• Aucun résultat trouvé

3 Apports du concept de connectivité hydrologique

3.1 Une notion d’organisation de l’espace du bassin versant

3.1.1 Un ensemble organisé spatialement.

Le débit à l’exutoire d’un bassin versant est une variable qui intègre le déroulement de plusieurs processus hydrologiques sur des zones d’extension variable dans l’espace et le temps. Dans une description relativement pionnière de la connectivité hydrologique, Ambroise (1999) a marqué la distinction entre les zones actives et les zones contributives à l’écoulement du bassin versant. Une zone active peut être contributive à l’exutoire dans la mesure où une connectivité hydrologique s’établit. Cela suppose que le bassin versant soit un système organisé spatialement. Ce concept représente un cadre d’analyse du fonctionnement interne du bassin versant qui peut aider à l’élaboration de modèles simples fondés sur une réalité physique. La complémentarité des concepts de zone active et/ou contributive à un exutoire sur des emprises différentes conduit à s’interroger sur la variabilité du fonctionnement interne du bassin versant. Les zones actives sont distribuées sur le bassin versant et peuvent être le siège de plusieurs processus de production simultanément ou successivement. L’intégration spatiale de ces fonctionnements locaux mène au concept complémentaire de zone contributive variable. La contribution est conditionnée par l’existence d’une connectivité entre zones actives et exutoire du bassin versant. Plus la distance de transfert est importante, plus la réponse du bassin est lente, car la masse d’eau considérée peut subir l’influence successive de processus divers. L’ensemble des zones contributives peut éventuellement représenter une superficie inférieure à l’ensemble des zones actives. De la même

22

manière, Ambroise (2004), distingue les périodes actives variables et les périodes contributives variables. La durée totale de l’ensemble des périodes contributives peut être inférieure à la durée totale des périodes actives. Un processus de ruissellement par excès de saturation peut n’être contributif au débit que pendant la période de l’épisode pluvieux durant laquelle la zone considérée se connecte à l’exutoire. Cette description de la connectivité hydrologique représente une clé de compréhension pour chercher progressivement des seuils qui contrôlent les pertes de linéarité caractéristiques de la réponse des bassins.

Le concept de connectivité hydrologique est donc fondé sur la recherche des schémas d’organisation spatiale des écoulements mobilisés par les processus de transfert :

⇒ Dans le cas d’une production par excès de saturation le niveau de connectivité hydrologique dépend de la mise en connexion des surfaces qui se saturent progressivement au cours de l’épisode pluvieux à savoir les fonds de vallée et les zones latérales aux cours d’eau. Les antécédents pluvieux ont un rôle important à jouer sur le niveau initial de saturation. Un écoulement de base est généralement associé à ce type de fonctionnement, basé sur des transferts subsurfaciques dans des talwegs qui demeurent en attente d’une reconnexion en surface à la faveur d’un épisode pluvieux.

⇒ Dans le cas Hortonien, les conditions antécédentes sont moins importantes que l’intensité de la pluie et il n’y a pas d’écoulement de base ou de stocks en attente de réactivation. Le niveau de connectivité dépend de la réponse hydrologique de différentes zones non contigües distribuées dans l’espace du bassin versant qui entrent en activité et propagent les écoulements vers l’exutoire si les pertes au cours du transfert restent inférieures à un certain seuil de fonctionnement.

Figure I.7 : Connectivité hydrologique par extension des aires saturées (Humid) ou par assemblage d’aires contributives (Dry) selon Bracken et Croke (2007).

Ces deux grands scénarios types se mélangent dans différentes proportions au cours d’un épisode pluvieux. Les zones saturées qui suivent les fonds de vallée et les dépressions locales ainsi que les zones plutôt sensibles à l’intensité de la pluie entrent en interactions (Figure I.7). Par conséquent la réponse hydrologique est le fruit d’une dynamique qui change selon la nature de l’épisode pluvieux, les conditions d’humidité antérieure et les caractéristiques du bassin versant. Intensité et durée de la pluie sont essentielles dans le déterminisme de la connectivité hydrologique. La variabilité de l’intensité ou de l’extension spatiale

23

de la pluie en cours d’épisode sont également en cause. Les antécédents pluvieux ayant généré une humidité résiduelle contrôlent fortement la connectivité en limitant les pertes lors du transfert, accélérant ainsi la connexion des écoulements et le passage de zones actives à contributives.

