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Partie I- Chroniques des « violences nègres » Description de la perception de l’insurrection des esclaves du Nord par la société coloniale P

C) Les perceptions « à froid » Regard sur les mécanismes de la littérature historique de l'insurrection haïtienne.

1. Présentation des auteurs.

Tous les ouvrages que nous allons étudier sont le fruit d'un investissement social d'un auteur par la littérature. Que ce soit pour témoigner, réaliser un rapport ou débattre à l'Assemblée Nationale. L'investissement social est double, il s'agit à la fois de défendre une cause et de se faire connaître. Il m'a donc semblé important de présenter clairement les auteurs que je vais utiliser. Cela me permet de considérablement éclairer leurs écrits.

Commençons par les colons qui ont foulé la terre de Saint-Domingue pendant les moments insurrectionnels :

-Il y a d’abord le témoignage de M. Gros : « Récit historique »118. Il connaît plusieurs publications

successive à Saint-Domingue, en France et à Baltimore où vit une importante communauté de colons réfugiés. Celle que j'ai consulté sur internet est de 1793, mais des versions plus anciennes semblent avoir été publiées. Leborgne, secrétaire de la commission nationale civile, envoie d'ailleurs une copie de l'ouvrage au ministre de la marine en juin 1792119. Ce colon est un fonctionnaire, procureur syndic de la Valières dans le nord-est de Saint-Domingue. Il est de tendance jacobine, ce qui le pousse à accuser la noblesse de vouloir diriger une contre révolution avec les esclaves de Saint-Domingue. Il participe à la résistance contre les bandes d'insurgés mais il finit par se faire capturer au camp Villate par Jeannot le 26 octobre 1791. Comme le dit Alejadro Gomez120, c'est un témoignage précieux, un des seuls qui nous permet de voir la vie interne d'un camp d'esclaves insurgés. Gros va donc se retrouver sous la coupe du sanguinaire Jeannot, puis après sa mort devenir secrétaire de Jean-François, leader de l'armée insurgée du nord. Gros se présente comme un insatiable partisan de la paix. Il se met en scène comme un émissaire privilégié auprès des esclaves qu'il présente avant tout comme des marionnettes manipulées par des aristocrates antirévolutionnaires et des chefs sanguinaires. Il décrit les violences, les revendications des esclaves ainsi que les tentatives de négociations entre ceux-ci et les autorités coloniales. La manière dont il se met en scène comme un émissaire influent auprès des esclaves, nous montre bien qu'il cherche aussi à justifier sa place comme secrétaire de Jean-François dans une Saint-Domingue paranoïaque qui voit des comploteurs partout. Quand il fait parler les leaders insurgés, on peut se douter qu'il organise leurs discours pour faire passer le message qu'il veux nous faire entendre . La plupart des premiers historiens de la révolution, reprennent et s'inspirent du récit du fonctionnaire en y rajoutant parfois leurs propres anecdotes.

- « Mon odyssée »121, est une œuvre anonyme très littéraire, où un jeune planteur se met en scène à travers plusieurs facettes de sa vie, dont certaines se sont déroulées pendant l’insurrection du nord en 1791. Il y raconte comment il a échappé au feu de l'insurrection du nord. C'est un texte que l'historienne Anja Badau à étudié122. On y voit de manière intéressante les mécanismes de l'auto- représentation en littérature. Étant colon, il défend de tout cœur l'esclavagisme. Son style est très théâtral et pathétique.

118. Gros, Précis historique, Imprimerie de L. Potier de Lille, Paris, 1793. 119. A.N, DXXV/2, Leborgne au ministre de la marine, 29/07/1792. 120. Gomez Alexandre, op.cit.

121. ANONYME, My Odyssey; Experiences of a Young Refugee from Two

Revolutions, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1959. 122. Bandau Anja, op cit.

-Dalmas et son « Histoire de la révolution Haïtienne »123 écrit en exil aux États-Unis en 1793-1794. Selon David Geggus il était médecin sur les plantations Gallifet124. C'est un ancien colons profondément esclavagiste qui à donc vu l'insurrection éclater. Il accuse à tout va la métropole et les philanthropes. C'est un texte riche et prolifique.

-Nous avons aussi « l'histoire des désastres de Saint-Domingue » publié en 1795125.

Traditionnellement attribué à Descourlitz, il semble que son véritable auteur soit François Laplace. Cet homme est un défenseur de la Saint-Domingue esclavagiste et il y vécu. Mais on ne sait pas grand chose de lui. Comme Dalmas il nous fait un portrait magistral de l'insurrection, avec en introduction un long portrait nostalgique de la colonie avant 1791.

-Il y a ensuite le pamphlet du colon Bernard Mazère, négociant et propriétaire, originaire de Bayonne. Le titre de son ouvrage suffit pour comprendre son point de vue « De l'utilité des

colonies, des causes intérieures de la perte de Saint-Domingue et des moyens d'en recouvrer la possession126 ».

-Le colon britanniques Jamaïcain Bryan Edwards à consacré son quatrième tome de l'histoire générale des Antilles à la révolution haïtienne : « An historical survey of the french colony in the

island of St. Domingo »127. Selon Gomez128 il s'agit d'une référence pour l'histoire des Antilles, publié en 1797, cet ouvrage à été traduit en Français, en Allemand et en partie en Espagnol. Edwards faisait partie d'une délégation jamaïcaine présente au Cap en 1791. Il a donc été témoin de dévastations et il dit avoir interrogé de nombreux témoins. Il s’arrête beaucoup sur les détails morbides pour mettre en avant la « barbarie africaine ».

