Si les résultats avancés par Lee et Han (2002) dénigrent catégoriquement la présentation d’un prix sous une forme complexe comparativement à une présentation simple, ces mêmes auteurs se montrent plus indulgents lors de la conclusion de leur travail : « Pour les marketers qui insistent sur la pratique des prix partitionnés, ils devraient mettre plus en avant leurs surcharges. En améliorant leur présentation, les consommateurs seraient plus prédisposés à les prendre en compte (les surcharges)… ». D’autres recherches, ayant des positions plus nuancées, se sont penchées sur les variables qui entourent la perception des prix complexes.
Comme nous l’avons expliqué dans la partie dédiée aux aspects cognitifs des prix complexes, la saillance figure parmi les attributs les plus remarquables et influents dans l’estimation du prix. Il en est de même pour les aspects liés à l’attitude vis-à-vis du prix et de l’entreprise. Viennent ensuite la clarté et la complétude de l’information liée au prix. Enfin, le nombre de composantes peut affecter l’attitude des consommateurs à l’égard de l’entreprise.
I.1. La saillance des prix complexes dans la pratique
Dans la pratique de l’affichage des prix, la saillance est présente dans toutes les formes de prix complexes suivant la typologie que nous avions exposée lors de la deuxième section de ce chapitre. Nous déclinons cette présence à travers le tableau 1 (adapté à partir de Kim et Kachersky (2006)).
44
Tableau 1- la saillance des prix complexes dans la pratique (adapté à partir de Kim et Kachersky 2006)
Prix avec surcharge(s) Prix avec remise Prix par unités
objectif Réduire la saillance de la(des) surcharge(s)
Accroître la saillance de la remise
Réduire la saillance de la dépense totale
Grandeur Utiliser des surcharges
moins importantes
Utiliser des remises plus importantes
Utiliser des paiements moins importants en
contrepartie d’un nombre plus important
d’unités
Sémantique
Numérique : n’exprimer la surcharge
en pourcentage que lorsque ce dernier est petit. Sinon, l’exprimer
en unités Descriptive : décrire la surcharge en des termes
non ambigus et familiers
Numérique : n’exprimer la remise en pourcentage
que lorsqu’il est modéré (ni trop élevé ni trop bas). Sinon, l’exprimer
en unités. Descriptive : décrire la
remise en des termes inhabituels (permettant
d’attirer l’attention)
Non applicable
Visuelle
Utiliser un plus petit caractère pour les
surcharges
Utiliser un caractère plus grand et plus gras pour
les remises
Utiliser un caractère plus grand et plus gras
pour le paiement unitaire que celui pour
le nombre total d’unités
Calculatoire
Utiliser des montants ronds
Utiliser des formules demandant un effort cognitif important
Utiliser des chiffres ronds pour les remises, ne demandant pas ou peu
d’effort cognitif
Utiliser des montants non ronds compliquant le calcul
du prix total
À partir de ce tableau, il devient possible de déceler l’existence de pratiques liées à la présentation des prix complexes susceptibles de susciter des réactions négatives chez les consommateurs. L’intérêt de la littérature pour ces aspects est relativement récent, étant donné que -comme nous l’avions souligné précédemment-, la tendance prédominante était plutôt vers les problématiques autour de l’estimation et des biais qui résultent de l’utilisation des prix complexes. Nous présentons dans ce qui suit une synthèse de ces recherches embryonnaires en commençant par les aspects propres aux prix complexes : clarté, complétude, et nombre de composantes.
45
I.2. Clarté et complétude des informations liées à un prix complexe
A travers ses travaux de recherche, Romani (2006) a trouvé que certaines manières de présenter un prix complexe peuvent induire chez les consommateurs la perception d’une tentative de manipulation de la part du vendeur. En se basant sur le modèle de la connaissance de la persuasion (Persuasion Knowledge Model) (Friestad et Wright 1994), elle a conclu que les consommateurs peuvent percevoir la présentation trompeuse d’un prix complexe comme une technique de persuasion de la part de l’entreprise. Deux attributs permettant de qualifier la présentation d’un prix complexe comme trompeuse ont été définis11 : sa clarté et sa complétude. Une pratique de prix non claire a lieu lorsque toutes les informations liées au prix sont présentes mais ne sont pas immédiatement perceptibles. Comme précisent Keller et Staelin (1987), « il existe bien une information en quantité suffisante, mais la qualité fait défaut ». Le risque que le consommateur perçoit un sacrifice monétaire illusoirement inférieur est conséquent.
