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1.4 Les indices du discours direct

1.4.1 Les indices partagés par l’oral et par l’écrit

1.4.1.2 Les particules d’amorce et d’extension

Si les verbes introducteurs sont de bons indicateurs et permettent de délimiter le discours direct, d’autres éléments les accompagnent parfois à l’initial du dis- cours cité et en finale du discours cité. Nous développerons ici uniquement nos choix terminologiques pour désigner ces différents éléments, nous en proposerons une analyse détaillée dans le chapitre 6 de notre deuxième partie.

a) Les particules d’amorce

Pour désigner les éléments à la frontière entre le discours citant et le discours cité, différentes terminologies ont été utilisées. La notion de « ligateur » a été développée par F. Bader, cité par J. Szlamowicz (2005, p. 109). Ce terme a ensuite été repris par L. Danon Boileau & M.-A. Morel (1998, p. 130) mais ce dernier ne semble pas le plus approprié parce qu’une telle fonction n’est pas spécifique au discours rapporté. A l’oral, tout mot à l’initiale d’un énoncé qui permet de faire le lien avec celui qui le précède pourrait être considéré comme un « ligateur ».

Les termes de : « appuis du discours » (D. Luzzati, 1982), ou « marqueurs métadiscursifs » (M.-B.-M. Hansen, 1995) ont également été employés pour dési- gner ces éléments. Dans de nombreux travaux, lorsqu’ils sont abordés dans leur fonctionnement à l’oral, ces appuis ou marqueurs discursifs ne sont pas envisagés spécifiquement ou du moins très peu50 par rapport au discours rapporté et cette dénomination recouvre un champ très large d’unités.

Lorsque ces éléments sont abordés dans le cadre du discours rapporté, ils sont considérés comme des « balises » (M. Italia, 2005) qui n’auraient dès lors que la fonction d’indiquer l’entrée dans le DR : « les balises servent de joncteur entre Dce (discours cité) et le Dct (discours citant), marquant une jonction entre les deux moments énonciatifs » (E. Ngamountsika, 2013, p. 94). Ce rôle de balise est également défendu par B.-A. Boutin (2009, p. 7) qui énonce pour sa part

terme non standard désigne son objet par la négative. L’avantage immédiat consiste à rappeler au lecteur à chaque moment la spécificité de cet objet, par définition imbriqué au standard mais exclu de celui-ci » (p. 78).

50. Les particules sont abordées de manière plus détaillée par E. Ngamountsika (2014) qui les nomme particules énonciatives et les range dans la catégorie des décrocheurs énonciatifs au même titre que la pause. Il considère que « leur présence suffit à marquer la transition entre le verbe de citation et l’énoncé rapporté » (p. 96). Nous n’avons pas tout à fait la même approche que l’auteur concernant les particules, nous expliciterons nos réserves dans le chapitre consacré à la nature et au sens des particules (Partie II, chapitre 6).

que les « particules énonciatives » permettent de « faciliter le repérage de deux espaces énonciatifs et le passage du discours citant au discours cité » mais aussi de signaler le début de la prise de parole en assumant « un rôle de balisage du DR ». Avec le terme de « particules énonciatives51 », l’auteure :

« entend insister sur leurs principales fonctions, qui ne sont pas syntaxiques, mais sont celles, d’une part, d’expression des attitudes du locuteur par rapport à la situation (en l’occurrence le DR), et, d’autre part, de gestion de l’interaction » (B.-A. Boutin, 2009).

D. Vincent (1989, p. 597) considère, quant à elle, ces éléments d’introduction du DR comme des « particules d’attaque », terme qui désigne des « particules de prise de parole lors des changements de tour ».

La divergence et le nombre de terminologies proposées témoignent de la diffi- culté de saisir ces éléments, à la fois fréquents et non systématiques ou obligatoires dans le cadre du DR. Cette hétérogénéité de dénomination témoigne également de points de vue différents sur la fonction que ces éléments remplissent. Considé- rées comme « une liste ouverte de termes qui viennent s’insérer entre le segment introducteur et le discours cité » (J. Peuvergne, 2007, p.124), les particules sont également envisagées comme atténuant la rupture syntaxique entre le discours citant et le discours cité (J. Léon, 1988, p. 111).