Nous avons soulevé plus haut le problème du déficit de prise en compte des processus de transfert à l’intérieur du bassin versant par rapport aux processus de production plus facilement paramétrables par des informations spatiales. On peut interpréter l’essor récent de la connectivité hydrologique comme un besoin d’amplifier les connaissances des processus de transfert. Une connaissance plus ample de l’organisation spatiale des flux permettrait de dénouer le problème de l’initiation du drainage dans la zone de transition versant-réseau.

3.1.2 Identification de la connectivité hydrologique

La connectivité hydrologique qui contrôle le régime des écoulements au sein du bassin versant est d’abord principalement déterminée par la nature et la distribution de la pluie. Au-delà, les éléments majeurs à prendre en considération sont tous tributaires d’une approche spatialisée du bassin versant avec dans l’ordre (Bracken & Croke, 2007) :

Le potentiel de ruissellement des versants qui dépend de multiples

hétérogénéités.

⇒ La notion de distance entre zones de production du ruissellement et points de concentration du volume ruisselé.

⇒ La distribution et les caractéristiques des cheminements préférentiels qui jalonnent le parcours des masses d’eau sur ces distances.

Les caractéristiques de rugosité, végétation… des zones latérales aux

points de concentration ou « d’arrivée » des écoulements.

Beaucoup de travaux se focalisent sur le ruissellement car c’est un processus qui est associé à un niveau élevé de connectivité. Par exemple Bracken & Croke (2007) ont proposé une méthode d’analyse de la connectivité qui passe par le dépassement d’un seuil de déclenchement. Tous les facteurs qui influencent ce seuil doivent être pris en compte, et pas seulement la capacité d’infiltration locale du sol. Une mesure empirique d’un volume seuil de ruissellement dit « volume to breakthrough » est utilisée pour quantifier la connectivité hydrologique dans des bassins aux caractéristiques différentes. Ce volume correspond à la quantité nécessaire d’eau pénétrant dans un espace sous forme de ruissellement pour en ressortir sous forme de débit. Il est donc dépendant notamment de la capacité d’infiltration de l’eau sur l’ensemble du cheminement entre la zone émettrice et le linéaire de drainage récepteur. On voit apparaitre les idées de facteurs qui contrôlent les connexion/déconnexion du ruissellement entre deux points du bassin versant. Pour mieux connaitre ces phénomènes, s’intéresser à la distance de parcours entre la source produisant une masse d’eau sur les versants et un exutoire de ce flux représente un cadre d’analyse pertinent. Intuitivement, la connectivité hydrologique est accrue quand le ratio distance de parcours sur aire contributive diminue. Ceci peut être approché par un indicateur de type distance à l’écoulement ou à l’exutoire. On retrouve ici des notions de fonctions distances introduites dans la section 1.2.4.

La continuité de la pente et la présence de ruptures de pente influencent également la connectivité hydrologique à l’échelle du versant et du bassin mais restent peu importantes à l’échelle parcellaire. Sur les longs versants à pente quasi constante, il n’est pas rare d’observer une rupture dans la production de

24

ruissellement avant que l’eau ne parvienne au bas de la pente ou en fond de talweg. Les relations entre longueur des versants et caractéristiques de durée et intensité de pluie produisant une connexion de l’écoulement jusqu’à l’exutoire sont complexes. Plus le versant est long, plus les possibilités de pertes par infiltration sont nombreuses et pénalisent la transmission rapide de l’écoulement. Plusieurs auteurs ont proposé un mécanisme de ralentissement de l’écoulement par unité de surface de versant parcourue. Cela dépend énormément de la capacité d’infiltration du sol car le phénomène inverse se produit pour des sols à faible capacité d’infiltration qui induisent la formation de rigoles et par conséquent un accroissement du coefficient de ruissellement par unité de surface de versant parcourue. Pour une synthèse et une étude expérimentale de ces questions voir le travail de Nicolas (2010) effectué à l’échelle d’une parcelle de vigne.

