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Partie II- Analyse du discours esclavagiste post-insurrectionnel.

B) Déconstruction du discours pro-esclavagiste sur la révolution haïtienne.

6. Un cynisme révélateur.

Le discours pro-esclavagiste ne correspond sans doute pas à ce que les colons pensaient réellement de leurs esclaves . Des témoignages, comme celui de Mme De Rouvray, nous montrent bien que les colons avaient conscience qu'à partir du moment où les esclaves avaient levé la main sur leurs maîtres, un fait irréversible c'était produit287 :

« …comment rester dans un pays où les esclaves ont levé la main contre leurs maîtres ? Il y aura toujours à craindre qu’ils ne concertent mieux leurs coups pour une autre fois. Aussi l’intention de votre père est-elle de ne pas rester ici. Nous nous en irons où nous pourrons avec ce que nous pourrons sauver… ».

D'autres points de vues plus cyniques nous montrent bien que les colons savaient que les esclaves

287. McIntosh et Weber, Une corespondance familiale au temps des troubles de Saint-Domingue, pp.27, Société de l'histoire des colonies française, Paris, 1959.

Illustration 28 et 27 : James Henderson, A History of the Brazil. . . (London, 1821), facing p. 346. (Copy in The Newberry Library, Chicago) / Henry Koster, Travels in Brazil (London, 1816), facing p. 188. (Copy in the John Carter Brown Library at Brown University; also, Library of Congress, Prints and Photographs Division, LC-USZ62-97215 [b/w])

On retrouve aussi des visions moins positives du colon dans l'iconographie coloniale. L'image du oisif revient souvent. Mais c'est avant tout les femmes qui sont représentées de cette manière. L'esclave objet au service des caprices du maître est un élément récurent, notamment avec les images de porteurs. Sur l'image de gauche, la femme esclave sourit et semble accepter sa situation, le bébé à terre fait penser à un animal de compagnie.

résistaient à la domination du maître, qu'ils n'étaient pas totalement soumis et que c'est la violence permanente du régime qui les tenaient dans la discipline :

« (en parlant de Las Cazas) Si ce pieux missionnaire se repenti du moyen que lui suggéra son humanité trompée, il n'en est pas moins vrai que pour avoir voulu sauver quelques Caraïbes qui avoient survécu à tant de peine, il dévoua des milliers d'individus, que la cupidité, excitée par ses nombreux achats d'esclaves en Afrique, fit condamner à le devenir. Supposez aux philanthropes modernes des intentions aussi pures, il n'en sera pas moins vrai que pour avoir tenté d'abolir l'esclavage des Noirs, ils auront réduit au désespoir, à la misère, cinq ou six millions d'individus Blancs, leurs concitoyens, leurs amis, leurs frères, et renversé une des plus fortes colonnes de la puissance nationale […] l'abolition de l'esclavage devoit être l'action simultanée de toutes les puissances intéressées. Sans cet accord d'action et de volonté que l'on suppose si facile à obtenir ; les Colonies n'ont que le choix d'un protecteur, et les esclaves celui d'un maître. Ces derniers peuvent bien partiellement, et comme ils nous l'ont trop cruellement prouvé, nous égorger, nous, nos femmes, nos enfants et tous ceux qui les commandent ; mais ce sera pour obéir à d'autres »288

Ce discours prononcé à l'Assemblée Nationale en décembre 1791 est éclairant. Son auteur est désolé de la situation des esclaves, mais il met en avant, cyniquement, les intérêts économiques de l'esclavage. Il met en garde l'Assemblée : Si les idées abolitionnistes sont adoptées, la colonie leur échappera et ira à une autre puissance esclavagiste. Pour terminer il nous dit que de toute façon, même si les esclaves se libèrent, ils iront se mettre sous la domination d'un autre maître donc pourquoi les laisser partir ? Il propose ensuite des solutions policières pour rétablir l'ordre dans la colonie et une moralisation de la traite et des châtiments pour éviter que les révoltes ne se reproduisent. C'est à dire qu'il nous dit implicitement que c'est la dureté du régime qui a poussé les esclaves à se révolter. Ce discours qui ne se dérange pas trop d'une morale justificative, si ce n'est celle de l'intérêt économique, est un excellent contre point de vue. Elle remet en cause l'idée que les colons et les métropolitains pro-esclavagistes, étaient eux-même totalement aliénés par l'idéologie de leur domination. Finalement un racisme profond est bien présent. Pour l'auteur, les africains étaient déjà « dévoués à l'esclavage » et ne connaissaient qu'un « simple échange de chaînes, sous un climat semblable »289. L'africain est perçu de facto comme inférieur, au moins culturellement. Il vaut mieux les faire souffrir eux et pas les semblables blancs. Cela veut dire qu'il pense que c'est moins grave de faire souffrir un noir qu'un européen. Cependant tout le discours qui essaye de rendre l'esclavage moralement juste est ici absent. L'auteur reconnaît implicitement que c'est moralement douteux, mais il met en avant l'aspect économique. Les colons devaient sans doute, dans leur majorité, penser comme lui. En fait le fond du problème est ici. Les balivernes de Laplace sur un esclavage modéré ou en passe de devenir modéré, ne devaient pas convaincre grand monde. De nombreux voyageurs ont vu à quoi ressemblait l'esclavage et en ont témoigné partout dans le monde. En fait ce point de vue cynique nous montre l'aspect le plus terrible du colonialisme. Les

288. A.N, DXXV3, Discours prononcée M. Bertrand à l'Assemblée Nationale, 19/12/1791. 289. A.N, DXXV3, Discours prononcée M. Bertrand à l'Assemblée Nationale, 19/12/1791.

colons savent qu'ils mutilent physiquement et psychologiquement des êtres humains. Mais une forme de racisme concret, qui considère le noir comme inférieur, autorise cette exploitation. Ils sont parvenus à s'accepter eux-mêmes comme des dominateurs féroces. Pour cela il a fallu intégrer le fait que les différences socio-culturelles des esclaves étaient blâmables. Le racisme est en grande partie composé d'un discours mystificateur peu crédible. Mais le racisme est aussi une réalité mentale, faite d'une incompréhension des différences qui provoque la peur. Ces différences sont ensuite instrumentalisées dans une logique de domination. En les instrumentalisant les colons ont perdu leur chance de comprendre leurs subalternes, car il voyaient en eux juste l'objet de pensée qu'ils avaient créé, celui du barbare. Mais cet objet de pensée était nécessaire pour s'accepter comme dominateur. Avec le temps et les attaques répétées des abolitionnistes, les colons ont inventé par dessus une image idyllique de l'esclavage modérée. Ce discours raciste est en fait une réponse aux attaques des abolitionnistes. Mais derrière il y aussi un système de réflexes éducatifs, qui permettent de s'assumer comme dominateur, comme dominateur d'un autre, d'un inconnu qu'on peut faire souffrir car on ne le reconnaît pas comme semblable.