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Chapitre 2 Révision conceptuelle de la Grille d’Analyse du Contre-transfert (GAC) et

2.5 Discussion

Globalement, les résultats obtenus permettent de confirmer les apports de la révision de la GAM-T ainsi que le maintien et l’amélioration des qualités psychométriques de l’instrument. Les résultats de cette étude appuient l’idée que la GAM-T puisse être un outil fidèle et valide présentant d’excellentes propriétés psychométriques. Notre étude est un apport supplémentaire à l’ensemble des études déjà effectuées sur l’AM-T et

donne une meilleure accessibilité à la GAM-T. D’autres études utilisant l’instrument

révisé et testant de façon plus approfondie ses qualités métrologiques seraient nécessaires afin d’appuyer ces résultats et confirmer la validité de l’instrument.

Cette étude a permis de tester l’instrument sur un échantillon d’une centaine de thérapeutes, diversifié tant en termes d’âge, d’expérience, de genre et de caractéristiques personnelles et professionnelles. Il s’agit de l’étude sur l’AM-T présentant le plus large

échantillon recruté. Cet échantillon substantiel a permis de tester les qualités psychométriques de la grille, notamment auprès de thérapeute en cours de formation. La révision conceptuelle de la grille et du manuel de codification permettent de maintenir et renforcer l’utilisation de cet outil d’évaluation de l’AM-T. Avant tout, le processus de révision des échelles et de la procédure de codification était nécessaire afin d’uniformiser les changements apportés au fil des dernières années. De plus, la décision d’asseoir le construit d’AM-T sur celui de la mentalisation et de sa mesure du FR apporte d’autres appuis à la validité de contenu et à la validité apparente de cet instrument. En définissant et explicitant les théories sous-jacentes aux échelles et en établissant des liens avec des construits similaires, la validité de contenu de l’instrument ainsi que sa validité de construit deviennent de plus en plus solides au cours des études. Il est clair que la révision du manuel de codification permet aux coteurs d’avoir de meilleures balises pour identifier ce qui appartient à chaque mode d’AM-T et pour mieux définir la manifestation de chaque mode.

La codification à l’aide de la GAM-T apporte une amélioration substantielle de l’entente interjuge. Les ententes interjuges obtenues sont supérieures à celles des études précédentes utilisant la GAC. En effet, ces études montraient l’obtention d’ICCs acceptables entre 0,50 et 0,74, avec beaucoup de disparité selon les échelles (Dube & Normandin, 2007; Dubé & Normandin, 1999; Normandin & Bouchard, 1993; Parent, 2005), alors que l’entente inter-coteurs avec la GAM-T est excellente (supérieure à .80), tant pour le réflectif, le rationnel que le réactif. La GAM-T permet donc une meilleure stabilité et cohérence des ententes interjuges obtenues pour les différentes échelles. Ce résultat suggère que la révision conceptuelle de la GAC, l’arrimage avec les concepts associés, l’élaboration d’une échelle plus distincte pour chaque mode et l’élaboration d’échelles ordinales permettent de mieux saisir le concept dans le discours des thérapeutes, rendant ainsi la codification et l’entente plus faciles pour les coteurs. Il semble donc que les échelles soient suffisamment précises et claires pour permettre aux coteurs d’identifier les construits dans les protocoles cliniques et d’obtenir ainsi une entente très satisfaisante.

Pour avoir une représentation du comportement de la grille et des trois échelles de façon générale, il est important de pouvoir générer des distributions à partir de larges échantillons. Dans le cadre de cette étude, l’échantillon de 107 thérapeutes était hétérogène, malgré un fort pourcentage de thérapeutes en formation. L’utilisation d’un tel échantillon devait permettre de vérifier si les trois échelles pouvaient capter l’étendue

du construit sur son continuum. Le fait d’avoir dans notre échantillon une proportion

d’étudiants sans expérience clinique permettait également de s’assurer que chaque point

des trois échelles allait être représenté. Les statistiques descriptives montrent que les

trois échelles sont en mesure de bien capter l’ensemble du construit, les données se distribuant de 0 à 4 sur les trois échelles. Ceci confirme que la révision des échelles a procuré à l’instrument une bonne sensibilité quant aux nuances du continuum de chaque échelle. La courbe d’AM-T réactive obtenue à l’aide de la GAM-T montre quant à elle une déviation vers la gauche. Rappelons ici que les scores utilisés sont la moyenne des scores d’un participant aux sept vignettes présentées. Ce résultat est attendu étant donné que le réactif constitue une AM-T entièrement affective, impulsive et majoritairement inconsciente, et que les scores d’AM-T réactive de 3 et 4 (réactif primitif) sous-tendent un débordement émotionnel et une difficulté d’intégration ou de compréhension du patient (Bouchard et al., 1995; Dube & Normandin, 2007; Normandin & Bouchard, 1993). Il est donc attendu que la majorité de l’échantillon présente des scores de réactivité entre 0 et 2 (réactif mature), ce qui suggère une AM-T réactive plus intégrée, plus saine et ultimement potentiellement utile à la compréhension d’un patient. De plus, étant donné qu’une grande proportion de notre échantillon (plus de 60%) est jeune et inexpérimentée, il est possible que ces thérapeutes présentent une plus grande difficulté à se laisser aller dans des états affectifs plus primitifs et bruts que leur font vivre les patients, soit par peur et méconnaissance de ces états intenses ou par prudence, réassurance et conscience professionnelle (Lecours et al., 1995; Markowitz & Milrod, 2011; Normandin & Bouchard, 1993).

