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5 Réseaux transitoires dans la modélisation spatialisée : regard sur les attentes et les sources de progrès

5.3 Usages des concepts fondés sur la distance d’écoulement

5.3.1 Outils bâtis pour l’étude du transfert

Des concepts basés sur la notion de distance de parcours dans les réseaux ont été développés pour tester des hypothèses et envisager une aide à la paramétrisation de modèles spatialisés. Ces modèles plus simples que les modèles physiques reposent sur des hypothèses de cheminement, surtout basées sur la géomorphologie du bassin versant. Ils ont permis d’étudier la dynamique de la réponse via l’étude des temps de parcours des masses d’eau. Le concept d’hydrogramme unitaire géomorphologique a été introduit par Rodriguez-Iturbe et Valdes (1979) et généralisé par Gupta et al, (1980). Ce développement a émergé notamment dans le but de mieux comprendre les effets d’échelle sur la réponse hydrologique des basins versants plutôt que pour construire des applications hydrologiques (Cudennec, 2000).

Avant la disponibilité en information spatiale, l’analyse du transfert a été d’abord fondée sur une vision statistique de la relation pluie – débit. Cette approche est basée sur l’extraction de la pluie nette des hydrogrammes observés en ne considérant que la partie ruissellement pur. La séparation est effectuée de manière à égaliser le volume de pluie nette avec celui du ruissellement superficiel. L’hydrogramme unitaire correspond à la réponse du bassin versant à une averse unitaire de valeur homogène dans l’espace générant une lame d’eau correspondant systématiquement à la pluie nette. A chaque instant le débit observé est donc une combinaison linéaire des averses unitaires de pluie nette affectant la superficie du bassin versant. Cette combinaison est obtenue à chaque instant par un calcul de convolution.

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− ⋅

=

t

d

u

t

P

A

t

Q

0

)

(

)

(

)

(

)

( τ τ τ

(Equ1.5) Avec :

Q(t) : Débit à l’exutoire du bassin versant A : surface du bassin versant

P(t) : Pluie nette entièrement disponible au ruissellement U(t) : Fonction de transfert

Cette formulation (Equ.1.5) a peu de sens physique lorsque U(t) est issue d’une simple analyse statistique (Cudennec, 2000). La connaissance spatialisée du réseau hydrographique a ensuite permis d’exprimer U(t) selon une fonction de transfert géomorphologique. Les hypothèses qui sous tendent ce concept sont les suivantes :

⇒ L’hydrogramme unitaire géomorphologique représente la densité de probabilité des temps de parcours des masses d’eau jusqu’à l’exutoire du bassin.

⇒ La distribution de ces temps de parcours est fortement contrôlée par le cheminement de l’eau provenant des sources d’émission du ruissellement jusqu’à l’exutoire.

Par conséquent il est indispensable d’associer à ce cheminement deux propriétés fondamentales qui sont une probabilité qu’une masse d’eau parcoure effectivement ce cheminement et une distance de parcours suivant ce cheminement. Des hypothèses sont désormais nécessaires à ce niveau pour proposer un modèle morphologique et topologique du réseau hydrographique. Le but est d’identifier les cheminements possibles des masses d’eau et ce faisant calculer les densités de probabilités des distances parcourues et des temps de transfert.

Une première approche a été basée sur la hiérarchie topologique de Strahler (Rodriguez-Iturbe et Valdes, 1979). Il s’agit de faire circuler les masses d’eau des rangs de Strahler les plus faibles jusqu’à l’exutoire du bassin versant par transitions successives. Les distributions des temps de parcours sont issues des rapports de confluence et rapports de surface de Horton. Une seconde approche est basée sur la formulation d’une fonction de distance à l’exutoire. On peut donc se passer des rapports de Horton si on dispose d’une connaissance plus formelle de la géomorphologie (Rinaldo & al, 1991). Ainsi, la fonction aire-distance ou surfaçogramme (Douvinet & al, 2008) décrit la distribution des surfaces unitaires du bassin versant selon leur distance à son exutoire suivant un cheminement gravitaire en surface. La comparaison des approches montre que la méthode basée sur les cascades d’ordres de Strahler à tendance à limiter les cheminements possibles des masses d’eau ce qui ne correspond pas à une réalité physique alors que la fonction aire représente une infinité de cheminements possibles (Snell & Sivapalan, 1994). Cette distribution permet bien d’envisager la densité de probabilité pour une masse d’eau de parcourir un cheminement donné jusqu’à l’exutoire correspondant à une distance spécifique. Elle peut s’exprimer de la manière suivante :

