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2.3.1 Une structure et un fonctionnement variables

Le transfert dans le réseau hydrographique est présenté comme un processus dynamique à l’aide d’un outil de mesure qui est la densité de drainage. Cette variable est utilisée soit globalement comme indice pour comparer des bassins, soit en fonction de la distance à l’exutoire pour caractériser sa variabilité spatiale au sein d’un bassin. La densité de drainage maximale n’est qu’un potentiel de drainage rarement atteint. Pour adapter le réseau de drainage à l’état hydrologique du bassin une partition du réseau est souvent présentée par les géographes pour distinguer les éléments pérennes, temporaires et éphémères du réseau (Lambert, 2006). On distingue d’une part le réseau permanent alimenté par des réservoirs souterrains ou des transferts retardés subsurfaciques et d’autre part le réseau extensible dont l’activation et le comportement dépendent des caractéristiques des épisodes pluvieux dont l’intensité ou les antécédents de pluie. La densité de drainage est alors une manifestation dynamique qui résulte de l’effet de nombreux facteurs affectant la genèse des écoulements de surface et leur distribution dans un réseau. C’est un révélateur du fonctionnement propre

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à chaque bassin versant, un trait caractéristique de fonctionnement qu’il serait pertinent de connaître pour appréhender le comportement du bassin dans un but prédictif. Cet indice utilisé pour caractériser l’extension et la contraction des réseaux peut être vu comme un paramètre de synthèse entre des facteurs climatiques, lithologiques et hydrologiques, car on peut le définir à la fois comme une résultante et un agent de l’écoulement (Humbert, 1990 ; Lambert, 2006). Cette connaissance soulève la question de la définition du réseau hydrographique. Cudennec (2000) évoque le problème, dans la définition du réseau hydrographique, de considérer exclusivement les linéaires de drainage qui marquent le paysage. Or, on désigne par réseau hydrographique un ensemble hiérarchisé et structuré de chenaux qui assurent le drainage superficiel, permanent ou temporaire, d'un bassin versant ou d'une région donnée (Larousse, 2010). C’est bien la définition que nous retiendrons, de laquelle découle une variabilité spatiale et temporelle de la fonction de transfert assuré par le réseau.

Des tentatives ont été effectuées pour démontrer l’impact de caractéristiques physiographiques des bassins comme la lithologie, la végétation et le sol sur les différences de niveau d’extension du réseau hydrographique éphémère (Gurnell, 1978). L’enjeu est intéressant étant donné le degré de liaison entre variabilité du transfert assuré par le réseau et réponse du bassin versant. Connaitre les facteurs qui gouvernent la dynamique d’extension du réseau revient donc à mieux comprendre la réponse du bassin versant (Day, 1983). Mais les travaux cités plus haut restent à caractère empirique, ils ne traitent pas ou peu du déterminisme physique de ces modifications. La relation débit à l’exutoire et densité de drainage est démontrée empiriquement dans des petits bassins versants pour la plupart inférieurs à 10 km². Les difficultés d’observation du réseau hydrographique ont imposé de limiter la taille des bassins versants prospectés. Néanmoins c’est bien à ces niveaux d’échelle que l’extension spatiale des réseaux hydrographiques est particulièrement variable lors d’épisodes pluvieux. Une telle variabilité correspond à la mobilité amont-aval de la transition versant-réseau.

Au voisinage de cette zone transitoire d’initiation du drainage se pose la question de la localisation du drainage mais aussi de son intensité. Pour mieux comprendre comment se propage le flux drainé diverses expérimentations ont été tentées. Ces expérimentations n’ont pas pris en compte la dimension spatiale du réseau mais se sont concentrées sur la mesure des flux générés dans le réseau hydrographique pour étudier leur variabilité.

Pour caractériser la variabilité du flux en un point du réseau il serait opportun d’additionner tous les transferts se produisant en amont de ce point. Il est difficile de s’écarter du principe selon lequel le ruissellement est produit par des unités de surface élémentaires, mais l’additivité des ruissellements depuis les surfaces élémentaires jusqu’à l’exutoire du bassin versant n’est pas réaliste (Puech, 2000). Les fonctions de production et de transfert sont donc étroitement dépendantes de facteurs d’échelles (Gineste, 1997).

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Figure I.6 : Processus hydrologiques et hétérogénéité des bassins versants pour différents niveaux d’échelle a) spatiale et b) temporelle (Bloesch & Sivapalan, 1995).

