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Chapitre 2 Révision conceptuelle de la Grille d’Analyse du Contre-transfert (GAC) et

2.1 Résumé

2.1.1 L’Activité Mentale du Thérapeute (AM-T)

L’AM-T se définit comme étant l’ensemble des processus mentaux du thérapeute impliqués dans l’écoute du discours du patient et menant à une compréhension affective, cognitive et relationnelle du patient (Dube & Normandin, 2007; Normandin, 1991; Normandin & Bouchard, 1993). Plus spécifiquement, l’AM-T consiste en l’écoute du discours du patient et la transformation de ce discours en représentations mentales cognitives et affectives du monde psychologique du patient ou de la relation thérapeutique (Dube & Normandin, 2007; Normandin & Bouchard, 1993). Selon sa

définition actuelle, l’AM-T permet de définir et regrouper l’ensemble des processus mentaux des thérapeutes en trois types d’états mentaux ou trois modes d’activités mentales différents dans lesquels peut se trouver le thérapeute lors de l’écoute thérapeutique : l’activité mentale rationnelle, l’activité mentale réactive et l’activité mentale réflective (Normandin, 1991).

Dans le mode rationnel, le thérapeute réfléchit en termes d’observations concrètes, d’hypothèses et de théories. Il s’agit du pôle entièrement cognitif de son processus de réflexion (Normandin & Bouchard, 1993). Lorsqu’il se trouve dans un mode rationnel, le thérapeute a recours à ses ressources purement cognitives, ses connaissances acquises, son bagage théorique ou à son sens commun et sa logique. Un thérapeute dans un mode rationnel pourrait concentrer son attention sur l’observation de comportements du patient en séance, en notant par exemple que ce dernier présente beaucoup de tics ou qu’il fuit le regard du thérapeute. Le thérapeute pourrait également se trouver dans une AM-T rationnelle plus complexe, en émettant des hypothèses théoriques sur les difficultés du patient ou en proposant une théorie élaborée sur les difficultés de ce dernier, celle-ci étant basée uniquement sur ses observations, ses hypothèses et ses connaissances du diagnostic ou de la psychopathologie par exemple. L’AM-T rationnelle est d’ailleurs un processus mental nécessaire permettant au thérapeute un ancrage dans la réalité objective et le menant à effectuer un diagnostic différentiel ou à proposer un plan de traitement éprouvé empiriquement. Cette AM-T permet également de maintenir le contact avec la réalité, même lors de contextes émotionnellement intenses et de pouvoir maintenir une neutralité nécessaire à la pratique de la psychothérapie (Normandin & Bouchard, 1993; Normandin & Ensink, 2007).

À l’opposé, le thérapeute peut se trouver dans un mode entièrement expérientiel, où il est envahi par les émotions, sensations, impressions que lui fait vivre le patient. Ce mode correspond à des réactions peu ou non métabolisées, à la limite de la conscience ou parfois complètement inconscientes. Le thérapeute est alors incapable de comprendre ou de réfléchir aux émotions ou états qu’il expérimente. Il s’agit du mode réactif (Normandin & Bouchard, 1993). L’AM-T réactive est une ou un ensemble de réactions subjectives inconscientes chez le thérapeute, réactions qui échappent à ses explications

ou à sa logique. Ce mode est une opérationnalisation des réactions non-mentalisées du thérapeute face au patient, réactions aussi connues sous le terme de contre-transfert (Betan et al., 2005; Freud, 1912). Lors du contact clinique, le thérapeute peut par moment être envahi par ses réactions émotives face au patient, ce qui peut interférer sur son écoute et sur sa formulation d’hypothèses ou d’interventions appropriées aux besoins du patient. Souvent, l’AM-T réactive témoigne d’enjeux importants, appartenant généralement au patient, mais pouvant également faire écho à ceux du thérapeute (Normandin & Bouchard, 1993). L’AM-T réactive peut donc être riche d’informations cliniques. Toutefois, si le thérapeute demeure uniquement dans l’AM-T réactive, il n’est alors pas en mesure d’utiliser ces informations affectives afin d’obtenir une compréhension claire et juste de la dynamique du patient. L’AM-T est alors biaisée ou confondue par des pensées ou émotions qui affectent le thérapeute et activent des conflits qui lui sont propres. Le thérapeute ressent alors de la confusion, peut réagir de façon impulsive et intervenir d’une façon inappropriée ou non aidante à la problématique du patient. Lorsque le thérapeute demeure dans l’AM-T réactive seulement, ses interprétations ou interventions peuvent être déformées ou biaisées (Normandin, 1991).

Finalement, le thérapeute peut se trouver dans un mode réflectif. L’AM-T réflective est un processus mental où le thérapeute prend conscience de l’expérience affective, cognitive ou sensorielle ressentie au contact du patient en y portant une attention particulière afin de lui donner un sens et une signification (Normandin, 1991; Normandin & Bouchard, 1993). Le thérapeute se sert par la suite de cette réflexion pour élaborer une compréhension du patient qui lui est unique, sensible et correspondant au vécu subjectif de ce dernier. Les ressources cognitives du thérapeute sont donc mises à profit dans l’AM-T réflective, puisqu’elles lui permettent d’organiser l’information affective en une compréhension cohérente et riche. L’AM-T réflective est aussi une activité où le thérapeute se développe une représentation symbolique ou présymbolique de ce que vit le patient, effort effectué par le thérapeute pour se représenter les enjeux du patient ou ses dynamiques internes (Normandin & Ensink, 2007). Il s’agit d’un processus de métabolisation de l’ensemble des réactions, sensations, pensées, impressions que lui fait vivre le patient et d’un effort pour tenter d’en tirer un sens et