=

=

n a a

x

S

x

A

1

)

(

)

(

(Equ.1.6)

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Avec

A(x) : fonction aire – distance

x : distance d’écoulement jusqu’à l’exutoire S : surface unitaire

a : intervalle de distance d’écoulement jusqu’à l’exutoire n : distance maximale d’écoulement jusqu’à l’exutoire

Figure I.14 : Schéma de discrétisation du bassin versant en deux espaces A1 et A2 correspondant à deux isochrones. D’après Maidment (1993).

La fonction aire-distance est souvent approximée par la fonction largeur5 du bassin versant après avoir choisi un réseau hydrographique à condition que sa densité de drainage soit relativement homogène dans l’espace du bassin versant (Cudennec, 2000). Cependant la fonction aire-distance peut être dérivée en fonction « aire-temps » plus communément appelée isochrones du bassin versant (Figure I.14). En effet cette fonction peut être déformée à souhait en courbes isochrones selon des paramètres de vitesse de transfert que l’on peut appliquer globalement ou distribuer spatialement à partir d’un découplage versant-réseau plus ou moins complexe.

5.3.2 Hypothèses simplificatrices mais simplicité d’usage.

Le concept d’hydrogramme géomorphologique ne tient pas compte des processus de genèse du ruissellement qui se déroulent sur les versants. Il suppose classiquement que le ruissellement est généré de manière uniforme sur la totalité du bassin versant, et que le temps de transfert dans les versants est faible au regard de celui du réseau hydrographique. D’autres limites sont liées de la même manière que pour l’hydrogramme unitaire à la linéarité supposée de la réponse hydrologique, une vitesse moyenne constante des écoulements et une indépendance des cheminements des masses d’eau. En réalité dans de nombreux cas les vitesses moyennes d’écoulement dans le réseau hydrographique sont une fonction non linéaire des débits. La propagation des écoulements dans le réseau est marquée par des zones d’accélération et de ralentissement à cause de changements dans la rugosité et la forme des sections. Une valeur asymptotique

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est atteinte pour les forts débits et c’est dans ces conditions qu’une hypothèse de linéarité devient acceptable (Giannoni et al, 2005). Le problème de crédibilité de ces applications est que les concepts de distance, vitesses et temps de parcours doivent être reliés à des critères physiques du bassin versant en particulier en l’absence de mesures de variables hydrologiques. Plusieurs travaux ont tenté d’intégrer ces processus de versants souvent à travers l’usage conjoint de modèle à base physique. Seuls les grands bassins versant sont traités avec une finalité prédictive. Les travaux concernent des conditions de crue où l’hypothèse de linéarité est la plus solide physiquement (Deprataere & Moniod, 1991 ; Bloeschl & Sivapalan 1995). Lors de tels évènements la morphologie du bassin passe en tête dans les facteurs explicatifs de la dynamique de réponse hydrologique à l’exutoire.

De manière empirique on observe une perte de linéarité de la réponse dans les petits bassins. Ce constat bien qu’empirique limite fortement la prédictibilité de l’hydrogramme géomorphologique dans des petits bassins versants. La principale faiblesse physique de ce type de modèle est que la masse d’eau produite n’est pas transférée de maille en maille du modèle mais directement à l’exutoire avec un temps de parcours défini. L’utilisation d’un hydrogramme unitaire instantané dans une modélisation pluie débit possède néanmoins d’importants avantages en termes de simplicité et de contrôlabilité (Giannoni & al, 2005), les temps de calcul sont par ailleurs très faibles. On peut donc le voir comme un outil d’analyse du transfert dans le réseau. On peut également considérer l’approche de l’hydrogramme unitaire géomorphologique comme semi distribuée lorsqu’elle permet de tester des hypothèses sur l’importance des facteurs impactant la dynamique hydrologique tels que le type de sol en plus de la morphologie (Giannoni & al, 2005), les éléments anthropiques comme les retenues collinaires pour l’irrigation (Cudennec, 2001) ou les aménagements urbains (Rodriguez, 1999).