3.1.3 Focus sur les interactions entre des aspects structurels et fonctionnels

La connaissance de la connectivité hydrologique nécessite une approche « intégrée » du bassin versant à travers une description de tous les éléments du système hydrologique. C’est une condition préalable pour mieux comprendre les processus et leurs interactions qui ont lieu à chaque niveau d’échelle et entre ces différents niveaux. Pour développer une telle connaissance il faut intégrer les aspects structurels et fonctionnels de la connectivité hydrologique (Bracken & Croke, 2007 ; Lexartza-Artza & Wainwright, 2009) :

⇒ Aspects structurels :

Les méthodes de discrétisation de l’espace en fonction d’hypothèses sur le comportement hydrologique n’exploitent que l’aspect structurel de la connectivité hydrologique. La description du paysage aussi fine qu’elle soit n’indique que des tendances de fonctionnement. Ainsi l’indice topographique (Equ.1.1) indique un potentiel de saturation. Le découpage de l’espace en unité de réponse hydrologique est un autre exemple : Le maillage obtenu est une structure spatiale invariante, issue d’une combinaison particulière de descripteurs physiques : sol, topographie, occupation du sol, géologie…. L’hypothèse de fonctionnement est que, pour chaque unité, la dynamique hydrologique est à la fois très peu variable et très différente de celle de l’unité voisine. La contribution de chaque unité à l’écoulement dans le réseau hydrographique dépend ensuite de sa position dans l’espace du bassin versant.

Bracken & Croke (2007) préfèrent évoquer un aspect « statique » de la connectivité. Mais le terme statique est trop limitant par rapport à « structurel » (Lexartza-Artza & Wainwright, 2009), dans le sens ou les descripteurs physiques du bassin versant sont le fruit d’une histoire, d’une succession de processus et d’interactions au cours du temps, qu’ils soient d’origines naturelle, anthropique ou mixtes. Par exemple, les dépôts sédimentaires récents accumulés ou au contraire érodés à cause de modifications radicales d’occupation du sol, en quelques décennies ou siècles, peuvent fondamentalement changer la nature des cheminements préférentiels d’écoulement sur un bassin versant.

⇒ Aspects fonctionnels

La connectivité dépend aussi de facteurs beaucoup plus variables à court terme comme les caractéristiques de la pluie : durée, volume, intensité qui contribuent à l’aspect dynamique de la connectivité (Bracken & Croke, 2007) ou à son aspect fonctionnel (Lexartza-Artza & Wainwright, 2009). Ces éléments peuvent s’avérer plus importants que les éléments structurels dans le déterminisme de la réponse hydrologique. Cet aspect dynamique ou fonctionnel de la connectivité

25

hydrologique reste encore peu documenté car jusqu’à aujourd’hui assez peu de techniques ont pu être facilement exploitées dans ce but. Les fluctuations d’intensité pluvieuse sont par exemple un facteur incontournable car elles contrôlent le phénomène de ré-infiltration du ruissellement produit et donc les temps de parcours jusqu’à l’exutoire des bassins versants. Des travaux ont montré qu’une forte intensité pluvieuse doit être maintenue suffisamment longtemps pour activer un seuil de connectivité important dans le déterminisme des crues. Dans ce domaine les pluies radar sont devenues très pertinentes.

⇒ Couplage des aspects structurels et fonctionnels

Une approche du fonctionnement hydrologique basée uniquement sur des éléments structurels s’avère donc très insuffisante. C’est la combinaison des aspects structurels et fonctionnels qui fournit une représentation complète de la connectivité hydrologique. Par exemple, pour expliquer les coefficients de ruissellement, des informations sur la variabilité d’intensité de la pluie durant un épisode couplées à des chroniques d’infiltration en cours d’épisode sont mieux adaptées que simplement des informations sur la variabilité spatiale de la capacité d’infiltration des sols (Bracken & Croke, 2007). S’appuyer sur la connectivité fonctionnelle consiste par exemple à évaluer si les interprétations du fonctionnement hydrologique : zones tampons, cheminements préférentiels, obstacles à l’écoulement, sont bien effectives et dans quelles conditions. Ce travail permet ensuite raisonnablement d’extraire une représentation simplifiée du fonctionnement. Il permet également de mieux évaluer les changements dans le fonctionnement suite aux modifications de divers facteurs physiques.

Figure I.8 : Illustration de l’approche « emboitée » nécessaire à l’exploration de la connectivité hydrologique grâce au couplage entre éléments fonctionnels et structurels et leurs interactions à différentes échelles (Lexartza-Artza & Wainwright, 2009).

