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Chapitre 2 Révision conceptuelle de la Grille d’Analyse du Contre-transfert (GAC) et

3.3 Méthode

3.5.5 Profils d’AM-T chez les thérapeutes

De façon générale, les modèles de régression nous permettent de prédire le recours ou le degré d’utilisation d’une échelle, indépendamment des deux autres types d’AM-T. Bien que cette façon d’évaluer l’AM-T permette davantage de précision dans la prédiction de l’utilisation de chaque échelle, elle ne permet pas de dresser un portrait intégratif des trois AM-Ts. Le second volet de la présente étude a permis, pour la première fois, d’étudier les trois échelles d’AM-T de façon intégrative afin de dégager de grands profils de thérapeutes. L’analyse par profils nous permet d’apprécier la distribution de l’investissement d’un thérapeute à travers les trois échelles d’AM-T simultanément. Dans notre échantillon de 107 thérapeutes, trois patrons spécifiques d’utilisation ont été mis en évidence par l’analyse de classification. Ces trois profils présentent des différences significatives en ce qui a trait à une ou plusieurs de leurs échelles, ce qui en fait trois groupes distincts, présentant des patrons différents lorsque les trois échelles sont prises en compte.

Le premier profil retrouvé comporte 50 participants. Il s’agit d’un profil caractérisé par un haut score sur l’échelle de réflectivité par rapport à un faible score sur les deux autres AM-Ts. Ce profil pourrait donc être considéré comme un groupe efficace sur le plan de la mentalisation. Toutefois, ces thérapeutes ne semblent pas intégrer leurs connaissances théoriques à l’expérience subjective qu’ils ont du patient, puisque leur AM-T rationnelle est très faible, comparativement à leur AM-T réflective. Les analyses montrent que ce profil comprend significativement moins de thérapeutes d’expérience. Ces thérapeutes sont également très peu réactifs. Ils semblent donc présenter minimalement une bonne gestion de leurs réactions émotives et contre-transférentielles face au patient et être en mesure de bien s’immerger dans le monde affectif et symbolique de ce dernier. Puisque ce profil est représenté par davantage de thérapeutes novices, il est possible qu’il s’agisse de thérapeutes présentant une tendance naturelle pour la mentalisation, sans toutefois avoir beaucoup d’entrainement leur ayant permis de développer l’ensemble de leurs compétences comme thérapeute. Il leur est donc difficile d’utiliser et d’intégrer les notions théoriques en psychopathologie et de faire des liens entre les différentes théories existantes et l’expérience ressentie chez le patient. Il semble s’agir de thérapeutes qui ont une confiance en leur expérience émotionnelle face à l’autre et qui y accordent une grande importance, sans y rester coincé et en gardant l’intérêt du patient en premier plan.

Le deuxième profil, quant à lui, est constitué de 40 participants et correspond à trois AM-Ts de faibles niveaux, avec une tendance plus prononcée pour le réactif qui est légèrement plus élevé que les deux autres échelles. Ce profil inclut des thérapeutes au niveau d’expérience diversifié. Il semble s’agir de thérapeutes non-mentaliseurs. Ces thérapeutes semblent plus particulièrement envahis par les émotions expérimentées en séance, ils se retrouvent alors dépourvus et semblent avoir de la difficulté à explorer en profondeur l’expérience émotionnelle ressentie. Leur compréhension du patient est plus souvent biaisée par leurs propres émotions et ils ne parviennent pas à utiliser l’expérience affective ressentie au profit d’une compréhension plus riche du patient. Il s’agit de thérapeutes qui font de brèves observations et des hypothèses peu élaborées en ce qui a trait à l’AM-T rationnelle. Pour l’AM-T réflective, ils présentent quelques émergences quant aux possibles états ressentis par le patient, mais l’AM-T réflective

