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Afin de mieux comprendre les facteurs qui entourent la perception des prix complexes, il nous semble judicieux de commencer par une contextualisation de leur apparition. Cette dernière a connu une forte expansion avec le développement du commerce électronique : en effet, l’accès plus facile aux clients potentiels de la part des entreprises, la baisse des coûts de distribution, et les possibilités de personnalisation des offres présentent les catalyseurs d’une révolution des échanges marchands virtuels. Dans ce même contexte, de nouvelles formes de frais ont fait leur apparition : l’exemple le plus simple est celui des frais de port. Pour comprendre les mécanismes qui régissent les prix complexes sur Internet, il convient tout d’abord de présenter les stratégies de fixation de prix au sein de ce canal de distribution. Ensuite nous exposons un exemple de l’application des prix complexes, en portant le choix sur le secteur du transport aérien.

I. Les stratégies de fixation du prix sur Internet

Elmaghraby et Keskinocak (2003) énumèrent deux types de mécanismes de fixation des prix sur Internet :

- le mécanisme des prix affichés où le vendeur fixe un prix de départ qu’il ajustera au fil du temps et selon la demande et la durée de vie du produit/service ; dans ce cas le vendeur est un « price maker ». La périssabilité induit un ajustement plus rapide dans le temps (exemple des billets d’avion qui périssent avec la date du voyage) - le mécanisme de la découverte des prix : dans ce cas, le prix résulte d’un croisement

entre l’offre et la demande à travers les enchères (exemple des ventes aux enchères sur le site eBay). Le prix fluctue selon le désir d’acquérir le produit de la part des acheteurs. Dans ce cas le vendeur est un « price taker » avec une possibilité de fixer un prix minimum de vente (i.e. prix de réserve).

En particulier, le premier type de mécanisme met à la disposition du vendeur un ensemble de stratégies lui permettant de maximiser ses profits. Parmi ces stratégies, on retrouve la discrimination par les prix et le Yield Management (Huang et al (2005)).

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La discrimination par les prix

Il s’agit de fixer des prix différents pour un même produit/service selon certaines caractéristiques des consommateurs : l’historique d’achat, la quantité achetée, la zone géographique ou encore la sensibilité au prix sont des éléments utilisés par les vendeurs pour ségréguer les prix.

Le Yield Management

Capiez (2003) définit le Yield Management comme suit : « le Yield Management a pour objectif de maximiser les recettes de l’entreprise de services. Il identifie des segments de marché, en évalue les potentialités et fixe des prix. Il crée des règles de réduction de tarifs et de déplacement pour établir un processus avancé de réservation. Il en contrôle l’efficacité et la mise en œuvre. Il assure la gestion de la capacité disponible par une tarification et une offre de services adaptées à la spécificité de chaque segment identifié ». En d’autres termes, il s’agit de maximiser le chiffre d’affaires en prenant en compte la capacité et le type de client. Ce mode de gestion suppose certaines caractéristiques de l’industrie en question :

- la périssabilité et la capacité limitée du service vendu

- des coûts fixes élevés et un coût marginal faible : ainsi, si la demande est faible, le vendeur peut baisser son prix de vente jusqu’au coût marginal pour susciter plus d’achats

- la demande est variable dans le temps et peut être segmentée sur la base de l’élasticité-prix.

Le Yield Management a été initié par les acteurs du transport aérien suite à la libération de l’industrie dans les années 70. De nos jours, il est pratiqué par toutes les compagnies aériennes. Le postulat derrière l’application du Yield Management par les compagnies aériennes repose sur une ségrégation des consommateurs en deux segments : un segment sensible au prix et qui achète les billets d’avion bien à l’avance en acceptant des restrictions souvent contraignantes ; et un segment moins sensible au prix qui est prêt à payer un prix plus cher en achetant à des moments assez tardifs.

