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Chapitre 4 Discussion générale

4.2 Les capacités de mentalisation du thérapeute

De plus en plus d’auteurs soulignent l’importance d’étudier les capacités de mentalisation des thérapeutes (Allen et al., 2008; Ensink et al., 2013; Fonagy, 2004; Fonagy & Adshead, 2012; Jones, 2000; Karlsson & Kermott, 2006). Ceux-ci notent également l’importance de développer des instruments destinés à cette fin. En ce sens, cette thèse sur la GAM-T est un pas de plus dans l’étude de la mesure des capacités de mentalisation du thérapeute.

Alors que la mentalisation jouit d’un intérêt scientifique grandissant, tant dans le domaine des neurosciences cognitives (Fonagy, 2004; Frith & Frith, 2006) que dans le domaine clinique (Bateman & Fonagy, 2013; Fonagy et al., 2012; Karlsson, 2013; Luyten et al., 2012), les outils pour la mesurer en contexte thérapeutique demeurent limités. Pourtant, il est clair que la mentalisation est un construit des plus pertinents dans le domaine de la psychothérapie (Fonagy & Adshead, 2012). Des études ont montré l’importance du FR (opérationnalisation de la mentalisation) chez le patient, lui

permettant de mieux bénéficier de la psychothérapie et d’effectuer de meilleures améliorations sur le plan symptomatique et structural (Bateman & Fonagy, 2010b; Karlsson & Kermott, 2006; Levy, Clarkin et al., 2006). Le FR permet à l’individu de se comprendre et de comprendre l’autre selon la représentation qui est faite de ses désirs, de ses sentiments, de ses intentions, de ses pensées, de ses croyances, etc. (Fonagy et al., 1998; Fonagy & Target, 1997, 2005; Slade, 2005). Il permet également de mieux saisir le monde interne de soi et de l’autre, à la fois sur le plan cognitif et affectif. La définition du FR présente de nombreuses similarités avec la définition de l’AM-T réflective chez le thérapeute. En effet, tel que défini dans le manuel de codification de la GAM-T et les articles récents portant sur ce construit (Ensink et al., 2013; Ensink et al., 2007; Maheux et al., article en préparation), l’AM-T réflective est un effort de la part du thérapeute pour imaginer et comprendre les états mentaux et émotions sous-jacents aux comportements, symptômes ou réactions du patient, ainsi qu’une tentative de comprendre ses propres états et émotions face au patient. Suite à ce constat, les auteurs de la GAM-T ont donc, à partir d’un comité de révision officiel, jugé pertinent de repenser et redéfinir l’AM-T, et plus particulièrement l’AM-T réflective, comme étant une mesure des capacités de mentalisation du thérapeute à l’égard du patient. Ainsi, le processus de révision de la GAM-T s’avère un pas majeur dans un arrimage plus juste du construit et de sa mesure en lien avec les avancées théoriques et scientifiques sur la mentalisation. De plus, la révision du manuel de codification est également un atout majeur dans la capacité de codifier les capacités de mentalisation du thérapeute à partir des activités mentales du thérapeute. Considérant que le FR est maintenant reconnu comme une variable centrale au travail du thérapeute (Ensink et al., 2013; Fonagy & Bateman, 2006; Karlsson & Kermott, 2006), cette thèse contribue à l’intérêt grandissant pour la compréhension et la mesure du FR et de la mentalisation.

Les recherches sur le FR du patient ont mis en évidence l’importance de cette capacité dans le contexte de la thérapie, ce qui a progressivement mené à s’intéresser au FR du thérapeute lui-même, comme partie intégrante de la dyade thérapeutique (Jones, 2000; Karlsson & Kermott, 2006). Il est aujourd’hui proposé par plusieurs auteurs que la capacité du thérapeute à prendre conscience, de façon à la fois affective et cognitive, de ses propres états mentaux et de ceux de son patient, soit une technique thérapeutique

