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Chapitre 2 Révision conceptuelle de la Grille d’Analyse du Contre-transfert (GAC) et

2.6 Conclusion

3.2.3 Variables liées au thérapeute

Certaines variables du thérapeute ont été investiguées comme pouvant avoir une influence sur la façon de réfléchir du thérapeute, sur sa façon de gérer l’expérience ressentie face au patient et sur sa façon d’envisager l’intervention auprès de ce dernier. Les évidences restent toutefois peu nombreuses, puisque cette investigation est souvent l’objet d’une ou de quelques études seulement, les résultats variant également d’une étude à l’autre. Ces études sont néanmoins d’une importance considérable puisqu’elles contribuent à bâtir les connaissances théoriques et empiriques sur l’AM-T et son fonctionnement.

Le genre du thérapeute et son impact sur les processus thérapeutiques est une des variables ayant été étudiées chez le thérapeute (Johnson & Caldwell, 2011; Mintz & O'Neil, 1990; Okiishi et al., 2006; Zlotnick, Elkin, & Shea, 1998). Cette variable n’a fait l’objet que d’une seule étude concernant l’AM-T spécifiquement. Lecours et al. (1995) ont rapporté une différence entre les femmes et les hommes quant à leur utilisation de l’AM-T réflective. Les femmes présenteraient des scores d’AM-T réflective plus élevés que leurs collègues masculins. D’autres études portant sur les processus mentaux des hommes et des femmes en général proposent d’ailleurs que les femmes utilisent des processus mentaux différents de ceux des hommes (Feingold, 1994; Wood & Karten, 1986). Cette différence s’expliquerait entre autres par un type de pensée plus relationnelle chez les femmes, une pensée plus contextuelle et affective, axée sur les processus émotifs. Les hommes tendraient, quant à eux, à adopter un style de réflexion plus théorique et analytique se rapprochant de l’AM-T rationnelle (Lecours et al., 1995). La personnalité du thérapeute est une autre variable ayant fait l’objet d’études chez le thérapeute, les chercheurs s’intéressant souvent à mieux comprendre l’effet de la personnalité sur les habilités thérapeutiques de l’intervenant (Stirman & Crits-Christoph, 2010). Peu d’études ont mesuré spécifiquement le lien entre les traits de personnalité et l’AM-T. Les résultats d’une thèse doctorale sur l’AM-T ont montré que le trait d’ouverture à l’expérience serait corrélé avec l’utilisation de l’AM-T réflective (Parent, 2005). Selon Parent (2005), ce trait de personnalité amènerait le thérapeute à s’immerger davantage dans le vécu du patient. Aucun autre trait de personnalité n’a été

montré comme étant lié à l’AM-T jusqu’à maintenant.Parent (2005) soulève néanmoins la possibilité que certains traits de personnalité du thérapeute, comme le trait Narcissisme et Indépendance, aient un impact sur l’acquisition des activités mentales par le thérapeute. Par contre, aucune étude n’a montré cette influence à ce jour.

L’utilisation de certains mécanismes de défense chez le thérapeute est aussi une variable qui pourrait avoir un effet sur l’AM-T du thérapeute. Les mécanismes de défense, aussi appelés coping styles, sont des processus psychologiques automatiques qui protègent l’individu contre l’anxiété ou la prise de conscience de stresseurs internes ou externes (Bond, 2004). Bien que la plupart des études sur les mécanismes de défense se soient intéressées au patient (Kramer, de Roten, Perry, & Despland, 2013; Perry & Bond, 2012), il est fort possible que cette variable ait aussi un impact sur la façon dont le thérapeute réfléchit au patient. Une étude (Seguin & Bouchard, 1996) a d’ailleurs montré que l’AM-T réflective était reliée à des défenses matures et évoluées chez le thérapeute, tandis que l’AM-T réactive était quant à elle associée à des défenses

immatures et moins adaptées au contexte du processus d’aide thérapeutique.

