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L’analyse du discours des répondants a mis en évidence la complexité des prix dans les deux services choisis (téléphonie mobile et achat de voyages) et plus généralement dans les services. Comme l’a souligné Estelami (2003), les prix dans le marché des services sont beaucoup plus complexes que dans le marché des biens tangibles. Les prix des services se composent de plusieurs dimensions. Dans le cadre de la téléphonie mobile, l’offre consiste généralement en une charge mensuelle, une autorisation d’usage (durée de communication autorisée dans le cadre du prix payé), un prix par minute au-delà de la consommation autorisée ainsi que des taux appliqués aux numéros surtaxés ou à l’étranger (« je n’arrive pas à me retrouver dans la masse de l’information relative aux prix des différentes options », F, 24). Il en est de même dans le secteur des voyages : il s’agit plutôt de prix partitionnés où l’on trouve des prix hors taxes auxquels sont rajoutées différents taxes et suppléments.

Par ailleurs, la complexité des prix dans ces secteurs engendre des distorsions au niveau de la perception du sacrifice perçu ainsi que de la valeur perçue du service. Ces distorsions créent des difficultés au niveau du processus de choix en raison de la multiplicité des offres, l’une des sources de la complexité des prix (« je n’ai pas envie de passer trop de temps là- dessus car l’argent que je vais en gagner ne vaut pas le temps que je passerai dessus », H, 32. « ça me saoule de regarder et je pense qu’ils jouent un peu sur ça », F, 28, « Je ne mets pas trop de temps à choisir, pas plus que deux semaines, il y a tellement d’offres et d’options donc je me dis ça dépend de la période où je vais faire mon choix (les deux semaines avant la date de résiliation), il y a trop de détails en fait… », F, 24). Ces

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distorsions créent également un manque de compétence chez les consommateurs désireux de faire le meilleur choix parmi ceux qui leur sont offerts (« je n’arrive plus à distinguer une bonne offre d’une autre qui l’est moins »,H, 51) Cet effet a été assez bien documenté dans la littérature, Keller et Staelin (1987) ont défini deux dimensions nécessaires pour qu’une information soit bien perçue par les individus : une quantité suffisante mais aussi et surtout une qualité « correcte » qui n’induit pas le consommateur en erreur par la perception d’un sacrifice perçu inférieur à la réalité. Romani (2006) a mis en évidence l’importance que joue l’information de la clientèle sur les prix pratiqués. Non seulement des actions auprès des autorités peuvent être entreprises par les consommateurs en réaction à des informations trompeuses, mais également des dépenses conséquentes en communication deviennent nécessaires en vue de restaurer l’image initiale. D’autres réactions violentes de la part des consommateurs sont également très probables, telles que le bouche-à-oreille négatif, diverses actions d’anti marketing… Urban (2004) insiste sur l’importance d’une information complète, honnête et « ouverte » aux consommateurs qui, en contrepartie, offrent leur confiance et leur fidélité. Selon Romani (2006), cet aspect de l’information prix fait intervenir même les autorités qui doivent se doter d’un rôle de surveillance des pratiques d’information prix trop complexes, en forçant les entités commerciales à faire plus d’efforts dans la communication de leurs prix.

Enfin, en discutant de leurs expériences avec les opérateurs de téléphonie mobile et de marchands de voyage sur Internet, les répondants ont exprimé ce qu’ils ont éprouvé suite à une différence entre le prix annoncé et le prix qu’ils doivent effectivement payer. Ces différences ont induit chez la plupart d’entre eux la perception d’une intention de manipulation (« C’est de la publicité à induire en erreur le consommateur » F, 25; « la manœuvre est volontaire et abusive » F, 40 ; « je trouve malhonnête de leur part de nous faire allécher par un prix soi-disant avantageux, pour qu’on se retrouve par la suite avec pratiquement le double du prix affiché au début, moi personnellement dans ce cas je n’hésite pas à fermer la page, et je n’y reviens plus ! », H, 51)) qui engendre un sentiment d’injustice (« il y a de l’injustice, mais j’en ai besoin, je n’ai pas le choix », F, 29 ; « Je trouve cela injuste de rajouter des frais sortis de je ne sais où au moment du paiement, j’appelle ça du vol pur et dur. Bien sûr je suis allé voir ailleurs », H, 41) ; auquel ils réagissent de plusieurs manières, allant de la recherche de compensation (« en cas de problème, généralement je les appelle et en les grondant, ils me remboursent, ce qui résout le problème », F, 29 ; « pour avoir son droit, il faut appeler sinon on ne peut rien avoir »,

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H, 33) à l’abandon (« j’étais très furieux, je suis parti » H, 28 ; « moi personnellement dans ce cas je n’hésite pas à fermer la page, et je n’y reviens plus ! » H, 51 ; « Bien sûr je suis allé voir ailleurs » H, 41). Ce constat converge avec les résultats des recherches empiriques précédentes qui stipulent qu’un prix supérieur à celui attendu par le consommateur entraîne une détérioration de la justice perçue (Martins et Monroe (1994) ; Campbell (1999, 2007) ; Xia et al (2004)). Les réactions des consommateurs face à une baisse de la justice perçue du prix ont été largement étudiées dans la littérature : la baisse de la satisfaction (Sabadie et al (2006), Herrmann et al (2007), Oliver et Swan (1989), Martin-Consuegra et al (2007)) et les différentes alternatives de punition (Maxwell 2008) sont des manifestations de ces réactions.

