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2.4 Des outils et une démarche adaptés aux contraintes médiales

3.1.2 Le projet GTRC « Le français à la mesure d’un continent »

3.1.2.1 Les objectifs du projet

Le projet GTRC « Le français à la mesure d’un continent : un patrimoine en partage » est un Grand Travail de Recherche Concertée du Conseil de Recherches en Sciences Humaines (CRSH) du Canada. Il est dirigé par France Martineau (Université d’Ottawa) en collaboration avec 40 universités, 13 co-chercheurs et 88 partenaires. Ce projet de grande envergure qui a débuté en 2011, et qui s’est fixé pour objectif de réunir un corpus « panfrancophone » (principalement en Amérique du Nord mais aussi à Paris et en Normandie120), entend étudier les changements linguistiques qui se sont opérés au cours des siècles et qui se mani- festent aujourd’hui à travers des divergences et des ressemblances.

Le recueil de ce corpus devrait plus largement permettre d’évaluer l’impact des contacts, à la fois linguistiques et culturels, dans des communautés sans cesse en situation de plurilinguisme et de multiculturalité, et de comprendre les conditions de maintien du français dans ces situations.

Les données récoltées dans le cadre de ce projet sont de natures diversifiées. Le corpus est constitué de corpus oraux modernes (contemporains) recueillis sur plusieurs terrains : Paris, Moncton, Montréal, Welland, Windsor/Détroit, Bel- levue, Saint-Boniface, Lafourche et la Nouvelle-Orléans121. Ces terrains ont été privilégiés en raison de leur exposition au contact linguistique avec au moins un groupe francophone mais aussi un autre groupe (anglophone par exemple).

Visant à « mieux faire comprendre l’évolution des communautés, des réseaux et des effets sur la langue, ainsi que des représentations linguistiques » (F. Gadet, F. Martineau, à paraître), le corpus FRAN122, établi pour répondre aux objectifs du projet GTRC, est composé de trois sous-ensembles de corpus : des corpus

120. Ces derniers avec un statut de témoignage.

121. Pour plus de détails sur le projet GTRC et sur les différents terrains d’enquêtes que nous n’avons pas cités dans leur intégralité, voir les articles de F. Gadet et F. Martineau (2012, à paraître) ainsi que F. Martineau et M.-C. Séguin (à paraître).

122. Le corpus FRAN ainsi que les autres corpus constitués sont disponibles en ligne à l’adresse suivante : http ://continent.uottawa.ca/

historiques, des corpus patrimoniaux et des corpus contemporains. Le corpus FRAN constitue ainsi :

« un outil précieux pour l’ensemble de la francophonie, par le fait qu’il permet d’envisager des enjeux partagés dans de nombreuses si- tuations, comme le contact de langues, la palette variationnelle des locuteurs, et la mobilité sociale et géographique » (F. Gadet, F. Mar- tineau, à paraître).

3.1.2.2 Notre contribution

Dans le cadre du projet GTRC, il nous a été demandé de ne procéder qu’à des enregistrements écologiques en Normandie et à Paris lors de situations de communication quotidiennes comme des repas de famille ou des repas réunissant des amis. Pour réaliser la moitié des enquêtes, la méthodologie employée s’est approchée de l’observation participante puisque nous étions présente lors des en- registrements.

Nous n’avons pas eu à nous intégrer à une communauté spécifique pour réaliser nos enquêtes, nous avons simplement fait appel à notre famille et à nos amis pour obtenir des situations de communication les plus « naturelles » possibles. Situations dans lesquelles notre présence était habituelle et n’était pas perçue comme une bizarrerie.

Voulant limiter autant que possible l’influence de l’enregistreur mais aussi le « paradoxe de l’observateur123 », nous avons procédé en deux temps. En premier lieu, nous avons demandé l’accord des informateurs pour les enregistrer. Ensuite, nous leur avons précisé que cet enregistrement pourrait avoir lieu n’importe quand et qu’ils ne seraient prévenus qu’en aval de sa réalisation. Nous avons donc laissé passer quelques jours afin que les informateurs ne restent pas focalisés sur l’en- registrement. Généralement, dans les jours qui suivaient l’accord, lorsque nous rencontrions les enquêtés, ces derniers évoquaient l’enregistrement et l’éventuelle présence d’un enregistreur. Par la suite, les informateurs n’y pensaient plus vrai- ment et nous avons pu procéder à des enregistrements en cachant discrètement l’enregistreur sur la table.