-Il y à encore un autre pamphlet d'un colon, L.J Clausson, propriétaire et magistrat de Port-Au-

Prince. Son « Précis historique sur la révolution de Saint-Domingue » ne dit rien de très original

123. Dalmas Antoine, Histoire de la révolution de Saint-Domingue, : depuis le commencement des troubles, jusqu'à la

prise de Jérémie et du Môle S. Nicolas par les Anglais; suivie d'un Mémoire sur le rétablissement de cette colonie,

Mame frères imprimeurs-libraires, Paris, 1814.

124. Geggus David, « La cérémonie du Bois-Caïman », in L’insurrection des esclaves de Saint-Domingue 22-23 août 1791 , ouvrage collectif publié à la suite d'une table ronde à Port-Au-Prince en Décembre 1987, Karthala, Paris, 2000. 125. Laplace François, Histoire des désastres de Saint-Domingue, : précédée d'un tableau du régime et des progrès de

cette colonie, depuis sa fondation, jusqu'à l'époque de la révolution française; avec carte,librairie Garnery, Paris, 1795.

126. Mazère Bernard, De l'Utilité des colonies, des causes intérieures de la perte de Saint-Domingue et des moyens

d'en recouvrer la possession, édition le renard, Paris, 1814.

127. Edwards Bryan, An historical survey of the french colony in the island of St.Domingo, Printed for Joch Stockdale, London, 1797.

sur les événements insurrectionnels. Il se contente de reprendre les autres auteurs. Il nous livre cependant un portrait d'une Afrique apocalyptique afin de justifier l'esclavage. Ce portrait nous intéresse pour comprendre le discours racial.

Nous avons aussi un général métropolitain qui à foulé la terre insurrectionnelle de Saint-Domingue :

-Il s'agit de Pamphile De Lacroix, et de son « Mémoire pour servir à la révolution de Saint-

Domingue »129publié en 1819. Lacroix est un général du corps expéditionnaire envoyé par Napoléon

en 1801. L'impression qui se dégage son mémoire est celle d'un homme attristé par les événements, qui regrette d'avoir participé au bain de sang. Sont point de vue est donc plus nuancé.

Il y a ensuite les individus non présents à Saint-Domingue pendant les événements :

-« Le rapport officiel sur les troubles de Saint-Domingue »130 écrit par le député révolutionnaire

Garran De Coulon et publié entre 1796-1799. Cet ouvrage est le produit des débats autour de l'abolition de l'esclavage. Avec une commission il a épluché les archives de l'insurrection pour comprendre les événements de Saint-Domingue. Il est plutôt favorable aux esclaves, il dénonce cependant les agissements violent dans les deux camps, tout en mettant en doute certains témoignages, comme ici celui de Gros :

« qui ne peut pas être suspect de partialité pour eux, puisqu'il étoit évidemment du parti de leurs plus mortels ennemis »131

Il s'agit d'un travail remarquable, bien plus sérieux que les autres textes. De plus il nous offre un point de vue différent sur l'insurrection.

-Il y a également Antoine Métral, avocat parisien et son « Histoire de l’insurrection des esclaves

dans le nord de Saint-Domingue »132(Publié en 1818). Son point de vue ne tranche pas pour un parti

ou un autre, mais il dénonce sévèrement les cruautés des esclaves insurgés dans une veine raciste.

129. De Lacroix Pamphile baron, Mémoires pour servir à l'histoire de la révolution de Saint-Domingue, imprimerie Pilet ainé, Paris, 1819.

130. Garran de Coulon, Le rapport officiel sur les troubles de Saint-Domingue, tome 2, imprimerie nationale Paris 1796-1799.

131. Ibid, pp256.

132. Métral Antoine, Histoire de l'insurrection des esclaves dans le nord de Saint-Domingue, publié chez F.Sherff librairie et commerce pour la Suisse, Paris, 1818.

Avant de commencer l'analyse rappelons d’abord à quoi correspondent ces textes. Ces mémoires et récits historiques ne sont pas des témoignages et des ouvrages d'histoires au sens moderne. Comme nous le rappellent Judyth Lyon-Caen et Dinah Ribard dans « L'historien et la littérature » , les bouleversements historiques produisent nombre de ce genre de textes pendant la période moderne. La rupture ressentie dans le fil du temps éveille le besoin de prendre la plume. Ces mémoires vont finalement produire l'histoire, ils s'emparent du passé récent pour le désigner comme étant l'histoire. Il s'agit d'un premier récit plein d'anecdotes, de portraits et de « choses vues ». Ils constituent une masse d'écrits très proches par leurs styles, contenues et dates de publications. Pour les deux auteurs ces textes font parties de l'histoire qu'ils racontent : « Celle de la construction collective d'un temps post-révolutionnaire et de la diffusion d'une conscience neuve de l'historicité, contemporaine de l’émergence de l'histoire comme discipline ».133Ces remarques vont nous être très utiles pour appréhender ces textes.

2. La science de l'instrumentalisation de l'anecdote avec une figure récurrente de