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Chapitre 2 Révision conceptuelle de la Grille d’Analyse du Contre-transfert (GAC) et

2.6 Conclusion

3.2.1 Activités mentales du thérapeute

Au cours des dernières décennies, les processus mentaux du thérapeute ont été étudiés selon différentes perspectives, tant dans le domaine de la psychologie clinique que sociale, recherches portant notamment sur les attributions, les styles cognitifs et la résolution de problèmes (Heider, 1958; Mayer & Salovey, 1993; Riding & Cheema,

1991; Sternberg & Zhang, 2001; Weiner, 1985). Dans le contexte thérapeutique plus particulièrement, les processus mentaux du thérapeute ont d’abord été investigués sous l’angle du contre-transfert (CT), de l’activité référentielle (Bucci & Maskit, 2006; Dube & Normandin, 2007) et de façon plus contemporaine, sous l’angle de la mentalisation et du Fonctionnement Réflexif (FR) (Allen et al., 2008; Diamond et al., 2003; Ensink et al., 2013; Ensink et al., 2007; Jones, 2000; Karlsson & Kermott, 2006). Chez le thérapeute plus spécifiquement, ces processus ont été étudiés récemment en termes d’activités mentales, faisant ainsi référence à l’ensemble de ses capacités d’écoute, de décodage et d’interprétation en présence d’un patient (Normandin, 1991).

L’activité mentale du thérapeute (AM-T) englobe l’ensemble des processus de réflexion qui portent sur les pensées, émotions, sensations, expériences ressenties ou vécues par le thérapeute au contact du patient (Normandin, 1991; Normandin & Bouchard, 1993). Ce concept rassemble donc à la fois les composantes affectives, cognitives et relationnelles de l’expérience vécue par le thérapeute dans l’interaction clinique et réfère également aux capacités de mentalisation du thérapeute (Ensink et al., 2013; Ensink et al., 2007; Maheux, Normandin, Sabourin, & Ensink, article en préparation; Normandin & Ensink, 2007). L’AM-T regroupe trois modes qui constituent des états ou des processus dans lesquels le thérapeute peut se trouver lorsqu’il écoute un patient : le mode rationnel, purement cognitif et théorique, le mode réactif, purement émotif et souvent plus intense, envahissant et inconscient, et le mode réflectif, qui constitue l’activité de mentalisation du thérapeute, où ce dernier utilise son expérience affective et ses représentations symboliques pour se construire une compréhension unique du patient. Le thérapeute peut alterner entre ces modes, les utiliser de façon parallèle ou séquentielle durant l’écoute thérapeutique.

3.2.1.1 Mode d’activité mentale rationnelle

L’AM-T rationnelle est une activité mentale hypothético-déductive qui amène le thérapeute à une compréhension objective du patient. Dans ce mode, le thérapeute base sa réflexion sur ses observations et ses connaissances théoriques et tente de catégoriser

le patient selon des modèles explicatifs existants. Par exemple, le thérapeute peut faire des observations sur l’apparence, les propos ou le non-verbal du patient, émettre des hypothèses diagnostiques sur le trouble ou la psychopathologie du patient, commenter des comportements objectivables ou élaborer une théorie explicative des difficultés du patient, à partir de ses connaissances théoriques ou du sens commun. Le thérapeute se positionne d’un point de vue extérieur, il se trouve dans une position détachée et non- participante.

3.2.1.2 Mode d’activité mentale réactive

L’AM-T réactive, quant à elle, correspond à un état émotionnellement chargé et engagé, où le thérapeute expérimente des affects de façon intense et parfois aliénante. Le thérapeute réagit de façon brute et spontanée à ce que le patient suscite en lui, par exemple en prenant parti pour ce dernier, en l’idéalisant ou au contraire en le rejetant massivement ou en posant des jugements erronés sur ce dernier. Puisque le mode réactif est majoritairement constitué de réactions affectives inconscientes, le thérapeute peut se trouver piégé dans l’expérience affective sans être en mesure de dégager un sens clinique de l’état ressenti. L’AM-T réactive réfère donc aux «points aveugles» du thérapeute, ses réactions n’étant pas directement accessibles à sa conscience. En ce sens, les enjeux du client peuvent perturber le thérapeute et provoquer chez lui de l'anxiété, surtout s’ils touchent à ses enjeux personnels (Williams, Judge, Hill, & Hoffman, 1997). L’AM-T réactive est également définie comme étant une opérationnalisation des réactions contre-transférentielles pouvant être expérimentées par le thérapeute (Normandin, 1991; Normandin & Bouchard, 1993). Ce mode d’AM-T peut mener à une mauvaise interprétation de la dynamique interne du client et être dommageable au processus thérapeutique, si le thérapeute en demeure inconscient (Mohr, 1995). Si le thérapeute parvient à prendre conscience de son AM-T réactive, il a alors la possibilité d’utiliser ces informations de nature émotive et ainsi de se diriger vers l’utilisation d’une AM-T réflective.

3.2.1.3 Mode d’activité mentale réflective

Finalement, l’AM-T réflective est un processus d’intégration à la fois de l’expérience affective, cognitive, relationnelle et sensorielle vécue par le thérapeute au contact du patient. Le thérapeute utilise ses réactions subjectives, les représentations symboliques qui lui viennent à l’esprit, ses sensations et ses ressources cognitives afin de dégager un sens de sa propre expérience et de celle du patient lors de l’interaction thérapeutique. Contrairement au mode réactif, le thérapeute dans le mode réflectif est conscient de l’expérience ressentie et fournit un effort délibéré pour s’immerger dans cette expérience, mais aussi pour comprendre la dynamique interne du client. Il utilise ses réactions subjectives conscientes ou préconscientes au service d’une compréhension articulée et spécifique du patient. Le thérapeute tente d’identifier et d’élaborer ses réactions internes, celles-ci pouvant être au départ vagues, imprécises et diffuses (étape d’émergence), pour ensuite devenir une expérience de plus en plus spécifique et élaborée. Le thérapeute s’imprègne alors de l’expérience affective (immersion) et en élabore une compréhension riche et articulée des difficultés du patient et de son monde interne (élaboration) (Maheux et al., article en préparation; Normandin, 1991).

L’AM-T est un construit récent et fait l’objet d’un nombre grandissant d’études. Bien que sa mesure ait été révisée et validée au fil des dernières années (Dube & Normandin, 2007; Dubé & Normandin, 1999; Maheux et al., article en préparation; Normandin, Dube, & Parent, 2002), les connaissances quant à ses sources d’influence et à son fonctionnement restent limitées. Quelques chercheurs se sont intéressés à mieux décrire les variables associées à l’AM-T ou à des construits apparentés, telles que le contre- transfert, le fonctionnement réflexif, la mentalisation, l’empathie et la théorie de l’esprit (Brune & Brune-Cohrs, 2006; Elliott, Bohart, Watson, & Greenberg, 2011; Fonagy & Adshead, 2012; Gelso & Hayes, 2001; Schauenburg et al., 2010). Ces études portent sur les caractéristiques du patient ou du thérapeute, et tentent d’établir le lien entre ces variables et le fonctionnement des processus mentaux du thérapeute lors de l’écoute thérapeutique. Dans le cadre de la présente étude, une recension des recherches portant sur l’influence des caractéristiques du thérapeute sur l’AM-T sera présentée.