I.1. Les différentes dimensions de la présentation des prix complexes

Conformément à la littérature, la dimension du prix complexe qui ressort le plus est la

saillance visuelle. Il s’agit de la dimension qui revient le plus fréquemment dans les

entretiens effectués. En effet, les répondants estiment que la non clarté et l’encombrement de certaines informations les induisent en erreur dans l’établissement du prix qu’ils s’attendent à payer (« complètement brouillée à mes yeux », « je n’arrive pas à me retrouver dans la masse de l’information relative aux prix des différentes options », « en consultant la facture, je me suis aperçue que les prix étaient affichés en hors taxes », « Ils communiquent sur des offres promotionnelles donc moi j’en profite mais après je trouve qu’ils ont facturé mes consos normalement sans tenir compte de la promo. En les appelant, ils me disent que j’ai dépassé la période de la promo ou que c’est pour des catégories bien spécifiques de clientèle alors que ce n’est pas indiqué sur le site. Au mieux, ils l’indiquent en tout petit » H, 20, « en arrivant à la page de paiement j’ai trouvé que j’allais payer 50 euros de plus, il s’est avéré que la taxe carburant a été indiquée mais en tout bas de la page de l’offre », H, 28 ; « Je trouve cela inadmissible de balancer en gros « forfaits illimités » et à des kilomètres en bas en minuscules des conditions faramineuses, c’est de nature à manipuler l’audience », F, 36).

En deuxième lieu, l’analyse du discours des répondants a permis de faire émerger l’aspect de la séquentialité des informations prix. Il correspond essentiellement à la communication retardée de certaines composantes du prix, et ce lors de l’affichage du prix final à payer ou facturé (« J’ai aperçu cela comme de l’arnaque, j’aime quand les choses

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sont claires, non seulement c’est plus cher objectivement, mais je l’ai aperçu encore plus cher, en apprenant plus tard que les prix étaient affichés en hors taxes », F, 36 ; « toujours à cause des montants hors forfait, par exemple il y a des promos ou des options où il faut appeler pour les arrêter et ils ne le disent pas, ce sont des arnaqueurs. On te facture des services que tu croyais non facturés », H, 33, « il serait mieux de mettre tout ce qu’on va payer à la fois, c’est pas la peine de nous tendre un piège, de toutes les façons jamais je n’achèterai chez des arnaqueurs » ; « Je condamne la façon dont je me suis fait avoir en croyant que le vol coûtait 157 euros alors qu’il s’est avéré au moment du paiement qu’il était à 191 euros » H, 41).

Ces deux principales dimensions de la présentation du prix complexe peuvent induire une différence entre le prix que le consommateur s’attend à payer et le prix à payer réellement. Elles entachent en premier lieu la clarté et la complétude de l’information liée au prix, un résultat en concordance avec les travaux de Romani (2006). À un niveau plus ancrée, cette différence crée chez le consommateur « une détresse », origine de l’effet négatif de ces dimensions sur la justice perçue du prix.

I.2. La différence entre le prix attendu et le prix à payer

L’analyse des entretiens a révélé que les répondants, face à une différence entre le prix initialement prévu (i.e., déduit de l’annonce du prix) et le prix à payer, expriment un état psychologique qu’on peut qualifier de « détresse ». Cette dernière a été exprimée de façons diverses correspondant à des états psychologiques tels que la fureur, l’étonnement, l’intrigue, la déstabilisation ou la déception (« j’étais très furieux », H, 33, « ça m’a fait très mal, c’était pareil à une douche froide », H, 27, « j’étais intriguée, je ne comprenais rien », F, 25, « j’étais déçue, je ne comprenais rien du tout », F, 55). Cet état de détresse correspond à une instabilité face à la violation de la norme « le prix doit correspondre à ce qu’on attend : comment il est déterminé, comment il est présenté, doit correspondre aux attentes ». Selon Festinger (1957), la détresse est un phénomène causé par des résultats inattendus, ce qui crée une dissonance cognitive, c'est-à-dire un sentiment inconfortable qui se produit lorsque la réalité ne correspond pas aux croyances passées, entre autres les normes. Cet inconfort motive les individus à trouver une solution. L’intensité de la motivation dépend de la magnitude de la dissonance.

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Selon les résultats de l’analyse du discours des répondants, cet état de détresse déclenche deux phénomènes : 1) un processus d’attribution des raisons de la différence entre le prix attendu et le prix à payer, 2) un effet négatif sur la justice perçue du prix.

II. Les effets des dimensions de la présentation des prix complexes sur la justice