Qu’il soit question de « balises », de « particules énonciatives », de « particules d’attaque » ou encore simplement de « particules » dans le cadre du DR, ces éléments ont pour point commun d’être situés au même endroit, à l’initiale du discours cité, de favoriser le marquage du discours citant au discours cité ou bien d’indiquer un changement de locuteur (pour les particules d’attaque).

Pour notre part, nous préférons nommer ces éléments « particules d’amorce ». Nous entendons, par le biais du terme particules d’amorce52, faire référence à la position syntaxique qu’elles occupent, à l’initiale du discours cité53 :

(15) J’ai j’ai vraiment adoré cette période-là etc mais à un moment euh tu te dis bon il y a quand même autre chose. (MPF, Emmanuelle3, 65) Les particules permettent ainsi d’intégrer le DR dans l’interaction, tout comme le font les verbes introducteurs. Le terme d’amorce ne doit pas être compris de la façon dont il peut être employé dans les descriptions de l’oral pour désigner le

51. Ce terme a notamment été introduit par M.-M.-J. Fernandez (1994). 52. Terme employé par L. Rosier (2008).

53. Cette position est très fréquente, on peut cependant relever des exemples dans lesquels, la particule est située avant le verbe introducteur : « Mais dis pas que c’est ce petit bout

de femme là qui fait peur à mon frère / Eh bah je dis si c’est pas que je lui fais peur c’est qu’il me respecte » (GTRC, Repas2).

Chapitre 1 La notion de « discours rapporté »

phénomène qui consiste à répéter les premières syllabes d’un mot. Nous souhai- tons souligner ici, d’une part que le DR prend appui sur les particules lorsqu’elles sont présentes à l’initiale du discours cité, et d’autre part qu’elles peuvent jouer un rôle dans l’énoncé qui les suit.

Nous n’ignorons pas que le terme même de particules pose problème puisqu’il peut renvoyer à une multitude de définitions dans des domaines éclectiques. G. Siouffi et al. (2016) parlent d’ailleurs d’un « terme vague, [d’] une catégorie à géo- métrie variable pouvant inclure les mots grammaticaux (pronoms, adverbes. . . ), caractérisée souvent par sa brièveté » (p. 4).

Si nous nous en tenons à une définition linguistique, le terme de particules est employé en grammaire pour désigner un :

« mot-outil, souvent monosyllabique, invariable (morphème non au- tonome, monème grammatical) servant à modifier le sens d’un mot principal (p. ex. les préfixes) [. . . ] à établir un rapport grammatical entre des mots ou des (membres de) phrases (p. ex. les conjonctions, les adverbes négatifs, les prépositions) » (Le Trésor de la Langue Fran- çaise informatisé - TLFi).

A priori, les particules de DR ne répondent pas à cette définition. Il s’agit certes (pour la majorité d’entre elles) de mots invariables (les interjections comme ah, oh, eh, euh par exemple), mais comme nous le verrons, nous postulons, pour un certain nombre d’entre elles qu’elles sont autonomes syntaxiquement. De plus, les particules de DR n’établissent pas « un rapport grammatical entre des mots ou des [. . . ] phrases ». Tout au plus pourrions-nous transposer cette définition aux particules de DR en considérant que lorsqu’elles sont présentes, elles mettent en relation le discours citant et le discours cité en facilitant le passage de l’un à l’autre.

Si le terme de particules n’apparaît pas comme le plus adéquat, comment dési- gner des éléments aussi hétérogènes qui relèvent de catégories différentes, qui sont facultatifs et qui peuvent se trouver aussi bien à l’oral qu’à l’écrit ? Il semble qu’au- cune étiquette n’apparaisse entièrement satisfaisante. Nous avons ainsi choisi le terme qui correspondait le mieux à notre conception de ces éléments, conception que nous avons développée précédemment.