Les pertes en eau au cours du transfert et leur redistribution restent une des principales inconnues des mécanismes hydrologiques à l’échelle du bassin versant. A cause de multiples hétérogénéités spatiales qui contrôlent des voies préférentielles d’écoulements, le signal hydrologique devient plus difficilement interprétable car il perd en linéarité à partir d’un certain saut d’échelle géographique (Figure I.6). C’est le cas par exemple dans le suivi des écoulements de surface lors du passage de la parcelle agricole au petit bassin versant agricole (Le Bissonnais & Martin, 2004 ; Cerdan & al, 2004 ; Raclot & al, 2009). Ce fonctionnement est complexe car il se heurte à des hétérogénéités spatiales à la fois naturelles et anthropiques.

Nous avons vu que le drainage occupe un réseau d’extension variable, le flux produit peut également être très variable. Une partie des expériences qui ont traité de ces problèmes se basent sur le réseau hydrographique comme un support d’observation « multi échelle » de la réponse hydrologique.

2.3.2 Contrôle exercé par le facteur d’échelle

La genèse et la propagation des écoulements de surface dans les bassins versants ont été analysés en fonction de l’échelle d’observation : Peut-on simplifier le problème de variabilité de la réponse de surface en s’appuyant sur un effet taille du bassin versant ? Des travaux expérimentaux ont donc cherché à identifier des seuils de fonctionnement à travers plusieurs niveaux d’échelle. Existe-t-il un niveau d’échelle adéquat pour décrire l’hétérogénéité des bassins versants ? Une réponse positive permettrait d’envisager comment généraliser les connaissances obtenues dans de petits bassins versants expérimentaux pour des modèles à plus large échelle voire pour d’autres contextes.

Les travaux portant sur des surfaces élémentaires représentatives sont un exemple pour illustrer ce concept. REA pour « representative elementary area » (Woods & al, 1990), est considérée comme une entité spatiale au comportement stable et homogène en termes de réponse hydrologique. Il s’agit d’une taille minimale de discrétisation de l’espace du bassin versant pour laquelle la représentation des processus peut rester simple subissant dans une moindre

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mesure les effets d’hétérogénéités locales. La réponse hydrologique dans le réseau hydrographique mesurée sur une série de bassins emboités montre que la variabilité des débits diminue lorsque la taille du bassin augmente (Woods & al, 1990, Woods & al, 1995). Cette chute rapide de la variance est interprétée comme l’effet d’une organisation de l’espace du bassin versant. En analysant les distributions des débits et des indices topographiques (Equ.1.1) à différentes échelles les auteurs observent une stabilisation des variances aux mêmes niveaux d’échelle pour des bassins différents. Ils en déduisent une surface élémentaire seuil représentative. Néanmoins, des travaux successifs ont montré que la limite de cet amortissement n’est pas valable à toutes les périodes : la taille du REA est variable selon la période considérée de l’événement pluvieux (Bloschl & al, 1995). Toutefois, cela suggère qu’à partir de certains niveaux d’échelles un comportement hydrologique relativement simple est plus facile à interpréter et que la complexité reprend le dessus à des niveaux plus fins. L’existence de seuils qui contrôlent l’expression de l’hétérogénéité du milieu est mise en évidence. Ces résultats ne sont cependant pas universels et extrapolables dans d’autres contextes. Par exemple si l’on s’intéresse à des phénomènes d’érosion il faudra envisager de descendre à une échelle inférieure au REA et trouver les moyens de caractériser un comportement du bassin versant (Grayson & al, 1993).

L’amortissement de la réponse hydrologique se produit à partir d’un certain seuil de surface contributive qui dépend du contexte propre à chaque bassin versant. L’hypothèse couramment admise est que plus le bassin est grand, plus les contributions souterraines à l’écoulement sont importantes, alimentées par les sous bassins amont. A l’échelle de petits bassins versant emboités toutefois, l’hypothèse de croissance du débit de base avec la taille du bassin a été validée dans certains travaux, mais mise en défaut dans d’autres (Shaman & al, 2004) : Les travaux « multi-échelles » en bassins emboités cherchent encore aujourd’hui à décrire et expliquer ce phénomène d’amortissement et sa variabilité. En observant les écoulements journaliers sur un bassin versant de plus de 100 km² (Non loin de New-York, Etats-Unis) de structure topographique, géologique et de couverture assez homogènes, Shaman & al, (2004) ont trouvé que la taille limite du bassin pour retrouver une linéarité se situe entre 8 et 21 km². A partir de 10 km² environ, les bas débits seraient, de manière équivalente sur le bassin versant, contrôlés par un réseau de macropores et de fractures. Ce processus serait régulé par une matrice de sables et graviers positionnée autour des cours d’eau. Ushida & al, (2005) ont complété cette approche en remontant sur les processus de versants prétendant qu’il ne faut pas négliger le lien entre échelles inférieures à 10 km². Ils observent une très grande variabilité dans la réponse à l’échelle du versant, bien supérieure à celle observée dans le tout début du cours d’eau.