demeure très peu élaborée. Le niveau de réactivité plus élevé et le niveau faible d’AM-T réflective et rationnelle chez ces thérapeutes suggèrent d’abord que ces derniers n’ont peut-être pas les outils pour prendre conscience et réguler les émotions ressenties face au patient. Par contre, ce niveau de réactivité peut également être un potentiel à développer chez ces thérapeutes. En effet, il a été démontré dans des études antérieures que la réactivité, processus automatique et instinctif, est nourrie d’états émotionnels intenses qui renseignent sur la dynamique interne du patient, sur ses mécanismes de défense et sur ses relations d’objet (Kernberg, 1985, 1994, 2010). Des études montrent d’ailleurs que l’AM-T réactive est souvent retrouvée chez des thérapeutes experts, car l’AM-T réactive est en partie la porte d’entrée sur le monde interne du patient (Lecours et al., 1995). D’ailleurs, Carsky et Yeomans (2012) soulèvent l’importance pour les thérapeutes d’être ouverts et à l’affut de leurs réactions contre-transférentielles, ce dont est constituée l’AM-T réactive, le contre-transfert étant considéré comme un des canaux de communication importants du patient vers le thérapeute. Des études montrent que les thérapeutes qui sont en mesure de s’attarder à leur AM-T réactive ont un accès privilégié à l’expérience interne du patient (Normandin & Bouchard, 1993). Si le thérapeute prend conscience de ses émotions et les analyse, cette expérience affective est à même de le renseigner de façon riche sur les dynamiques internes du patient (Markowitz & Milrod, 2011). Ainsi, ces thérapeutes présentant un haut niveau de réactivité pourraient présenter un potentiel à ressentir l’expérience du patient et éventuellement à effectuer de l’AM-T réflective au service d’une meilleure compréhension du patient. Puisqu’ils présentent un faible niveau réflectif, il se peut toutefois que ce processus doive leur être appris, soit dans le cadre d’une formation, ou encore dans le contexte de la supervision. Il a d’ailleurs été démontré, dans l’article de Ensink et al. (2013), qu’il était possible d’apprendre à de jeunes thérapeutes à mentaliser davantage par rapport aux patients, et ce, à l’aide d’une formation de courte durée axée sur la mentalisation. Il est possible d’émettre l’hypothèse que les profils 1 et 2 puissent être de bons candidats pour ce type de formation, et plus particulièrement le profil 2 qui pourrait tirer profit de ce type d’encadrement.

Finalement, le troisième profil est constitué de 17 participants. Ce profil se caractérise par une utilisation complète du cycle de l’AM-T réflective et rationnelle, mais d’une

faible AM-T réactive. Ce groupe est constitué de plus de thérapeutes expérimentés, comparativement au profil 1. Ce groupe pourrait être défini comme étant des super- mentaliseurs, dans la mesure où ils arrivent à utiliser l'AM-T réflective dans sa forme la plus complexe, c’est-à-dire qu’ils s’immergent dans le monde interne du patient et parviennent également à élaborer une compréhension unique et enrichie du patient à partir de cette expérience affective. De plus, ils utilisent l’AM-T rationnelle avec confiance et complexité, étant en mesure également d’appuyer et d’étayer leur compréhension affective par des théories connues, par leur sens de la déduction et de la logique ou par leurs connaissances cliniques en général. L’utilisation de ces deux activités mentales durant l’interaction clinique apparait complexe, puisqu’elle demande un aller-retour entre une écoute à la fois sensible et affective, mais également rationnelle et théorique. Ces thérapeutes présentent également une faible réactivité; il semble donc que leur expérience affective soit récupérée presque entièrement au service de l'AM-T réflective.

Il est primordial de rappeler que ces profils ne sont pas des indicateurs de l’efficacité thérapeutique chez les thérapeutes, notre étude ne permettant pas de déterminer les profils qui seraient davantage liés à l’efficacité thérapeutique. Toutefois, ces profils nous permettent d’apprécier de façon exploratoire et descriptive les différents patrons d’utilisation des trois AM-Ts. Il serait intéressant, dans le cadre d’études futures, d’établir des liens entre ces profils et les interventions du thérapeute en contexte clinique. À cette étape de l’étude de l’AM-T, il n’est pas non plus possible de savoir l’impact concret des profils d’AM-T ou de l’utilisation de certaines AM-Ts sur les interventions réelles du thérapeute en séance. D’autres études seraient nécessaires pour explorer ce lien.