La matrice des intercorrélations effectuée entre les trois modes d’AM-T montre une indépendance relative des trois échelles d’AM-T. Ces résultats soutiennent le caractère distinct des trois échelles, les trois modes ne mesurant pas des concepts similaires. Ces résultats soutiennent la validité de construit des trois échelles et l'indépendance des trois

catégories, telle qu’attendue. Une corrélation significative négative faible a été obtenue entre l’échelle d’AM-T réflective et l’échelle d’AM-T réactive, ce qui est cohérent avec les résultats obtenus dans des études précédentes (Bouchard et al., 1995; Dube & Normandin, 2007; Dubé & Normandin, 1999; Normandin & Bouchard, 1993). En effet, l’AM-T réflective et l’AM-T réactive sont deux activités mentales théoriquement opposées et pouvant donc se retrouver sur un même continuum (Lecours et al., 1995; Normandin & Bouchard, 1993). L’AM-T réactive peut être conçue comme étant « anti- réflective » d’un point de vue théorique, si elle n'est pas apportée à la conscience. Dans l’AM-T réactive, le thérapeute est en « échec » de réflectivité, c’est-à-dire que les réactions affectives sont brutes et n’arrivent pas à être mentalisées (Normandin & Bouchard, 1993; Normandin & Ensink, 2007). Les AM-Ts réflective et réactive partagent toutes deux la composante affective, mais l’AM-T réactive demeure purement et uniquement émotive, alors que l’AM-T réflective comprend une composante cognitive importante lui permettant de faire du sens avec l’expérience émotionnelle ressentie et de prendre une distance par rapport aux émotions vécues. L’AM-T réflective peut également prendre une forme majoritairement cognitive, par exemple lorsque le thérapeute élabore une représentation symbolique du patient, ce qui diffère de l’AM-T réactive. La GAM-T présentant des échelles mieux définies et une conception plus élaborée des construits qu’elle mesure, il est donc attendu que la corrélation entre ces deux échelles demeure faible, contrairement à ce qui était retrouvé avec la GAC (Dube & Normandin, 2007; Dubé & Normandin, 1999; Normandin & Bouchard, 1993).

Des tests-t ont montré que l’échelle d’AM-T rationnelle permet de discriminer entre les participants ayant de l’expérience clinique et ceux n’en ayant pas. L’échelle d’AM-T réflective, quant à elle, permet de discriminer les sujets ayant eu recours à une psychothérapie de ceux n’y ayant jamais eu recours. Ces résultats sont un appui à la validité de construit de ces échelles et nous permettent de valider la capacité de ces deux échelles d’AM-T à discriminer les sujets entre eux, en fonction d’autres caractéristiques pouvant être corrélées à l’AM-T rationnelle et réflective. Il serait pertinent, dans le cadre études à venir, de vérifier également la validité discriminante des trois échelles d’AM-T, à partir d’autres mesures évaluant des construits différents des trois échelles d’AM-T.

L’étude pilote établissant des liens de corrélations entre le FR et les trois AM-Ts montre, tel qu’attendu, une corrélation positive et très forte entre le FR et l’AM-T réflective. Ce résultat soutient une possible validité convergente entre l’AM-T réflective et le concept de FR. Puisqu’il s’agit d’un très petit échantillon, il est primordial d’interpréter ce résultat avec prudence. L’échantillon utilisé pour l’étude pilote présente une puissance statistique de 17%, il est donc difficile de généraliser les résultats, bien que le FR et l’AM-T réflective apparaissent comme étant fortement corrélés. Ces analyses ont été effectuées à titre d’étude pilote, afin de vérifier s’il pouvait être prometteur de procéder à une investigation plus approfondie et systématique, à plus grande échelle, de l’établissement d’un lien entre l’AM-T réflective et le FR. Le résultat obtenu semble indiquer qu’il pourrait être pertinent de procéder à une étude empirique à plus grand effectif pour confirmer le lien entre ces deux construits. Il est clair sur le plan théorique que les concepts d’AM-T réflective et de FR présentent de nombreuses similarités. Ces deux processus permettent en effet au thérapeute de mieux saisir le monde interne de soi et de l’autre selon la représentation, à la fois affective et cognitive, qui est faite de ses désirs, de ses sentiments, de ses intentions, etc. (Choi-Kain & Gunderson, 2008; Fonagy et al., 1998; Fonagy et al., 1999; Fonagy & Target, 1997, 2005; Slade, 2005).