5.3.3 Diagnostics appuyés par les MNT pour le tracé du réseau

Les données issues de la géomorphologie constituent le support indispensable pour réaliser un hydrogramme géomorphologique. Les données et méthodes issues de la géomatique fournissent aujourd’hui facilement ce type de support. L’avantage des MNT est de pouvoir produire rapidement une fonction aire ou « surfaçogramme ». Les méthodes permettant de calculer les directions d’écoulement sont nombreuses mais la méthode D8 reste la plus pratiquée. Cette approche numérique de la géomorphologie est souple car facilement automatisable mais peut être discutée compte tenu de la maille unitaire carré et de l’effet de la résolution des MNT (Cudennec, 2000). La digitalisation des talwegs ou de bases de données disponibles est également possible, par exemple en hydrologie urbaine. Dans ce cas on utilisera une fonction largeur qui est utilisée comme une estimation de la fonction aire. Ces deux types de méthodes et de format de données ont chacun leurs intérêts et limites. De nombreuses hypothèses ont été élaborées dans la littérature pour paramétrer les variables dynamiques des hydrogrammes géomorphologiques avec un MNT (Maidment, 1993 ; Muzik & al, 1996, Gyasi-Agiey, 1995 ; Cleveland & al, 2008). Le choix du MNT et la connaissance de sa qualité reste fondamental pour interpréter les résultats des simulations géomorphologiques (Lindsay & Evans, 2008).

Selon Maidment (1993) une question importante reste en suspens à savoir si la totalité du bassin versant est réellement contributive à l’écoulement. Selon cet auteur la fonction de transfert déductible du MNT pourrait être modulée pour

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distinguer des aires réellement contributives d’aires non contributives durant un épisode pluvieux. Suivant ce raisonnement un travail d’association d’un hydrogramme unitaire géomorphologique avec un modèle de production du ruissellement sur surfaces saturées basées sur un MNT a été élaboré (Gyasi-Agiey & al, 1995). Le but était de restituer la dynamique interne du bassin versant. Le transfert est divisé en deux parties : une partie versant et une partie réseau hydrographique. Mais le réseau est étendu à des sections transitoires dont le fonctionnement est conditionné à une valeur seuil d’indice topographique (Beven & Kirkby, 1979). Le transfert sur le réseau permanent est paramétré classiquement via la fonction largeur normalisée. Le degré de saturation évoluant en cours d’épisode, le modèle est considéré comme dynamique.

L’usage des MNT pose le problème de la position géographique des têtes de bief. Nous avons vu que les sources ne sont pas délimitées par un point géographique précis, mais se présentent comme des zones saturées en eau et réparties de façon plus ou moins discontinues suivant la ligne de thalweg (Montgomery & Dietrich, 1988). Donc un seuil de surface contributive n’est pas suffisant pour identifier les départs de drains dans une grille de MNT : il n’a pas été vérifié que pour une même valeur seuil d’aire drainée critique sur un même bassin versant, l’ensemble du réseau se mette à fonctionner. Au contraire Puech et Adam (1996) trouvent des rapports de surfaces drainées critiques de 1 à 5, dépendant des pentes mais également du type de sol. L’hypothèse serait valable dans une situation de linéarité de la réponse hydrologique or c’est actuellement la procédure automatique d’extraction des réseaux des MNT la plus répandue (Jenson & Domingue, 1984). Giannoni & al, (2005) reprennent le concept d’un seuil basé à la fois sur un critère de surface drainée et sur un critère de pente (Montgommery , & Dietrich, 1989) :

Ad = ASk (Equ.1.7)

Avec :

Ad : Aire drainée minimale A : surface amont

S : pente

k : coefficient d’ajustement

Ils ont démontré qu’une solution basée un seuil ASk avec k > 1 afin de donner plus de poids aux versants pentus dans le phénomène de déclenchement du ruissellement, est légèrement meilleure que la solution classique k = 0. Pour valider ces hypothèses, la production a été générée par l’application du modèle empirique du « Curve Number » du Soil Conservation Service intégrant comme facteurs de variabilité le type de sol, l’occupation du sol et les conditions d’humidité antécédentes calculés à partir des 5 jours antérieurs.

