• Aucun résultat trouvé

Partie introductive.

A) La révolution haïtienne, résumé historique.

4. Le vaudou et l’insurrection.

Dans l'historiographie traditionnelle et nationaliste haïtienne la cérémonie du Bois-Caïman est vue comme l'acte fondateur de la révolution haïtienne. Le vaudou à souvent été perçu comme une force insurrectionnelle motrice. Cette vision romantique servait soit à glorifier la révolution populaire ou au contraire à démontrer son caractère sauvage. L'historiographie qui a traité du rôle du vaudou dans l’insurrection est donc conséquente. En effet le vaudou en plus d'être le culte magico-religieux principal des esclaves, est également un cadre de pensée. Le vaudou est dépositaire d'une vision du monde. L'ethnologie s'est d'ailleurs largement penchée sur le vaudou moderne et en a esquissé les principaux traits41. Il y a néanmoins, toujours une part de non découvert dans ce culte. Le peuple haïtien ne veux pas dévoiler aux occidentaux tout son univers, surtout en ce qui concerne la magie hors du culte officiel.

Pour faire bref le vaudou est une religion métis, qui a pour base le culte polythéiste du vaudou dahoméen, avec un gros apport culturel congolais. Le culte se couple avec un fervent catholicisme, qui vient parfois s’immiscer dans les pratiques religieuses ou la magie vaudou. Le catholicisme a été transmis par les missionnaires français des îles et les missionnaires portugais qui avaient déjà évangélisé certains royaumes Congolais. Il n'y a pas de clergé mais une nébuleuse de « hougan » ou « mambo », c'est à dire de prêtres-sorciers hommes et femmes. Il sont sensés réaliser une liturgie qui va mettre en relation les divinités (les Iwas ou les Ioas) avec les fidèles. Les divinités peuvent être protectrices ou malfaisantes. Il y a trois panthéons :

-Les Iwas Rada, originaires d'Afrique dahoméenne, se sont les Iwas les plus « fréquentables » qui constituent le corps officiel de la liturgie. Ce sont les Iwas les plus courants et les plus puissants -Les Iwas Petro, qui sont nés dans le métissage de l'esclavage, dans un contexte de résistance spirituelle, ils sont plus ambiguës que les précédents.

-Les Iwas Gédé, qui sont les divinités de la mort. Ils sont moins puissants que les deux premiers panthéons et ils sont eux aussi ambiguës.

Le hougan doit normalement se distinguer du sorcier : le boko, qui jette des sorts contre de l'argent à des fins individuelles. Mais dans les faits les frontières entre magie et religion sont poreuses et font partie d'un même ensemble axiologique qui permet d'expliquer la nature du bien et du mal. Le fidèle croit au « bon dieu » créateur du catholicisme. Il a été démontré que cette entité existait déjà dans les cosmogonies africaines. De plus Thornton nous rappelle que de nombreux esclaves

41. Il y a d'abord le classique : Métraux Alfred, Le vaudou haïtien,Gallimard, coll. "L'Espèce humaine", Paris, 1958. également les observations d'un curé de campagne : Kerboull Jean, Le vaudou magie ou religion ?, Robert Laffont coll. les énigmes de l'univers, Paris, 1974. Et la très belle synthèse du spécialiste actuel de la question : Hurbon Laënnec,

congolais étaient déjà catholiques. Cependant la nature du Dieu créateur africain n'a pas fondamentalement changé : il est loin et s'occupe peu des affaires des hommes tout en restant le maître de la Providence. Le vaudou est une religion dansée. Le moment le plus important est la possession, c'est à dire quand l'Iwa vient « chevaucher », c'est à dire prendre le contrôle du fidèle. Ce fidèle à donc un rapport de proximité avec les Iwas. Il doit les honorer avec de nombreux sacrifices et cadeaux malgré sa pauvreté. Ces possessions viennent à des moments stratégiques dans le rituel, il ne s'agit pas d'un culte orgiaque, les transes sont codifiées. Cependant les ressorts de la transe mystique ne sont pas encore tout à fait compris par les chercheurs. Même si il y a de la mise en scène, le rôle du rythme et de la danse semblent déterminants, les fidèles ne jouent pas toujours la comédie. Le vaudou constitue un système de valeur complet et une interprétation magique du monde pour les fidèles. C'est par la danse et la transe que les haïtiens apprennent les codes et les valeurs de leur univers. Il ne faut donc absolument pas négliger le vaudou quand on veut comprendre les actes des esclaves, même si le culte a bien entendu évolué.

