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2.4 Des outils et une démarche adaptés aux contraintes médiales

3.1.1 Le projet MPF

3.1.1.5 L’étape de la transcription

a) Les limites de la transcription

« Parmi les gestes préalables à l’exploitation de corpus oraux (choix du terrain, sélection des informateurs, mise en place du recueil, numérisation,

anonymisation. . . ), la transcription occupe une place de choix, aux enjeux sans doute encore souvent sous-estimés » (P. Cappeau

et al., 2011).

Tout travail sur l’oral suscite un paradoxe : l’obligation d’avoir recours à une transcription pour l’analyser. Comme l’a souligné C. Blanche -Benveniste (2010) :

« On ne peut pas étudier l’oral par l’oral, en se fiant à la mémoire qu’on en garde. On ne peut pas, sans le recours de la représentation visuelle, parcourir l’oral en tout sens et comparer des morceaux ».

La langue parlée doit nécessairement être représentée par le biais de l’écriture or- thographique (ou phonétique lorsqu’il s’agit d’études spécifiques sur la liaison117 ou certains phénomènes de prononciation par exemple).

Toute transcription, même si elle tend à se rapprocher de ce qui a été dit, a ses limites. « Il n’est pas possible de traiter l’écrit comme une représentation trans- parente de l’oral » (C. Blanche-Benveniste, 2008). En effet, tous les phénomènes mis en jeu au cours d’une interaction (gestuelles, intonation. . . ) ne peuvent être représentés au risque de surcharger la transcription jusqu’à la rendre illisible. C. Blanche-Benveniste, parmi d’autres, a d’ailleurs souligné l’incompatibilité, ou du moins la tension, entre fidélité et lisibilité. Toute transcription est nécessairement influencée par l’interprétation du transcripteur118sur ce qu’il croit entendre : « ce que nous entendons est un compromis entre ce que nous fournit la perception elle- même et ce que nous construisons par l’interprétation » (C. Blanche-Benveniste, 2010).

Il est très fréquent pour un transcripteur d’écouter à plusieurs reprises l’ex- trait d’un enregistrement et de ne pas entendre exactement la même chose à chaque fois. Il n’est pas rare non plus lorsque le transcripteur pense avoir perçu

117. Il faut cependant rappeler que la transcription phonétique n’est pas systématique pour le travail sur la liaison. Le projet PFC, notamment, qui s’est spécialisé sur la liaison, n’y a pas recours.

118. P. Cappeau (2004) précise à ce propos qu’ « il n’est pas possible de passer directement du signal sonore à la trace graphique sans se livrer à une interprétation » (P. Cappeau, 2004).

Chapitre 3 Présentation du corpus

un « mot » qu’il ne puisse plus entendre autre chose. De plus, il peut exister de nombreux cas ambigus qui laissent souvent place à l’interprétation et qui peuvent être difficilement tranchés.

Pour limiter les effets de cette « subjectivité », le processus des enquêtes pré- voit plusieurs phases de relecture réalisées par des personnes différentes. Au-delà, d’une relecture simplement orthographique pour corriger d’éventuelles erreurs ou coquilles, il s’agit de confronter des perceptions, des interprétations, des points de vue parfois différents pour correspondre au mieux à ce qui a été réellement dit.

La dernière étape est le retour à l’enquêteur qui accepte ou refuse les modifi- cations proposées par les relecteurs.

La transcription est un processus long et fastidieux nécessitant de nombreuses heures de travail. Elle est, cependant, indispensable et constitue une étape clé pour toute analyse future qui « ne peut être regardée comme une opération banale, car on transcrit pour donner à voir quelque chose » (F. Gadet, 2008). « The transcriptions are the researcher’s data » (E. Ochs, 1979a, p. 44).

En amont des transcriptions, il est un choix tout aussi décisif et important, celui des conventions à adopter.

b) Les conventions de transcription adoptées

Les conventions de transcription permettent d’uniformiser les corpus et de fa- ciliter les lectures et analyses à venir. Elles ne sont jamais anodines et doivent répondre aux objectifs spécifiques des études dans le cadre desquelles elles sont mises en place : « [. . . ] transcription is a selective process reflecting theorical goals and definitions » (E. Ochs, 1979a, p. 44). Le choix des conventions est corrélé aux phénomènes que nous voulons étudier. Comme le souligne F. Gadet (2008) : « les choix sont davantage motivés par des objectifs analytiques que par une quelconque volonté de vérité ou de fidélité, derrière lesquelles on s’abrite en général ». Une étude prosodique adoptera une convention pour signaler les montées et descentes intonatives par exemple, alors qu’une étude syntaxique n’en aura pas forcément besoin, en fonction toutefois des phénomènes étudiés.

Plusieurs questions se posent alors : quelles conventions adopter pour rendre compte de quels phénomènes ? Que décide-t-on de transcrire ou au contraire de traiter à part (notamment en commentaires ou en notes de bas de page) ?

Chaque transcripteur se positionne sur ces questions de manière différente selon son propre point de vue et principalement selon ses propres objectifs. Dans le cadre du projet MPF, les conventions de transcription choisies sont simples et les notations peu nombreuses. Conformément aux travaux sur la syntaxe de l’oral, il

a été décidé de respecter l’orthographe standard :

« On n’utilise pas de trucages du type : t’as, y’a, j’sais pas,. . . Pour autant, tout ce qui relève de la syntaxe doit être fidèle au signal (par exemple pas de ne de négation s’il n’est pas effectivement prononcé » (Guide de l’enquêteur).

Les phénomènes extralinguistiques comme les bâillements ou les rires. . . sont indiqués sur la transcription uniquement s’ils provoquent une rupture dans la continuité du discours ; si ce n’est pas le cas, ces phénomènes sont indiqués dans une tire « commentaires ».

Le tableau ci-dessous représente les conventions119 les plus fréquemment utili- sées et rencontrées :

Table 3.5 – Principales conventions de transcription MPF

Concernant l’exploitation des données du point de vue du discours rapporté, le parti pris au sein des membres de l’équipe du projet MPF a été de ne pas l’annoter dans les transcriptions. Les frontières du DR peuvent être difficiles à établir : où commence-t-il ? Où s’arrête-t-il ? F. Gadet et E. Guerin (2012) soulignent d’ailleurs cette difficulté : « décider ce qui relève du discours rapporté est de l’ordre du subjectif » et précisent qu’un tel codage « contraindrait à une décision face à un statut intermédiaire, indécidable et flottant ». Elles justifient ainsi la décision « de ne pas coder le discours rapporté, de garder distinctes les phrases de transcription et d’analyse ». Le projet MPF privilégie ainsi un traitement (et un relevé) du DR en aval de la transcription, réservé à l’analyste, dans le but de lui permettre « une lecture [. . . ] sans orientation préalable » (P. Cappeau et al., 2011).

Toutes les transcriptions ont été effectuées avec le logiciel PRAAT permettant l’alignement du son et du texte. Ce logiciel facilite la « manipulation du signal

Chapitre 3 Présentation du corpus

sonore : on peut découper le continuum sonore en séquences courtes qui peuvent être réécoutées à loisir » (P. Cappeau et al., 2011), ce qui joue favorablement sur la qualité des transcriptions. PRAAT permet également d’accorder plus de reconnaissance « à la complexité de la production orale, que la mise en mots (ou en sons transcrits) réduite à la seule prise en compte de la dimension verbale » (ibid).

3.1.2 Le projet GTRC « Le français à la mesure d’un