Ce procédé, bien qu’il puisse être critiquable d’un point de vue éthique124 a permis d’obtenir des données « authentiques » et « naturelles ». Nos enquêtes

123. Paradoxe développé par W. Labov (1976) : « le but de la recherche linguistique [. . . ] est de découvrir comment les gens parlent quand on ne les observe pas systématiquement ; mais la seule façon d’y parvenir est de les observer systématiquement ».

124. Nous n’ignorons pas que notre façon de faire puisse apparaître critiquable dans le sens où même si nous avions prévenu les informateurs, nous les avons, d’une certaine manière également, enregistrés à leur insu. Cependant, cette méthode nous a paru la plus appropriée pour dépasser les contraintes d’un enregistrement programmé qui aurait pu influencer la façon de parler des locuteurs.

Chapitre 3 Présentation du corpus

auraient sans doute été différentes si les informateurs avaient eu conscience de la présence de l’enregistreur125. Nous n’avons pas pu procéder à tous les enregistre- ments nous-même, le but était aussi d’élargir le réseau d’enquêtés pour ne pas se restreindre à nos amis ou à notre cercle familial. Nous avons donc confié notre enregistreur à un membre de notre famille qui a réalisé trois enregistrements. Notre informatrice a procédé différemment puisqu’elle avertissait les locuteurs de la réalisation imminente de l’enregistrement. Même si dans l’ensemble, ces en- registrements sont réussis et apparaissent plutôt « naturels », les locuteurs font plusieurs fois référence à l’enregistrement en cours ou à l’enregistreur comme en témoignent les deux extraits suivants :

(29) Arnaud : Et ça fait longtemps trente trente-trois <minutes qu’on (...)> Jean : <Ça fait trente>-trois minutes trois quatre <cinq six sept> <huit> neuf dix. (GTRC, Repas 3, 802-803)

(30) Jean : N’y touche pas Julie <ça enregistre pour> l’instant donc (...) Julie : <Ça ne non>. Non le problème c’est que j’ai eu un tout petit peur qu’il y ait de la sauce dessus. (GTRC, Repas 3, 1090-1092) Toute démarche a ses limites dès lors qu’il s’agit d’enregistrer des personnes, aussi bien lors d’un entretien que lors d’un enregistrement écologique. Les limites et les difficultés ne sont pas les mêmes lorsque l’on veut s’approcher des pratiques réelles des locuteurs. Néanmoins dans les deux cas évoqués précédemment, les enregistrements obtenus sont de bonne qualité126 à la fois phonique et ethnogra- phique.

125. Nous en avons d’ailleurs fait l’expérience en essayant différentes approches. Il s’est avéré que prévenir les informateurs de la tenue d’un enregistrement à un moment précis, n’était pas judicieux. Certains d’entre eux étaient peu naturels. Gênés ou amusés par l’exercice, ils ne se comportaient pas comme habituellement (dans l’excès de timidité ou au contraire dans l’excès de volubilité).

126. Par « qualité », nous entendons un enregistrement jugé « naturel, non surfait ». Pour les enregistrements réalisés dans le cadre du projet GTRC, nous connaissons les participants personnellement et nous sommes à même de pouvoir dire que les échanges correspondent à des interactions quotidiennes qui auraient lieu en dehors de cette situation de recueil.

3.1.2.3 Les entretiens réalisés

Table 3.6 – Enquêtes réalisées dans le cadre du projet GTRC

L’intégralité des enregistrements n’a pas été transcrite. Afin d’avoir une bonne vision de l’ensemble des données et afin de commencer à travailler rapidement, nous avons pris le parti de ne transcrire qu’une heure de chacun, de préférence située au milieu de l’enregistrement. Nous avons intégré à notre corpus de travail, les repas 2, 3 et 4.