Pour réussir le couplage entre les aspects structurels provenant de descripteurs géographiques et les aspects fonctionnels, des observations permettant de juger de l’organisation spatiale des zones connectées par un flux hydrologique sont indispensables. Pour cela, les approches de terrain par niveaux d’échelle emboités sont plébiscitées (Ali & Roy, 2009 ; Lexartza-Artza & Wainwright, 2009) (Figure I.8). Une telle approche est la mieux adaptée pour révéler la nature et l’intensité des interactions entre le flux écoulé et les autres facteurs dans l’étendue du bassin versant. Elle permet de cartographier les connections hydrologiques dans l’espace et évaluer les facteurs physiques qui, au cours du temps, conditionnent l’établissement de ces connections. Une stratégie de terrain

26

pertinente doit être adoptée pour caractériser au cours du temps les éventuels changements dans la hiérarchie des facteurs affectant la dynamique hydrologique.

3.1.4 Connectivité hydrologique et réseau hydrographique

Nous avons vu l’importance de prendre en compte la différence de connectivité entre versants et réseau hydrographique, de même que l’évolution temporelle de la densité de drainage du réseau au sein du bassin versant. Il en résulte une organisation spatiale et temporelle des frontières entre connectivité diffuse (versants) et connectivité directe (réseau) (Ali & Roy, 2009).

La transition versant-réseau dépend de la connectivité :

⇒ Dans le versant

Il s’agit de l’aptitude des versants à générer du ruissellement selon la nature du substrat et le régime de pluie, sans oublier la topographie voire la microtopographie. Le rôle des structures artificielles est par exemple très important dans les paysages anthropiques. De nombreux travaux ont montré l’importance des routes et fossés agricoles sur la concentration des écoulements de surface et leur redistribution dans l’espace du bassin versant. Ces phénomènes affectent considérablement le cheminement de l’eau et donc la connectivité hydrologique. Les fossés artificiels peuvent aussi jouer un rôle de régulation de la connectivité hydrologique car dans certains contextes et conditions hydrologiques ils peuvent favoriser l’infiltration des eaux collectées (Carluer & De Marsily, 2004).

Dans la zone de contact versant-réseau

Lorsqu’elle est présente, une zone tampon latérale au réseau contribue à ralentir l’écoulement et donc à abaisser la connectivité hydrologique. Il peut s’agir de zones humides caractérisées par une importante rugosité en surface et une capacité de stockage. Une zone d’humidité permanente peut être liée à un processus de redistribution subsurfacique des écoulements excédentaires reçus par les versants voisins (Dunne et Black, 1970), ou également à l’influence d’une nappe contrôlée par un cours d’eau à proximité.

⇒ Au sein du drain

Au niveau des zones de concentration qui initient le mécanisme de drainage, l’acheminement des masses d’eau vers l’aval s’effectue sur des supports variables en termes de largeur, rugosité pouvant affecter la vitesse de transfert. Ces éléments sont difficiles à quantifier mais conditionnent le niveau de connectivité hydrologique. Les situations conduisant à des systèmes érosifs et à des incisions de type ravines ont été largement étudiées car ils accroissent de manière évidente la connectivité hydrologique. En revanche les systèmes plus diffus dans la génération de l’écoulement de surface sont moins connus car plus difficiles à observer et quantifier.

Etant donné le rôle important de ces trois zones du bassin versant, on peut dire qu’en fonction du cheminement du réseau hydrographique (réseau de drainage potentiel) la connectivité hydrologique peut donc être affectée par divers éléments paysagers traversés. Dans la perspective de mieux comprendre l’impact de cette variabilité, Spence & Hosler, (2007) ont décrit les séquences d’éléments paysagers positionnés le long du cheminement de l’eau dans un paysage humide canadien très hétérogène. Ils ont utilisé pour cela des fonctions distance avec différentes hypothèses de densités de drainage et de densité d’échantillonnage des éléments paysagers adjacents au réseau. Les résultats ont

27

montré respectivement une grande et une faible sensibilité de ces densités à la distribution des éléments paysagers concernés. Pour les auteurs, la paramétrisation d’un modèle hydrologique devrait donc être dynamique à l’image de la densité de drainage qui est le reflet de l’état hydrologique du bassin versant. Le but serait d’intégrer de manière plus juste la connectivité structurelle liée à l’agencement des divers éléments paysagers via la densité de drainage pour expliquer la réponse du bassin versant.