Hormis les contextes de fonctionnement très « hortonien » de débits de pointe pour lesquels une relation simple entre la taille du bassin et les valeurs des débits a pu être établie (Odgen & al, 2003), la connexion entre le fonctionnement à l’échelle proche du versant, extrêmement complexe, et le fonctionnement à l’échelle du bassin versant, plus facilement prédictible, reste un défi majeur (Sivapalan, 2003). Le problème est identique sur les bassins agricoles cultivés. Cerdan & al (2004) soulèvent la difficulté de caractériser les facteurs de contrôle de la réponse hydrologique pour le passage de la parcelle de quelques hectares au bassin versant de 10 km².

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2.3.3 Contrôle exercé par des descripteurs de l’espace

Il existe un certain paradoxe car lorsqu’un lien correct est établi entre les distributions spatiales d’éléments paysagers ou autres descripteurs (sols, occupation, lithologie, topographie…) et le comportement hydrologique sur un site, il n’est pas facilement applicable sur un autre site à enjeux, non jaugé. Par exemple, Soulsby & al (2006) ont cherché à identifier et hiérarchiser des facteurs de contrôle de la réponse hydrologique de façon à en tirer des règles généralisables. L’occupation du sol apparaît comme un facteur majeur de contrôle de la réponse du bassin mais les auteurs ont admis qu’il est indispensable de s’appuyer sur des données observées pour valider une théorie de fonctionnement de manière robuste. Autre exemple, dans les bassins versants ruraux, le taux de terres cultivées est un bon indicateur pour estimer les volumes écoulés, mais ce résultat est fragile car associé à une grande variabilité. Les auteurs mettent en cause la méconnaissance des mécanismes qui agissent lors du passage de la parcelle au bassin versant dans le contrôle des flux d’eau et de solutés (Cerdan & al, 2004 ; Raclot & al, 2010). Ils confirment la nécessité de disposer d’observations provenant de multiples situations de façon à les aborder de manière comparative. Dernier exemple, celui de l’indice topographique (Beven & Kirkby, 1979) (Equ.1.1) associé aux hypothèses de Topmodel (ou autres modèles utilisant cet indice) élaboré dans le but de contrôler spatialement l’ensemble de la réponse du bassin versant par l’émergence des zones saturées qui donnent lieu à des écoulements contributifs. Ce concept à l’intérêt d’être facilement mis en œuvre à partir d’un modèle numérique de terrain. Mais il est critiqué car il dépend de la résolution du MNT. Il ne tient pas compte de la structuration physique des horizons pédologiques sous jacents contrôlant les écoulements subsurfaciques (Ambroise, 2004 ; Musy, 2004). Ce concept n’est valable de manière pertinente que pour certains processus et niveau d’échelle spécifiques.

De plus, sur un plan statistique, les facteurs explicatifs des débits dans le réseau sont en priorité des variables liées à la surface drainée et la pluie dont l’humidité antérieure. En introduisant ces facteurs on explique plus de 80% des débits environ (Humbert, 1990 ; Puech Comm. personnelle). Il reste donc à expliquer 20% du débit. Ces 20% restant sont alors attribuables d’une part aux erreurs de mesures, d’autre part à tous les effets physiques des descripteurs de l’espace. Soit plusieurs variables potentielles pour expliquer seulement 20% des débits. Chacun de ces facteurs pris indépendamment ne peut expliquer au mieux qu'une part minime de la variabilité des débits, sauf cas très particulier de contraste fort pour un facteur qui contrôlerait une part significative de la variabilité. Par exemple un bassin nu contre un bassin totalement boisé ou bien complètement imperméabilisé. Ainsi seules des dominantes très fortes de descripteurs de l’espace peuvent entraîner une modification visible, un impact sur la valeur mesurée à l’exutoire. On démonte ainsi ce paradoxe : oui, les facteurs physiques ont un rôle, mais ce rôle est numériquement minime. Il est d’autant moins visible qu’il se répartit de manière équilibrée sur un grand nombre de variables. Ce rôle est donc dans le cas général difficile à prendre en compte et ne peut être mis en évidence pour un facteur que s’il est vraiment prépondérant sur les autres. Mais le rôle de ces facteurs spatialisés reste pertinent à étudier dans des scénarios de modification de bassin : imperméabilisations fortes suite à mutation rural urbain par exemple.