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La perception du Yield Management par les consommateurs

Plusieurs chercheurs ont averti quant aux risques liés à la perception des pratiques du Yield Management par les consommateurs. Ces derniers peuvent percevoir le Yield Management comme un comportement opportuniste de la part de ses pratiquants, ce qui affecte la profitabilité de long terme (Mauri (2007)). En effet, certaines pratiques créent l’incertitude et la confusion chez les clients, et en conséquence les prix sont perçus comme moins transparents. Ceci génère un état de stress même chez les clients les plus habitués aux pratiques du Yield Management (Martinez et al (2011)). Friesen (2005) rajoute que le client se trouve incapable de comprendre quand, comment et pourquoi les prix changent. Pour un même service (un billet d’avion par exemple), le prix de vente peut varier drastiquement selon le moment d’achat. Les compagnies aériennes, en vue d’assurer une rentabilité, sont amenées à promouvoir agressivement des prix très bas. Il en résulte que la différenciation sur la base de la sensibilité au prix n’est plus pertinente, du fait de l’habituation des consommateurs à des prix bas, ce qui modifie le prix de référence aussi bien que le prix de réserve.

Des exemples plus directement liés aux prix complexes, et toujours dans le cadre du Yield Management, se trouvent dans le secteur du transport aérien français. En 2006, le commissaire européen en charge des transports a mis en garde les compagnies aériennes quant à l’opacité qui entoure les prix du secteur6. Il a déploré les publicités mettant en avant des prix très attractifs qui s’avèrent finalement fictifs. « Séduits par tel tarif à 69 euros, 19 euros, voire 1 euro pour des destinations plus ou moins lointaines, les voyageurs se précipitent pour réserver. Mais s'ils arrivent à décrocher un billet (peu d'élus, en définitive), ils découvrent vite que la facture finale n'aura rien à voir avec ce prix cassé annoncé. Ils doivent en effet compter avec les fameuses taxes facturées en sus qui peuvent monter jusqu'à 55 euros sur un vol simple Marseille-Orly, 100 euros sur un Orly-Venise (A/R) ou encore 185 euros sur un Roissy-CDG(1)-Prague (A/R). Soit, en général, jusqu'à près de la moitié du montant total réglé » déclare Arnaud de Blauwe, le rédacteur en chef adjoint du magazine Que Choisir. Les taxes à rajouter au prix du billet ne manquent pas d’exotisme, puisque des services autrefois compris dans le prix du billet sont devenus payants, tels que la prise en charge des bagages, la collation à bord, l’accès prioritaire à l’embarquement, le choix du siège… ou pis encore, le paiement par carte bancaire alors qu’il s’agit de l’unique

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moyen de paiement pour un achat sur Internet. Les consommateurs sont d’autant plus hostiles à ces pratiques que les surcharges sont de plus en plus pointées du doigt comme source de profit additionnel pour les compagnies aériennes. Une étude du cabinet américain IdeaWorks estime les recettes annexes à hauteur de 11 milliards d’euros en 20097, soit une progression de 43% par rapport à 2008 malgré la récession du trafic aérien. Cette tendance à proposer un billet avec un prix de départ compétitif et qui se gonfle par une multitude de suppléments n’est pas exclusive aux compagnies low cost, puisque même les compagnies « historiques » ont adopté cette tendance.

Ceci étant, il est clair que certaines utilisations du prix complexe ne passent pas inaperçues auprès des clients. Au contraire, elles créent la confusion et sont susceptibles de stimuler des réactions négatives non seulement de la part des individus, mais aussi des autorités et des organismes indépendants.

Après avoir profilé le contexte qui a donné lieu à la prolifération des prix complexes, nous abordons les travaux académiques qui s’y sont intéressés. Tout d’abord, nous dressons une typologie des prix complexes et des problématiques se développant autour, ensuite nous nous arrêtons sur l’état des lieux concernant les recherches existantes et nous énumérons les lacunes sur lesquelles nous nous proposons de nous pencher.

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