une compréhension spécifique du patient dans sa réalité subjective. Par exemple, le thérapeute pourrait identifier qu’il se sent contrôlé par le patient, sentiment qui lui serait d’abord inconfortable et diffus. Cependant, suite aux efforts de réflexion de cette expérience affective, le thérapeute pourrait éventuellement comprendre que le patient ressent une grande peur des relations et ainsi le thérapeute pourrait mieux saisir l’expérience vécue par le patient dans la relation thérapeutique. À partir de cette expérience, le thérapeute pourrait également élaborer une riche compréhension des mécanismes mis en branle chez le patient pour se protéger de la relation avec l’autre. Ainsi, l’AM-T réflective apparaît comme étant un processus permettant l’élaboration d’interprétations ou d’interventions très proches du vécu subjectif du patient. C’est pourquoi l’AM-T réflective est constituée à la fois de composantes affectives et cognitives, ces deux aspects étant importants dans la représentation que le thérapeute développe du patient. Comme l’AM-T réflective se nourrit en partie de l’expérience affective ressentie, l’AM-T réactive peut éventuellement, si elle est amenée à la conscience, s’orienter vers une AM-T réflective et contribuer à une compréhension accrue du patient.

Le concept d’AM-T a été développé par Normandin (1991) et prend son origine dans les recherches sur le contre-transfert (CT) et la mesure des réactions expérimentées par le thérapeute au contact du patient. En effet, l’AM-T représente à la base un effort pour opérationnaliser, de façon intégrée, les processus de pensée portant sur les réactions contre-transférentielles du thérapeute, ralliant ainsi les différentes composantes du CT dans sa définition plus contemporaine. Ayant été considéré et étudié sous différentes perspectives (Freud, 1910; Grotjahn, 1950; Heimann, 1960) le CT est aujourd’hui décrit comme étant l’ensemble des pensées, émotions, réactions que le thérapeute ressent au contact d’un patient (Kernberg, 1965, 2005; Racker, 1957). Cette définition intègre aussi bien les composantes cognitives qu’affectives importantes dans l’expérience vécue par le thérapeute lors du contact thérapeutique. Le CT est également un phénomène présent dans toutes les psychothérapies, peu importe l’approche théorique adoptée (Beutler et al., 2012; Cartwright, 2011; Ellis, 2001; Gelso & Hayes, 2007). Si la plupart des instruments mesurant les réactions contre-transférentielles se penchent sur un seul des aspects du CT, soit l’aspect comportemental ou affectif, le concept d’AM-T quant à lui

permet autant la mesure des processus affectifs et émotifs que des processus cognitifs en jeu lors de l’écoute thérapeutique. En ce sens, en plus d’être une mesure intégrative du CT, l’AM-T est aussi un construit qui permet de faire un pas de plus dans l’étude des processus sous-jacents au travail thérapeutique en facilitant l’opérationnalisation de la réalité du thérapeute et en proposant une mesure transthéorique de la pensée du thérapeute.

Il a récemment été proposé par l’auteure de la GAC (Normandin & Ensink, 2007) que le concept d’AM-T, et plus spécifiquement l’AM-T réflective, s’apparente aux concepts de Fonctionnement Réflexif (FR) et de mentalisation, tels qu’élaborés par Fonagy et ses collaborateurs (Fonagy et al., 1998; Fonagy et al., 1996; Fonagy et al., 1991; Fonagy & Target, 1997). Bien qu’ayant été élaborés indépendamment l’un de l’autre, ces construits présentent de nombreuses similarités. Par exemple, le FR est une mesure de l’activité mentale à la fois affective et cognitive, par laquelle une personne parvient à bien comprendre les états mentaux et les émotions d’une autre personne (Ensink et al., 2007; Karlsson & Kermott, 2006; Markowitz & Milrod, 2011). La mentalisation est le processus par lequel l’individu comprend les subtilités des émotions et réactions d’autrui et des siennes, en s’imaginant et en se représentant les états mentaux qui sous-tendent ses propres comportements et ceux des autres lors des interactions sociales (Bateman & Fonagy, 2004; Choi-Kain & Gunderson, 2008; Fonagy & Adshead, 2012). Cette fonction permet à l’individu de se comprendre et de comprendre l’autre selon la représentation qui est faite des états mentaux et émotions sous-jacentes aux comportements (Fonagy et al., 1998; Fonagy & Target, 1997, 2005; Slade, 2005). Il permet également de mieux saisir le monde interne de soi et de l’autre. Au fil de la dernière décennie et suite à de nombreuses études portant sur ce construit, Fonagy et ses collègues (Fonagy, 2006; Fonagy & Adshead, 2012; Fonagy & Bateman, 2006; Fonagy et al., 2012) ont raffiné leur définition de la mentalisation et ont contribué à mieux situer ce concept à la fois sur le plan développemental, évolutif et relationnel (Fonagy, 2006; Fonagy & Luyten, 2009). Les recherches récentes montrent que la mentalisation peut à la fois être dirigée vers soi et vers l’autre, être implicite et explicite, bien que plutôt automatique dans les contextes chargés d’affects, et est constituée à la fois de composantes cognitives et émotives (Bateman & Fonagy, 2012; Fonagy et al., 2012;

Fonagy & Luyten, 2009). Ces travaux, ainsi que ceux portant sur l’AM-T, permettent aujourd’hui d’établir des liens possibles entre ces deux construits présentant de nombreuses similarités dans leur conception théorique, l’AM-T étant toutefois spécifique au thérapeute en contexte psychothérapeutique.