Ils ont ensuite utilisé un hydrogramme unitaire géomorphologique de la forme suivante :

= =

=

t n t

dx

x

x

t

M

t

Q

1

)

),

(

(

)

( τ

(Equ.1.8) Avec :

n : surface totale du bassin

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Vr

x

Dr

Vv

x

Dv

x) ( ) ( )

( = +

τ

(Equ.1.9) Avec :

Dv : distance de parcours de l’eau produite par x sur les versants, Dr : distance de parcours de l’eau produite par x dans le réseau hydrographique,

Vv : vitesse de transfert sur versant de l’eau produite par x, Vr : vitesse de transfert en réseau de l’eau produite par x.

Gianonni & al (2005) démontrent ainsi que l’extension raisonnée du réseau hydrographique à l’aide de MNT est un paramètre important pour améliorer la qualité des simulations. L’hypothèse d’une densité de drainage uniforme extraite du MNT est clairement mise en défaut.

5.4 Conclusion

Les modèles spatialisées intègrent de nombreux paramètres pour représenter l’ensemble des processus physiques des bassins versants à l’aide d’informations spatiales, de manière à fournir des prévisions et des scénarios d’aménagement. Mais parallèlement, la disponibilité des données internes aux bassins versants provenant de processus se déroulant en amont de l’exutoire demeure « anecdotique » (Castaings & al ; 2003). De nombreux auteurs ont indiqués qu’on ne devrait plus caler les modèles de façon « aveugle », et qu’il faudrait s’attacher à observer plus fidèlement le milieu avec une logique spatialisée (De Marsily, 1994 ; Ambroise, 1999 ; Puech, 2000 ; Grayson & al, 2002 ; Mac Donnell, 2007 ; Sivapalan, 2009). Ce constat implique le besoin en méthodes d’observations spatialisées adaptées car en télédétection on dispose le plus souvent de mesures indirectes intégrées à des pas de temps ou de résolution spatiale pas toujours pertinents.

La prise en compte du réseau hydrographique dans les modèles souffre de ces problèmes. En tous les cas les situations pour lesquelles un transfert rapide s’étend au delà ou ailleurs que sur le seul tracé escompté sont familières. Mais les tentatives de validation effectuées par observations directes sur le réseau hydrographique montrent qu’à l’échelle du petit bassin versant de quelques km² il est difficile d’obtenir des mesures distribuées en grand nombre. Ces mesures doivent également être compatibles avec le fonctionnement d’un modèle qui est généralement peu adapté aux niveaux d’échelles les plus fins. Par ailleurs l’usage de MNT à haute résolution spatiale dans la modélisation ne résout pas le problème directement. Il soulève de nouvelles questions sur la validité des transferts transitoires en surface et leur fonction de connectivité des surfaces saturées. Plus les informations spatiales sont fines et plus le besoin est grand de valider par des observations directes en quantité importante.

Parallèlement, les concepts basés sur la connaissance des distances d’écoulement, dérivable en temps de parcours par le biais d’hypothèses sur les vitesses de transfert, continuent d’être développés. Ces outils ne peuvent se substituer aux modèles spatialisés à base physique car leur domaine de validité est limité. Mais leur maniabilité avec peu de paramètres permet facilement de tester des hypothèses sur le niveau de connectivité assuré par la morphologie des bassins, conjointement à d’autres hypothèses éventuelles, en particulier à l’aide des MNT. Malgré de nombreuses approximations ces approches ont permis notamment de montrer que le tracé du réseau et la distribution spatiale de la

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densité de drainage ne peuvent être négligés pour expliquer la réponse hydrologique.

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6 Conclusions sur la complexité et les enjeux du cheminement