La complétude (ou incomplétude) consiste en l’omission d’un ou plusieurs éléments lié(s) au prix complexe (ex : prix partitionné en omettant de mentionner les surcharges). Ceci conduit à une surévaluation de la valeur de l’offre.
Dans la recherche que nous venons d’exposer, Romani (2006) a conclu que ces deux attributs (conjoints ou perçus séparément) conduisent à une altération de la confiance vis- à-vis de l’entreprise, ainsi qu’une baisse de la prédisposition à acheter. En particulier, l’effet de la clarté de l’information liée au prix complexe sur la confiance est venu confirmer les résultats d’une recherche antérieure menée par Xia et Monroe (2004).
I.3. L’intervention du nombre de composantes du prix complexe
Dans une recherche pionnière dans l’étude des effets de la présentation des prix complexes, Carlson et Weathers (2008) se sont intéressés à l’effet du nombre des composantes du prix sur sa justice perçue. Ils ont supposé que lorsque le prix total n’est pas donné, un prix complexe avec un grand nombre de composantes sera perçu plus négativement (par opposition à un petit nombre) car : a) les consommateurs perçoivent qu’il y a un prix plus élevé à payer (ils se sentent « nickel-and-dimed » (entraînés dans une escalade de dépenses par le vendeur) (Xia et Monroe 2004) ; b) il y a de plus grandes
11
Ces deux attributs ont été définis à partir de l’analyse de 361 jugements émis par l’Autorité Italienne de Concurrence sur dix ans (1992-2001). Ces jugements ont porté sur les publicités trompeuses des prix. Toutefois, notons que le caractère trompeur d’une annonce n’a pas été mesuré explicitement dans le cadre de cette étude : l’auteure a estimé qu’il se concrétise à travers les deux dimensions clarté et complétude.
46
chances qu’une ou plusieurs composante(s) soi(en)t considérée(s) comme injuste(s) ; c) il existe de grandes chances que le vendeur soit considéré comme voulant créer de la confusion vis-à-vis du prix total en rendant son calcul complexe (Delvecchio et al 2007). Pour les prix complexes à petit nombre de composantes, les aspects négatifs sont relatifs à : a) la transparence et b) le montant de chaque composante est assez important.
Xia et Monroe (2004) avancent que la relation entre le nombre des composantes du prix complexe et l’intention d’achat est en U inversé : plus il y a de composantes, plus le prix de base sera faible, et suivant l’hypothèse d’un processus d’ancrage et d’ajustement, l’intention d’achat sera plus importante. Mais à partir d’un seuil donné, le consommateur accordera une plus grande attention aux surcharges, et l’intention d’achat sera alors négativement affectée. Xia et Monroe (2004) ajoutent que la nature de la surcharge peut intervenir dans la perception de la présentation du prix complexe : les frais liés à la livraison sont moins acceptés que les taxes. Ceci revient à l’éventuelle attribution des frais de port à une volonté d’obtenir un profit additionnel de la part de l’entreprise. D’autres chercheurs tels que Hamilton et Srivastava (2008) ont approché l’effet du bénéfice perçu de chacune des composantes d’un prix complexe sur les différentes combinaisons de répartition d’un même prix total sur ses composantes (variables mesurées : préférence pour la combinaison et sensibilité au prix). Ils ont trouvé que les consommateurs préfèrent accorder un prix plus élevé pour des composantes qu’ils perçoivent à plus haute valeur ajoutée (par exemple, ils préfèrent payer plus pour le distributeur de glaçons d’un réfrigérateur que pour son système anti-bruit).