Pour finir (temporairement) sur ce point, nous soulignons que les particules sont très fréquemment étudiées dans le cadre d’interactions orales, à l’instar d’E. Ngamountsika (2013) qui souligne que « [l]es particules énonciatives apparaissent de manière abondante à l’oral ». Nous postulons pour notre part que leur présence n’est pas liée à une question d’oralité mais davantage aux types d’interactions dans lesquelles elles sont produites, qu’elles soient orales ou écrites.

b) Les particules d’extension

Les particules d’extension sont utilisées pour « étendre » l’énoncé les précé- dant et signaler qu’il y a une suite aux propos rapportés. Le terme de particules d’extension a notamment été proposé par S. Dubois54 (1992). Tout comme les particules d’amorce, les particules d’extension ne sont pas envisagées par les lin- guistes spécifiquement en lien avec le discours rapporté. S. Dubois (1992) les définit comme des éléments occupant une position précise dans l’énoncé, à la fin de celui-ci, et comme des éléments conclusifs :

« An extension particle is a word or a short formula [. . . ], that occupies a characteristic position in the sentence and has a typical intentional pattern.[. . . ] They are in some ways anaphoric elements, serving to extrapolate from what has previously been said, but they also function to indicate the end of a sentence or a phrase » (p.179- 180).

Cette définition nous paraît pertinente et peut s’appliquer aux particules d’ex- tension qui sont employées dans le cadre du discours rapporté. Nous retrouvons les fonctions évoquées dans notre corpus, comme en témoignent les exemples sui- vants :

(16) puis on lui demande ben il s’est passé quoi dans la cuisine et tout (MPF, Jean-David2b, 178)

(17) tu aurais dit non mais attends euh tu as fait ça tu m’as pas

tenu au courant je sais j’étais pas au courant je savais pas machin

et tout. (MPF, Roberto4d, 378)

(18) tu m as laise la dernière fois sur un " adieu je leave ki " et tt(IRC, joueur 3, conversation 1)

M. Overstreet(1999), qui a consacré une thèse de doctorat à l’étude des particules d’extension en anglais, les nomme : « general extenders ». Elle les définit comme :

« a class of clause-final expressions of the forms CONJ + NP which extend otherwise grammatically complete utterances ; [. . . ] general extenders serve a variety of function » (p. 3).

Elle donne une liste exhaustive55 de ces particules sans exclure la possibilité que cette dernière puisse être complétée : « more novel creations are possible and not infrequent » (p. 2). La définition qu’elle propose ne s’applique qu’à une partie

54. S. Dubois (1992) les désigne comme des « extension particles ».

55. and all (of this/that), and blah blah blah, and everything (like that), and so on, and that, and the rest, etcetera, or something (like that), or anything (like that), or what, or whatever. . . (1999, p. 1-2).

Chapitre 1 La notion de « discours rapporté »

des particules. Nous avons relevé 9 types de particules d’extension (représentées dans le tableau ci-dessous) :

nanani nanana/nanana/nanani etc/et cetera machin

gnagnagna et tout machin et tout / et compagnie patati patata tout/tout ça un (des) truc(s) comme ça

bla bla un (des) truc(s) dans le genre

tac tac (tac)

Table 1.4 – Les particules d’extension relevées

Nous voyons que les occurrences relevées ne sont pas systématiquement intro- duites par une conjonction et ce, pour la majorité des particules. Il ne serait pas pertinent de proposer, comme M. Overstreet (1999) ou M. Secova (2014) le font pour l’anglais, une distinction entre les particules « adjunctive » introduites par et, et les particules « disjunctive » introduites par ou, puisque nous n’avons pas relevé (ou très peu) d’exemples construits56 avec ou + NP57 dans le cadre du discours rapporté dans notre corpus.

Si les particules d’amorce sont positionnées à l’initiale du discours cité, les particules d’extension quant à elles marquent la fin de celui-ci en laissant l’in- terlocuteur/lecteur « compléter » les propos du locuteur L. Nous développerons plus précisément leurs fonctions ultérieurement (Partie II, chapitre 5).