essentielle à l’acquisition d’une compréhension accrue du patient et contribuant à l’efficacité thérapeutique (Bateman & Fonagy, 2004; Fonagy et al., 1999). À cet égard, Fonagy et Shaver (1999) soulignent l’importance pour le thérapeute de bien se représenter les états mentaux de son patient afin d’être en mesure d’aider ce dernier à différencier ce qui correspond à son expérience interne propre et ce qui correspond à la réalité objective. Ainsi, le thérapeute peut mieux comprendre l’expérience subjective du patient et être en mesure d’y baser certaines de ses confrontations, interprétations et interventions. Notre étude représente donc une avancée importante dans la mesure du FR du thérapeute, puisqu’elle est la première à proposer un outil validé empiriquement pour mesurer cette capacité lors du contact avec le patient. Elle fait aussi suite à d’autres efforts scientifiques, comme le développement du PT AAI (Diamond et al., 2003), qui permet de mesurer le FR du thérapeute dans une relation spécifique avec son patient. La GAM-T, quant à elle, est plutôt une mesure in vivo, c’est-à-dire qu’elle mesure les réactions spontanées du thérapeute face au patient, ce qui présente un avantage face au PT AAI qui représente une mesure à postériori et rapportée de la relation avec le patient. La GAM-T est également un instrument s’appliquant autant aux contextes expérimentaux qu’aux études de cas cliniques. Les résultats de l’étude 1 montrent également qu’en plus des capacités de mentalisation, le thérapeute utilise un ensemble de fonctions, de processus et de réflexions, tant dans un registre affectif que rationnel- cognitif, ces autres volets étant aussi mesurés par la GAM-T.

Les auteurs ayant conçu et développé le construit de FR suggèrent que cette capacité puisse se développer (Fonagy & Target, 2003). Chez les individus en général, cet apprentissage se ferait dans le contexte de la relation mère-enfant. Il a aussi été suggéré que d’autres contextes pourraient possiblement favoriser le développement du FR ou son accroissement, par exemple l’expérience de la psychothérapie personnelle (Bateman & Fonagy, 2010a; Levy, Meehan et al., 2006). À cet effet, une étude (Levy, Meehan et al., 2006) a montré une amélioration du FR chez des patients limites ayant effectué une psychothérapie d’une durée d’un an. L’équipe de Bateman et Fonagy (Bateman & Fonagy, 2010b, 2013) propose également un type de thérapie ciblant spécifiquement l’amélioration du FR chez les patients limites. En effet, des théories et quelques évidences empiriques proposent que le contexte de la psychothérapie soit une

expérience propice au développement du FR, entre autres en raison de la relation significative qui se développe entre le thérapeute et le patient. Les résultats du deuxième article de cette thèse appuient d’ailleurs ces théories, montrant que la psychothérapie personnelle d’un thérapeute prédit le fait d’être plus réflectif par rapport au patient. En retour, il est possible d’émettre l’hypothèse qu’un thérapeute plus réflectif soit en mesure de bien saisir les dynamiques internes du patient et de mieux mentaliser le contenu affectif ressenti en séance, ce qui lui permettrait éventuellement d’effectuer des interventions sensibles et cohérentes au vécu du patient. Si le FR du thérapeute a effectivement un impact sur le développement du FR du patient, il est possible que ce soit par ce processus, semblable à ce qui s’effectue entre la mère et l’enfant (Bateman & Fonagy, 2010a; Jones, 2000; Karlsson & Kermott, 2006).

Dans le cadre d’études futures, il serait intéressant d’investiguer à nouveau, auprès d’un plus large échantillon, la validité convergente entre l’AM-T réflective et le FR du thérapeute. Les résultats obtenus dans le cadre de l’étude pilote s’avèrent prometteurs quant au lien entre l’AM-T réflective et le FR. Les liens entre les trois échelles d’AM-T et d’autres construits présentant certaines similarités tels que l’empathie, l’attachement, les styles cognitifs, l’impulsivité, la rationalité et le « mindfulness » (pleine conscience) pourraient être testés. Ceci permettrait d’étayer encore davantage la validité de construit de la GAM-T et de mieux comprendre ce phénomène.