Il n’existe donc pas de solution miracle pour généraliser une hypothèse de fonctionnement validée sur un contexte particulier. L’étude du comportement

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hydrologique à différents niveaux d’échelle s’est montrée jusqu’à présent difficilement capable d’aboutir à une théorie universelle valable pour décrire la génération et la propagation des écoulements. C’est peut être parce que cet objectif est peu pertinent. Au vue des difficultés, des idées émergent sur l’opportunité de la classification des bassins versants et l’élaboration de référentiels. Les orientations prises dans le cadre des prévisions en bassins non jaugés (Sivapalan & al, 2003) ont néanmoins pour objet d’aboutir à un système général de prévision hydrologique qui intègre « un ensemble de paramètres représentant les propriétés du paysage qui régissent les processus cruciaux ». Parmi les axes proposés, on peut retenir la question de la réduction des incertitudes associées aux prévisions des modèles, et la promotion de réseaux d’observatoires de terrain incluant la nécessité d’innover dans ce domaine pour amener de la connaissance et contribuer à réduire ces incertitudes.

2.3.4 Déficit d’informations pour relier les niveaux d’échelle

Compte tenu de l’hétérogénéité des milieux, chaque site doit malheureusement être considéré comme un cas de fonctionnement particulier (Beven, 2000 ; Wagener & al, 2007). Il est difficile de quantifier l’hétérogénéité de surface et encore moins de subsurface du bassin versant dans la perspective de connaitre leurs impacts sur la réponse hydrologique. Déjà pour Hewlett et Hibbert (1963), il y a près d’un demi-siècle, les propriétés des sols constituaient le facteur majeur de contrôle de la réponse hydrologique. Pour de nombreux auteurs aujourd’hui sols et sous-sols constituent toujours les sources d’hétérogénéités spatiales qui ont un effet significatif sur le système hydrologique et représentent donc une clé pour en améliorer la compréhension (Troch & al, 2009). Or cette connaissance n’est pas accessible par télédétection, les méthodes d’observation permettant d’identifier et hiérarchiser les écoulements préférentiels dans le sol et le sous sol ne sont pas parvenues à maturité (Allaire & al, 2009).

Face aux hétérogénéités des milieux, si chaque situation demeure unique, des pertes d’informations seront toujours à déplorer lors du passage à plus large échelle. Il persiste un risque que le fonctionnement déduit des observations à échelle fine ne soit pas représentatif du fonctionnement à plus large échelle (Soulsby & al, 2006). Un processus ou un facteur important à échelle fine ne l’est pas nécessairement à l’échelle du bassin versant. Se donner comme objectif de faire face à ce type d’hétérogénéités passe notamment par de nouvelles approches, notamment pluridisciplinaires ; de nouvelles méthodes d’observation extrapolables et généralisables (MacDonnell & al, 2007). L’objectif serait d’identifier des « traits de fonctionnement » des bassins versants, décrire, documenter et interpréter l’impact des hétérogénéités sur l’organisation spatiale des écoulements et des différents cheminements.

Selon MacDonnell & al, (2007) la connectivité hydrologique est une propriété émergente particulièrement pertinente pour discuter de cette organisation. Les effets des hétérogénéités sur la réponse hydrologique se manifestent à travers le cheminement de l’eau et en particulier affectent le niveau de connectivité assuré par ces cheminements, quels qu’ils soient. Si les hétérogénéités affectent directement la connectivité, il apparait essentiel de mesurer cette connectivité et d’envisager par la suite de la paramétriser à l’aide de modèles. Pour ces auteurs ce travail passe par deux étapes essentielles :

Explorer à échelle fine les hétérogénéités spatiales et leurs corrélations