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Un tournant vers l’étude de la mentalisation comme processus mental du thérapeute

Chapitre 1 Introduction

1.4 Un tournant vers l’étude de la mentalisation comme processus mental du thérapeute

La mentalisation est le processus par lequel l’individu comprend les subtilités de ses émotions et réactions ainsi que celles d’autrui en s’imaginant et en se représentant les états mentaux et sentiments qui sous-tendent ses propres comportements et ceux des autres lors des interactions sociales (Bateman & Fonagy, 2004; Choi-Kain & Gunderson, 2008; Fonagy, Cassidy, & Shaver, 1999). La mentalisation est un processus neurocognitif et une forme de cognition sociale (Fonagy, 2004; Fonagy, Bateman, & Bateman, 2012; Fonagy & Luyten, 2009; Lombardo et al., 2010). Elle se définit comme étant à la fois implicite\automatique et explicite, pouvant porter sur le monde interne et externe, ainsi que sur soi et sur l’autre (Fonagy & Luyten, 2009). Telle que définie par Fonagy et ses collègues, la mentalisation intègre à la fois les mécanismes de la théorie de l’esprit et du système d’empathie (Fonagy & Adshead, 2012; Fonagy & Bateman, 2012; Fonagy & Luyten, 2009). La mentalisation permet à l’individu de se comprendre et de comprendre l’autre selon la représentation qui est faite de ses désirs, de ses

sentiments, de ses intentions, de ses pensées, de ses croyances, etc. (Fonagy, Target, Steele, & Steele, 1998; Fonagy & Target, 1997, 2005; Slade, 2005). Il permet également de mieux saisir le monde interne de soi et de l’autre. La mentalisation, notamment dans le contexte de l’attachement, est opérationnalisée et mesurée en termes de niveau de fonctionnement réflexif (FR) dirigé vers soi et dirigé vers l’autre (Choi-Kain & Gunderson, 2008; Fonagy et al., 1998; Fonagy & Target, 1997) et se mesure à l’aide du Reflective Functioning Scale (Fonagy et al., 1998). Les chercheurs se sont récemment intéressés à la mentalisation dans le contexte de la psychothérapie. Plusieurs auteurs suggèrent d’ailleurs que les travaux de Fonagy puissent être d’une grande utilité dans la compréhension des processus permettant au thérapeute de bien saisir le monde interne de son patient (Ensink et al., 2013; Jones, 2000; Levy & Ablon, 2009). Certains auteurs contemporains suggèrent que les processus de mentalisation soient directement au cœur des techniques et activités psychothérapeutiques (Choi-Kain & Gunderson, 2008; Ensink et al., 2007; Jones, 2000; Karlsson & Kermott, 2006; Rizq & Target, 2010). En effet, les activités cliniques impliquent que le thérapeute mette des efforts conscients et délibérés à imaginer les états mentaux sous-jacents aux comportements ou aux dires du patient, tout en étant aussi sensible et à l’écoute du patient d’une façon « flottante », c’est-à-dire de façon préconsciente et plus intuitive. Ces deux états d’écoute et de réflexion correspondraient aussi au processus de mentalisation (Fonagy & Luyten, 2009; Jones, 2000).

La mentalisation, et plus spécifiquement son opérationnalisation en termes de FR, a surtout été étudiée dans le contexte de la relation mère-enfant, le nourrisson acquérant cette capacité au fil des interactions avec sa mère. La mentalisation que le parent effectue pour et envers l’enfant favorise le développement identitaire du nourrisson, mais surtout le développement de son propre FR. Bien que la littérature soit florissante en ce qui concerne le FR dans la relation mère-enfant, encore peu d’études s’attardent à la mentalisation spécifiquement dans le contexte de la thérapie. De la même façon que la mère fait des efforts pour comprendre l’état mental de son enfant, le thérapeute effectuerait un cheminement cognitif, affectif et relationnel afin de comprendre les états mentaux de son patient. Dans le contexte de l’intervention, le thérapeute se représente ses propres affects, pensées et émotions, ainsi que ceux de son patient. Cela lui permet

ainsi de développer une compréhension élaborée et fidèle à l’unicité du patient (Ensink et al., 2007). La capacité d’un thérapeute à distinguer les émotions et pensées d’un patient, même si ses affects semblent contradictoires à son discours, les hypothèses qu’il élabore quant à l’expérience dynamique du patient et l’effort tant cognitif qu’affectif que fait le thérapeute pour comprendre cette personne sont tous des processus qui font appel aux capacités de mentalisation (Ensink et al., 2007; Jones, 2000; Karlsson & Kermott, 2006; Normandin & Ensink, 2007). Il a aussi été noté que les thérapeutes qui sont à l’affut et tentent d’explorer et de comprendre leurs propres réactions émotives et leurs états mentaux, ainsi que ceux de leurs patients durant la psychothérapie, sont plus susceptibles de développer une bonne alliance thérapeutique (Markowitz & Milrod, 2011). De plus en plus d’études soulèvent l’importance du FR chez les patients, afin de bénéficier de la psychothérapie (Bateman & Fonagy, 2010b; Karlsson & Kermott, 2006; Levy, Meehan et al., 2006), cependant peu d’études se sont intéressées aux capacités de mentalisation chez le thérapeute et à son propre FR à l’égard du patient. Il a été proposé qu’une capacité de mentalisation supérieure du thérapeute agisse comme levier à celle du patient (Ensink et al., 2013; Ensink et al., 2007; Jones, 2000; Rizq & Target, 2010). Les recherches laissent croire que le contexte thérapeutique soit propice à l’interinfluence des capacités de mentalisation du thérapeute et du patient (Diamond, Stovall-McClough, Clarkin, & Levy, 2003). Suivant les mêmes processus que dans la relation mère-enfant, il est donc possible qu’un bon FR du thérapeute puisse favoriser l’augmentation des capacités de mentalisation du client (Bateman & Fonagy, 2010a; Fonagy & Luyten, 2009).

Or, même si plusieurs auteurs suggèrent que la mentalisation puisse être une capacité au cœur des activités mentales du thérapeute lors de l’interaction clinique, rares sont les études qui ont mesuré directement les processus de mentalisation du thérapeute. À cet égard, Diamond et al. (2003) ont proposé une adaptation du Adult Attachment Interview (George, Kaplan, & Main, 1985) qui s’applique à la situation thérapeutique et au thérapeute. Cette entrevue, intitulée le Patient-Therapist AAI (PT AAI) (Diamond et al., 2003), permet d’évaluer le FR du thérapeute par rapport à son patient. Le PT AAI vise d’abord à mesurer le patron d’attachement et le FR concernant la relation thérapeutique entre le thérapeute et le patient. Cette entrevue s’avère novatrice, originale et très utile

pour mieux saisir la façon dont le thérapeute réfléchit au patient et gère les émotions liées à cette relation. Toutefois, cette entrevue n’a pas encore fait l’objet de validation empirique.

Sans faire référence directement à la mentalisation et au FR, Normandin a proposé en 1991 une mesure de l’activité mentale du thérapeute. Celle-ci permet de capter dans l’ici

et maintenant les différents processus sous-jacents aux réactions affectives et cognitives

du thérapeute et à la relation thérapeutique. Dans la mesure où la recherche s’intéresse de plus en plus aux processus de mentalisation et de FR, le concept d’activité mentale du thérapeute s’avère novateur et contemporain, puisqu’il pourrait permettre à la fois de mesurer le contre-transfert dans sa définition actuelle, mais pourrait aussi être une mesure des capacités de mentalisation du thérapeute.