Il serait également attendu que certaines expériences marquantes vécues par le thérapeute influencent sa façon de réfléchir au patient et de composer avec l’expérience émotionnelle ressentie lors du contact thérapeutique. Des études sur les thérapeutes travaillant auprès d’une clientèle présentant une histoire traumatique montrent d’ailleurs des réactions plus négatives chez les thérapeutes ayant eux-mêmes des symptômes liés à un trauma (Pearlman & Mac Ian, 1995). Par exemple, les séquelles de vécu traumatique chez le thérapeute pourraient être susceptibles d’influencer son recours à certaines AM- Ts durant l’écoute thérapeutique. Il est démontré que les personnes ayant vécu un trauma sont plus enclines à présenter un haut niveau d’anxiété, une hypervigilance, une vulnérabilité dans les situations hautement émotives et intenses, plus de symptômes de dissociation, d’irritabilité et de colère (Briere & Hodges, 2010; Deblinger, Pollio, & Neubauer, 2012). Ces symptômes pourraient altérer les capacités réflexives de l’individu (Slade, 2005). Or, il serait attendu que les thérapeutes présentant des symptômes liés à un trauma présentent davantage d’AM-T réactive et soient moins en mesure d’approfondir l’AM-T réflective ou même rationnelle. Toutefois, il est

impossible à ce jour de corroborer ces hypothèses théoriques à partir de la littérature puisqu’aucun écrit à notre connaissance n’aborde ce lien spécifique entre les symptômes traumatiques et l’utilisation des trois types d’AM-T.

Le nombre d’années d’expérience clinique du thérapeute serait également un facteur qui pourrait influencer l’AM-T. À cet effet, Normandin (1993) et Lecours et al. (1995) suggèrent que les thérapeutes qui pratiquent la psychothérapie depuis dix ans ou plus sont deux fois plus susceptibles d’utiliser l’AM-T réactive, comparativement aux novices (Lecours et al., 1995; Normandin, 1991). Avec l’augmentation du sentiment de compétence que peut fournir l’expérience, un relâchement de l’inhibition des réactions (pouvant se manifester sous forme de spontanéité de la part du thérapeute ou d’une plus grande confiance envers ses pensées momentanées) pourrait faire en sorte qu’un thérapeute se sente plus à l’aise de réagir rapidement et spontanément à un patient. Toutefois, même si ce mode est davantage utilisé, les thérapeutes d’expérience ne semblent pas l’utiliser de façon dominante et exclusive. Ceci n’interfère donc pas nécessairement avec leur compréhension du patient. Les jeunes thérapeutes, quant à eux, semblent inhiber plus fortement l'expression de leurs réactions (Normandin & Bouchard, 1993). Séguin et Bouchard (1996) suggèrent que les thérapeutes expérimentés soient moins critiques à l’égard de leurs réactions face au patient. Ils filtrent moins leurs verbalisations lors des expérimentations. D’autres études montrent que les thérapeutes expérimentés sont plus enclins à parler de leurs expériences contre- transférentielles, car ils en ont moins peur (Jennings & Skovholt, 1999; Van Wagoner et al., 1991). Ils parviennent donc davantage à se laisser surprendre par ce qui émerge spontanément de leur esprit. Les thérapeutes expérimentés tolèreraient donc mieux le mode réactif, sachant qu’ils seront éventuellement en mesure de reprendre le contrôle sur ces pensées ou affects et ces états qui les informent sur le monde interne du patient. Ils ont également une meilleure confiance en leurs capacités professionnelles et sentent moins le besoin de se protéger face au patient. Une autre possibilité serait que les thérapeutes expérimentés utilisent davantage l’AM-T rationnelle comparativement aux novices. En effet, il serait logique et attendu que les connaissances rationnelles des thérapeutes d’expérience soient plus développées. Ceci pourrait favoriser leur aisance à

utiliser, élaborer et appliquer des hypothèses et des concepts théoriques basés sur la réalité objective et à les adapter aux différents patients.