L’analyse par profils nous renseigne sur la façon avec laquelle un thérapeute utilise les différents modes d’écoute thérapeutique face à un patient. Peu des variables de notre étude semblent en mesure de prédire l’appartenance à un profil spécifique. La prédiction d’une combinaison de facteurs comme les profils est certainement plus complexe, puisqu’elle implique de prédire le comportement de trois échelles distinctes. De plus, puisque ces trois échelles représentent la pensée du thérapeute, il s’agit d’une variable

multifacette, aux degrés de complexité et de subtilité multiples. Les thérapeutes des trois profils présentent des différences significatives en ce qui a trait à l’expérience clinique. En effet, le profil 3, utilisant majoritairement l’AM-T rationnelle et réflective, a significativement plus d’expérience clinique que le profil 1. Il est possible que le niveau d’expérience des thérapeutes leur permette d’avoir à la fois un meilleur recours à leurs capacités de mentalisation, tout en étant en mesure d’établir des liens avec leur bagage théorique et leurs connaissances cliniques. Les années d’expérience clinique offriraient davantage de possibilités pour développer la capacité à comprendre l’autre (Brody & Farber, 1996). De plus, leur expérience leur permettrait une certaine aisance quant à l’utilisation des concepts cliniques, ce qui expliquerait également leur grande utilisation de l’échelle rationnelle. D’un point de vue plus général, il est possible que les capacités de mentalisation des thérapeutes puissent s’accroitre avec l’âge et l’expérience, deux variables intimement reliées. Des études neurocognitives ont d’ailleurs démontré une activité cérébrale plus prononcée chez les sujets plus âgés, dans les régions associées aux capacités de mentalisation et aux jugements moraux (Harenski, Harenski, Shane, & Kiehl, 2012). D’un point de vue clinique, il est possible que le fait d’être exposé à des problématiques diverses et de recevoir de la supervision amènent à développer une meilleure capacité à réfléchir sur les expériences douloureuses de l’autre et à faire des liens avec les théories associées. Les thérapeutes expérimentés auraient développé une confiance en leurs intuitions cliniques, se laisseraient davantage toucher par les différentes émotions exprimées par le patient, en auraient moins peur et seraient capables de les expérimenter, de les analyser en profondeur, tout en gardant leur capacité à réfléchir rationnellement.

En plus de se pencher sur les autres variables pouvant avoir une influence sur l’AM-T, il serait également pertinent de s’intéresser éventuellement au lien entre les profils d’AM- T et l’efficacité réelle des interventions thérapeutiques qui en découlent auprès des patients. Peu de variables du thérapeute ont été montrées comme étant liées à l’efficacité thérapeutique jusqu’ici, outre l’alliance (Wampold, 2001). Aucune des variables du thérapeute ne semblent avoir de lien significatif spécifique avec l’obtention de résultats thérapeutiques positifs (Beutler, 2004), bien que la variable du thérapeute semble avoir un impact considérable sur la thérapie (Crits-Christoph et al., 1991). Les attributs ou les

qualités statiques des psychothérapeutes étudiés hors du contexte thérapeutique, c’est-à- dire hors de l’interaction spécifique entre un client et un psychothérapeute, ne semblent pas avoir d’effet direct sur la thérapie (Lecomte et al., 2004). Il se pourrait donc que la façon de réfléchir du thérapeute, ainsi que sa façon de comprendre le patient, soit une variable intermédiaire permettant d’expliquer une partie de son efficacité. Il pourrait s’avérer pertinent, dans le cadre d’études futures, d’étudier comment l’AM-T et les processus mentaux du thérapeute peuvent avoir un impact sur les capacités du thérapeute à établir une bonne alliance, sur sa façon d’établir une relation thérapeutique favorable et ultimement, sur l’efficacité thérapeutique.

3.6 Conclusion

Ainsi, de nombreuses variables pourraient influencer le fait d’utiliser certaines activités mentales ou de présenter un profil spécifique. Il serait pertinent, dans le cadre de recherches futures, d’investiguer davantage les profils d’AM-T, afin de mieux comprendre l’impact de ces profils sur l’intervention et la thérapie. Il serait intéressant de vérifier si certains profils sont associés à une meilleure alliance, à l’élaboration de meilleurs diagnostics ou une meilleure efficacité thérapeutique. De plus, il serait pertinent de vérifier si certains profils bénéficient davantage de certaines formations spécialisées, de certains modèles de supervision ou d’un type de formation clinique adaptée à leurs besoins. Tel que mentionné précédemment, il est clair que l’exploration et la reconnaissance par le thérapeute de son style d’AM-T privilégié ouvre la porte à une meilleure connaissance de soi, tant sur le plan personnel que professionnel, et à la possibilité de nouvelles avenues de réflexion par rapport au patient et à l’intervention (Normandin & Ensink, 2007).