3.1.2.4 Les conventions de transcription adoptées

Les conventions de transcription adoptées par le projet GTRC sont différentes et beaucoup plus nombreuses que pour le projet MPF. Le principe reste tout de même identique, il s’agit de transcrire fidèlement ce qui est prononcé par le(s) locuteur(s), « [la transcription] doit être absolument fidèle à l’original. Il est donc important de noter tout ce qui est dit, ainsi que tout ce qui arrive qui pourrait influencer la transcription (visiteurs qui entrent, bruits de l’extérieur, etc.) » (F. Martineau, 2012, p. 3). Le protocole de transcription compte trente-six pages et il n’est pas important ici de détailler avec précision son contenu. En revanche, nous pouvons mettre en avant un point qui nous concerne directement. En effet, contrairement au projet MPF, le choix de marquer le discours rapporté a été adopté :

« On indique le discours rapporté par des apostrophes doubles (guillemets anglais) au début et à la fin du discours rapporté. Si le

Chapitre 3 Présentation du corpus

locuteur insère des il dit au milieu du discours rapporté, il faut fermer les guillemets avant l’insertion et les rouvrir par la suite. On met la première lettre du discours rapporté en majuscule » (F. Martineau, 2012, p. 8).

Sachant qu’il peut être difficile de savoir où commencent et où s’arrêtent les frontières du discours rapporté, il s’agit d’une indication faite par le transcripteur. Après relecture, il est toujours possible d’apporter des modifications ou de faire des ajouts en cas d’interprétation divergente. Ces conventions sont strictement appliquées pour les données canadiennes. En accord avec Françoise Gadet, la responsable du volet français du projet GTRC, et France Martineau, nous avons décidé de ne pas annoter le discours rapporté en phase de transcription mais de réserver cette étape pour l’analyse au vu des difficultés évoquées (voir supra 3.1.1.5) et de la marge d’interprétation que suscite ce phénomène.

3.1.2.5 Comparabilité du corpus

Notre corpus oral est constitué de 24127 enquêtes, 8 relevant de chaque type de situation de communication :

Table 3.7 – Récapitulatif des enquêtes constituant le corpus oral

Nous constatons qu’un même nombre d’enquêtes ne rend pas homogène notre corpus notamment pour ce qui concerne le nombre de mots128 et la durée pour chaque type de situation. Cette disparité peut s’expliquer. Nous avons évoqué précédemment que l’interactivité lors des entretiens de proximité est plus forte

127. Si nos analyses futures reposent sur le corpus que nous avons constitué, nous n’excluons pas de faire référence à d’autres enquêtes qui n’en font pas partie, notamment pour étayer nos propos ou élargir une discussion sur un point particulier. Dans le cadre du projet MPF, nous avons travaillé sur de nombreuses enquêtes dont certaines sont vraiment intéressantes du point de vue du discours rapporté. Intégrer de nouvelles données dans notre corpus n’était pas envisageable mais nous utiliserons les faits relevés et les remarques qui en découlent tout au long de notre travail.

128. Ces chiffres ne sont pas à prendre au pied de la lettre. Nous nous sommes contentée de diviser le nombre de mots par le nombre de minutes de chaque situation. Il s’agit de moyennes qui ne tiennent pas compte des chevauchements de parole. Ces mots ont donc pu être prononcés simultanément par plusieurs locuteurs. Nous voulons simplement illustrer que le débit de parole (qu’il soit le fait d’un ou plusieurs locuteurs) est différent dans les deux types d’entretien.

ou encore que le débit de parole est plus rapide que dans les entretiens tradition- nels. Ces deux « critères » influencent nécessairement la durée et le contenu de l’entretien. Si les blancs peuvent être fréquents dans les entretiens traditionnels (diminuant ainsi le nombre de mots), la circulation de la parole est généralement plus fluide dans les entretiens de proximité. C’est d’ailleurs l’un des critères qui a conduit l’équipe du projet MPF à les catégoriser ainsi.

Suivant cette logique, nous devrions avoir un nombre de mots par minute plus important encore dans les enregistrements écologiques. Cependant, il est rare d’entretenir lors de conversations spontanées des discussions à bâtons rompus pendant plusieurs heures ne serait-ce que parce qu’il arrive que l’on fasse autre chose pendant les échanges (manger, boire, répondre au téléphone, cuisiner. . . ), ce qui peut interrompre momentanément le cours de la conversation et constituer des temps de pause. En situation d’entretien, l’enquêteur essaie toujours de maintenir l’échange et s’il sent par exemple, que la conversation s’essouffle, il relance l’/les enquêté(s) en posant une nouvelle question pour limiter les « temps morts ».

Il est nécessaire également de souligner que si nous avions pris en compte l’intégralité des enquêtes réalisées dans le cadre du projet GTRC, les chiffres présentés dans le tableau auraient été différents. En effet, nous n’avons transcrit qu’une heure pour chaque repas mais ces derniers étaient en fait plus longs129.