Cette étude pilote montre qu’il n’y aurait pas de lien clair entre le FR et l’AM-T rationnelle, ni de lien entre le FR et l’AM-T réactive. Toutefois, la faible puissance statistique ne permet pas de savoir si la corrélation non significative entre le FR et l’AM-T rationnelle (ρ= 0,431, p= 0,334) pourrait s’avérer significative, si elle était mesurée auprès d’un échantillon plus large. Un lien possible, de force moyenne, pourrait ainsi être retrouvé entre le FR et l’AM-T rationnelle. La composante cognitive importante présente dans le FR pourrait faire en sorte qu’un lien de force modérée et positif soit retrouvé entre l’AM-T rationnelle et le FR. Afin d’obtenir une puissance statistique de 80% (reconnue comme une puissance suffisante), un échantillon de 36 participants serait nécessaire pour vérifier cette corrélation. Le lien possible entre l’AM- T rationnelle et le FR serait donc à étudier auprès d’un échantillon de cette taille ou supérieur, dans le cadre d’études futures. De plus, l’échantillon recruté pour mesurer le FR présente peu de variabilité dans les scores d’AM-T rationnelle et réactive, ce qui

peut limiter la possibilité de trouver des liens de corrélation possibles. C’est pourquoi un échantillon plus large et présentant plus de variabilité serait nécessaire. Nos résultats, bien qu’ayant une portée limitée et demeurant exploratoires, appuient ce qu’Ensink et al. (2013) soulignent dans leur étude quant au lien étroit entre l’AM-T réflective et le FR. Ensink et al. (2013) affirment d’ailleurs pouvoir mesurer le FR du thérapeute à partir de l’échelle d’AM-T réflective de la GAM-T. Les résultats de notre étude pilote corroborent cette affirmation et représentent un premier pas vers le développement d’une mesure formelle pour mesure le FR et la mentalisation du thérapeute.

Cette étude de révision et de validation partielle devrait permettre une meilleure diffusion de l’instrument ainsi qu’une plus grande accessibilité à la GAM-T pour des recherches à venir. Il est clair, à la lumière des résultats obtenus dans la présente étude, que la GAM-T est un outil intéressant permettant de mesurer un concept complexe et dynamique. Peu d’outils à l’heure actuelle permettent une mesure intégrative des processus mentaux du thérapeute, de ses capacités réflectives et de ses réactions contre- transférentielles. Un tel outil pourrait s’avérer des plus utiles dans le cadre de la recherche clinique portant sur la variable du thérapeute, ainsi que dans l’étude des processus sous-jacents au travail de la psychothérapie. De plus, la GAM-T pourrait s’avérer un instrument prometteur pour la formation des thérapeutes. En effet, en plus d’être un outil validé empiriquement, cette grille permet aux thérapeutes de jeter un regard à la fois objectif mais également personnalisé sur leur travail et sur les processus en jeu lors du contact avec leurs patients. Dans ce contexte, la GAM-T pourrait également servir aux superviseurs cliniques, afin d’aider à guider les supervisés dans l’apprentissage de la psychothérapie. La GAM-T pourrait s’avérer un outil clinique pertinent pour soutenir le superviseur dans le développement des capacités de mentalisation du supervisé, la gestion de ses réactions contre-transférentielles et la compréhension des enjeux dynamiques au cœur de la relation thérapeutique. La GAM-T pourrait également être à la base de la formation offerte aux thérapeutes, afin qu’ils soient plus à l’affut des processus mentaux en jeu lors des interactions cliniques et qu’ils puissent les modifier au besoin. Tel que montré par Ensink et al. (2013), les modes d’AM-T peuvent être influencés par une formation spécifique. La formation standard des thérapeutes permettant déjà de favoriser l’AM-T rationnelle, il serait possiblement

aidant pour les jeunes professionnels de pouvoir bénéficier d’une formation soutenant le développement de leur FR et de leur capacité de mentalisation dans le cadre de leur travail auprès des patients. En effet, plusieurs auteurs soulèvent déjà l’importance des capacités réflectives du thérapeute dans les interventions et le travail thérapeutique (Allen, Fonagy, & Bateman, 2008; Fonagy, 2004; Jones, 2000; Karlsson & Kermott, 2006).

Dans le cadre d’études futures sur la GAM-T, il pourrait être pertinent de vérifier la corrélation entre les trois échelles d’AM-T et d’autres construits pouvant leur être corrélés, telles que l’empathie (pouvant être liée à l’AM-T réflective) ou l’impulsivité (pouvant être liée à l’AM-T réactive) par exemple. Il serait également intéressant d’appliquer la GAM-T à d’autres situations expérimentales, de plus en plus écologiques, en tentant par exemple de mesurer l’AM-T de thérapeutes à partir de leurs propres rencontres avec leurs patients. Il pourrait aussi être pertinent de mieux comprendre quelles sont les sources d’influence de l’AM-T, tant en ce qui concerne les variables du thérapeute lui-même qu’en ce qui a trait à l’influence du patient sur les capacités de réflexion du thérapeute. L’étude de cette interaction s’avère cruciale pour une meilleure compréhension des processus en jeu et des dynamiques au cœur de la psychothérapie, ainsi que des facteurs liés à l’efficacité thérapeutique.