L’importance et l’impact de la psychothérapie personnelle du thérapeute sur sa capacité à prodiguer des soins psychothérapeutiques auprès de patients ont longtemps été sources de questionnements et de discussions au sein de la communauté clinique (Bike, Norcross, & Schatz, 2009; Kottler, 2010; Norcross, Strausser-Kirtland, & Missar, 1988). Traditionnellement, cette démarche thérapeutique personnelle, préalable ou concurrente, était au cœur des pratiques de l’approche psychanalytique, où il était nécessaire au thérapeute d’être lui-même analysé avant de pouvoir procéder à l’analyse de ses patients. Cette pratique se justifiait par les « points aveugles » du thérapeute, c’est-à-dire ses enjeux personnels, ses angoisses et défenses à risque de le biaiser dans sa compréhension du patient. Quelques études au cours des dernières années ont porté sur l’effet de la psychothérapie personnelle du thérapeute sur son travail clinique (Orlinsky et al., 2005). La plupart d’entre elles soulèvent un effet positif de la psychothérapie sur le développement personnel et professionnel du psychothérapeute (Norcross, 2005; Norcross, Bike, Evans, & Schatz, 2008; Norcross & Wampold, 2011), mais les résultats ne sont pas toujours significatifs quant au réel impact sur le patient. De plus, peu de ces études sont en mesure d’identifier spécifiquement les effets précis de cette variable sur le travail thérapeutique du professionnel. Dubé et Normandin (1999), quant à eux, ont montré que les thérapeutes ayant eu recours à une psychothérapie personnelle utilisaient plus en profondeur l’AM-T réflective. Ce lien pourrait être modulé par un apprentissage plus élaboré de la gestion des émotions via la thérapie personnelle. La compréhension du monde interne du patient et de la relation thérapeutique serait ainsi plus élaborée chez les thérapeutes ayant eux-mêmes consulté (Dubé & Normandin, 1999). Toutefois, aucun lien significatif n’a été obtenu jusqu’à présent entre le fait d’avoir eu recours à une psychothérapie personnelle et les autres activités mentales de l’intervenant.

L’orientation théorique et son lien avec l’AM-T n’ont fait l’objet que d’une seule étude. Dans cette étude, les thérapeutes d’approches humaniste et psychodynamique utilisaient davantage l’AM-T réflective que les thérapeutes d’orientation comportementale. Ces derniers emploieraient plus majoritairement l’AM-T rationnelle (Normandin &

Bouchard, 1993). De plus, les thérapeutes d’orientation humaniste/existentielle auraient légèrement plus recours à l’AM-T réflective que ceux d’orientation psychodynamique, possiblement en raison de l’empathie et l’exploration de l’expérience dans l’ici et

maintenant qui sont au cœur des techniques de l’approche humaniste (Normandin &

Bouchard, 1993). Toutefois, ce résultat n’a pas été répliqué dans aucune autre étude à ce jour.

En résumé, bien que différentes variables reliées au thérapeute semblent jouer un rôle dans les processus mentaux déployés par ce dernier, les travaux portant spécifiquement sur l’AM-T demeurent limités et leurs résultats pourraient bénéficier de réplications. Des études s’intéressant aux variables du thérapeute s’avèrent donc pertinentes afin de pouvoir définir quelles sont les sources d’influence des AM-Ts et de mieux comprendre comment elles s’organisent et fonctionnent chez les différents thérapeutes. La mesure de l’AM-T ayant subi une révision récemment (Maheux et al., article en préparation), les études sur les liens entre l’AM-T et les variables du thérapeute sont également une opportunité de poursuivre la validation de la GAM-T, appuyant ainsi la validité de construit de sa mesure et enrichissant les connaissances empiriques sur l’AM-T. De plus, les recherches précédentes sur l’AM-T n’ont pas porté sur les liens dynamiques ou sur les profils d’utilisation des trois modes d’activités mentales du thérapeute, lorsque considérés simultanément. Pourtant, nous savons que les trois AM-Ts peuvent être utilisées par les professionnels de façon séquentielle ou parallèle durant l’écoute d’une même séance de traitement (Normandin, 1991). Il est donc possible de mieux catégoriser ces processus mentaux selon un profil combinant les modes rationnel, réactif et réflectif. Il serait hautement pertinent de savoir s’il existe des profils d’AM-T chez les thérapeutes (des grands patrons d’utilisation), si ces thérapeutes présentent des différences en fonction de ces profils et si certaines caractéristiques des thérapeutes les prédisposent à présenter un profil particulier.

Le premier objectif de cette étude est d’examiner le lien entre diverses caractéristiques des thérapeutes et leur utilisation des activités mentales de types rationnelle, réactive et réflective. L’hypothèse formulée est que certaines caractéristiques du thérapeute permettront de prédire le recours aux différentes AM-Ts. Le second objectif consiste à

vérifier si certains profils d’AM-T se dégagent et sont reliés aux caractéristiques professionnelles et personnelles des thérapeutes. Il est attendu que certains profils précis d’AM-T soient retrouvés dans notre échantillon, mais ce volet demeure exploratoire.

3.3 Méthode