion de genre est ici aussi centrale. Comme le souligne S. Onillon (2008), « sont apparus de nouveaux genres en lien direct avec les nouvelles technologies de l’information, genres qui se trouvent être à la frontière entre l’oral et l’écrit ; il s’agit de la communication électronique ». Bien

74. Terme traduit de l’anglais « Computer mediated communication » (CMC).

75. En revanche, pour D. Crystal (2004), qui a consacré un livre aux caractéristiques linguis- tiques des échanges sur Internet, le Netspeak « is identical to neither speech nor writing, but selectively and adaptively displays properties of both. [...] It is more than just a hybrid of speech and writing, or the contact between two long-standing mediums. Electronic texts, of whatever kind, are simply not the same as other kinds of texts » (p. 47-48).

qu’elles passent par un canal écrit, les CMO auraient des spécificités de l’oral. C’est du moins l’idée défendue par de nombreux chercheurs dans le domaine des CMO. Or, il nous semble que de telles affirmations entretiennent la confusion entre medium et conception/représentation. Parler de « frontière entre l’oral et l’écrit » n’a pas de sens en termes de medium, si c’est de l’écrit (graphique), ce n’est pas de l’oral (phonique) et inversement. Le tableau de P. Koch et W. Œsterreicher (2001, p. 585) montre bien cette distinction entre le graphique et le phonique en tant que réalisation médiale :

Table 2.3 – Parlé/écrit - graphique/phonique selon P. Koch & W. Œsterreicher (2001)

« Il y a [donc] bien une opposition entre oral et écrit mais celle- ci est bien moins simple qu’il n’y paraît. Elle renvoie à deux points de vue distincts, celui du medium (certaines productions s’entendent et d’autres se lisent) ou celui des représentations (certaines produc- tions sont proches du "bon usage" et d’autres s’en éloignent) » (E. Guerin & A. Moreno, 2014).

Comme nous l’avons évoqué, les termes « écrit » et « oral » s’entendent fré- quemment comme relevant du standard et du non standard : « "écrit" évoque toute production (orale ou écrite) conforme aux textes pris pour caution dans l’établissement de la norme, du "bon usage" [. . . ]. Inversement, "oral" renvoie aux productions (orales ou écrites) qui s’en écartent ». (E. Guerin & A. Moreno, 2014). C’est cette « assimilation inconsciente de la langue à sa variante écrite » (C. Kerbrat-Orecchioni, 1998) qui amène certains chercheurs à parler d’hybri- dation et surtout à ne pas faire de distinction entre medium et conception. De fait, les écrits médiés par ordinateur (du moins ceux relevant d’une situation de proximité communicationnelle) dans les forums ou les discussions instantanées n’ont que très peu de ressemblance avec des écrits littéraires. Certes, mais aussi éloignées que soient ces deux productions, il s’agit dans les deux cas d’écrit76 au

76. D. Crystal (2004) s’est intéressé de près aux caractéristiques de l’écrit et de l’oral et aux propriétés que ces mediums ont en commun avec le Netspeak. Il ressort des deux tableaux

Chapitre 2 Hypothèses de recherche : le DD au-delà de l’opposition oral/écrit

sens de production graphique. Plutôt que d’employer le terme inapproprié d’« hy- bridité », il serait plus pertinent d’employer les termes « oral » et « écrit » au pluriel pour souligner la multiplicité des situations relevant des deux ordres et atténuer la confusion. Pour pallier le problème d’« hybridité », F. Liénard (2014) propose la notion d’écrilecte :

« La notion d’écrilecte a l’avantage de neutraliser les oppositions de type oral/écrit ou parlé/écrit [. . . ] qui posent souvent problème quand il s’agit de qualifier les écrits électroniques. [. . . ] l’écrilecte neutralise toute opposition de type forme soutenue vs relâchée, forme standard vs forme non-standard, forme orale vs forme écrite. L’écrilecte serait donc une forme spécifique à un type particulier de communication : les écrits électroniques » (p. 153).

Même si cette proposition d’écrilecte, comme forme particulière d’écrit, présente des avantages, il nous semble qu’elle tend à uniformiser des pratiques qui ne le sont pas. En effet, au singulier, le terme d’écrilecte amène à considérer que des procédés dits spécifiques aux écrits électroniques (par exemple : abréviations, émoticônes, troncation. . . ) sont présents dans tous les types de communication possibles sur Internet. Or, rédiger un mail n’équivaut pas à rédiger un post de forum ou à discuter sur un chat. Ces différents supports77entraînent des pratiques linguistiques différentes.

2.3 Deux systèmes distincts : l’opposition