Illustration 12: Drapeau vaudou contemporain composé de "vévé". Les vévés sont des figures

abstraites représentants les différentes divinités/esprits vaudou.

Yves BERGERET, « Une oriflamme du vaudou », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 12 May 2016. URL : http://www.histoire-image.org/etudes/oriflamme-vaudou

Pierre Pluchon42 est le premier historien à avoir effectué un large travail sur les sources de l'ancien régime et de la révolution, pour analyser tout ce qui pouvait tourner autour de l'univers spirituel des esclaves. Malgré des conclusions négatives quelques peu eurocentristes sur la nature de la religion vaudou, il décrit de manière prudente et pertinente les quelques manifestations du culte vaudou enregistrées par des colons qui n'y comprenaient pas grand chose. Il résume dans son chapitre « la Guinée contre les blancs », ce qui fait consensus autour de l'interaction entre le vaudou et la révolution.

Le vaudou n'a jamais été anéanti par l'évangélisation, le catholicisme l'a même renforcé. Le modèle dominant de l'ecclésiastique colonial est plus celui de l'aventurier que de l'homme pieux. Certains joueront d'ailleurs un rôle ambiguë dans les révoltes du nord. Pluchon parle d'une « âme africaine jamais menacée », d'une « servitude physique sans suggestion spirituelle » et d'un facteur fort de « solidarité raciale ». Mais contrairement à ce que prétend le mythe national le vaudou ne fut pas une force fédératrice d’énergies opprimées permettant l'éclatement d'une insurrection. Ce n'est pas pour autant qu'il n'a pas eu sa place dans la préparation et le déroulement de l'action. Les cérémonies étaient des lieux d'échanges et d'apprentissage politique. Les esclaves s'y retrouvaient en nombre important. Lors des événements révolutionnaires le vaudou fut un « garde-corps » nous dit Pluchon. Il accompagnait les esclaves dans la révolte en stimulant leur courage. Les protections magiques leur donnaient une impression superstitieuse d'invulnérabilité. Dans les témoignage des colons victimes des attaques de rebelles, ils décrivent clairement, non sans préjugés, un courage fanatique très fort des rebelles. Le vaudou, semble t-il, rythmait l'action, ce qui terrorisait considérablement les colons blancs. Il correspondait à un besoin. Il était passé d'un statut clandestin à un statut public. Certaines sources nous montre que des chefs révolutionnaires étaient aussi des chefs spirituels : Jeannot, Hyacinthe, Halaou, Romaine-la-prophétesse. Il sont cependant rapidement éliminés. Pour Pluchon les sorciers étaient certes des catalyseurs importants de la révolte, mais le pouvoir politique africain exige la soumission du féticheur. Les chefs noirs savent intégrer les croyances africaines, mais ils ne veulent pas partager leur pouvoir avec des sorciers qui ont une emprise spirituelle trop forte sur les esclaves. La mort rapide des chefs spirituels africains peut également se comprendre par l’avènement des chefs noirs créoles qui éliminèrent les chefs africains. Car chez Pluchon, de manière sous-entendue, on a l'impression que c'est l'aveuglement religieux qui aurait tué ces chefs mystérieux. Il s'agit plutôt d'une lutte de pouvoir43. Dans tout les cas les chefs d'origines africaines sont de fervents pratiquants du Vaudou : Sylla, Macaya, Petit- Noel Prieur... Quand au rôle des «confréries » ou des « sectes », qui étaient également connues

42. Pluchon Pierre, « La Guinée contre les blancs », Vaudou sorciers et Empoisonneurs. De Saint-Domingue à Haïti, Karthala, Paris, 1987.

pendant l'ancien régime, nous sommes obligés de tirer les mêmes conclusions que les ethnologues modernes : On peux suggérer leur importance, mais dans les faits nous ne savons rien à part des rumeurs. Voici ce qui fait donc consensus entre les chercheurs.

Nous avons regardé les études sur l'arrière plan culturel des esclaves. Cela devrait nous permettre d'aborder le problème suivant avec plus de sérénité.