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5 Réseaux transitoires dans la modélisation spatialisée : regard sur les attentes et les sources de progrès

5.1 Difficultés des modèles et recours aux observations « spatialisées »

5.1.1 Modélisation spatialement distribuée : définition et ambition

L’approche classique globale en modélisation hydrologique tend à considérer des zones comme homogènes du point de vue de la continuité des processus hydrologiques. Même si certains modèles ont rapidement intégré des données spatiales (Girard & al, 1972), cette approche n’est pas satisfaisante physiquement car les représentations du bassin versant restent souvent associées à un système de réservoirs à travers lesquels les relations pluie – débit sont à caractère empirique. Cela n’enlève rien à la relative simplicité d’utilisation de ces modèles dont les prévisions à l’exutoire des bassins versants demeurent satisfaisantes et suffisamment fiables pour de nombreuses applications. Tous les problèmes de prédiction en hydrologie ne requièrent pas la complexité d’un modèle distribué à base physique mais doivent nécessairement pour être crédibles scientifiquement, s’appuyer sur des bases physiques (O’connell & Todini, 1996). En effet, dans un modèle à base physique la transformation pluie – débit doit théoriquement faire intervenir toutes les caractéristiques physiques du bassin versant. L’intégration de données d’observation de la terre dans la modélisation hydrologique distribuée est donc devenue incontournable pour s’adapter à l’extrême variabilité spatiale des milieux et répondre aux nécessités de gestion.

En effet, aujourd’hui nous voulons non seulement connaitre la quantité et la qualité de l’eau qui circule dans un cours d’eau mais également l’origine spatiale des flux et contaminants dont l’eau est le vecteur. Les investissements publics nécessaires pour prévenir et corriger les désordres écologiques doivent être

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ciblés et pour ce faire il est de plus en plus incontournable de tenir compte de la variabilité spatiale des mécanismes en cause pour expliquer leurs effets.

Plus encore que les modèles globaux, la modélisation hydrologique à base physique, en introduisant de nombreux paramètres mesurables, des variables d’états et des équations de conservation des masses a apporté de meilleures explications et représentations des processus hydrologiques. Les modèles hydrologiques spatialisés sont très nombreux on peut citer par exemple Swatch (Morel-Seytoux & al, 1986), SHE (Abbot & al, 1986), Topog (Vertessy & al, 1999), Hydrotel (Fortin & al, 1995), Mhydas (Moussa & al, 2002) ou plus récemment les modélisations construites dans la plate-forme LIQUID (Branger & al, 2010). Quelle que soit l’échelle d’application, la complexification de ce type de modèle est liée à l’importante source de données nécessaire à leur calage, initialisation et validation qui se basent sur de nombreux paramètres. C’est dans ce contexte que l’apport des données et techniques spatiales dans la modélisation est devenue une réelle opportunité de contourner de manière plus efficace certaines difficultés liées à l’acquisition de données terrain. Par conséquent certains modèles ont pu proposer plus facilement des applications sur des bassins très divers (Fortin & al, 1995).

5.1.2 La question de la prédictibilité des modèles

L’utilisation des données de télédétection dans les outils de modélisation spatialisée nécessite de trouver un compromis entre la qualité de la donnée disponible et le lien avec le paramètre recherché. Les modèles complexes intègrent plus de processus et donc plus de paramètres. Par conséquent ces outils nécessitent une meilleure disponibilité en données de validation. Ce triptyque processus/paramètres/observation passe forcement par des protocoles d’observations spatialisées de la réponse hydrologique (Grayson & Bloeshl, 2000 ; Sidle, 2006), notamment pour soutenir l’usage des informations spatiales (Puech, 2000).

Figure I.13 : Diagramme schématique des relations entre la complexité des modèles environnementaux, la disponibilité des données d’observation in situ et la performance prédictive du modèle (Grayson & Bloschl, 2000).

L’usage de données d’observations hydrologiques spatialisées est relativement nouveau. Cet usage n’améliorera pas forcement les performances des modèles à simuler l’hydrogramme à l’exutoire, notamment à cause des problèmes de surparamétrisation, mais il permettra tout du moins de contrôler le réalisme des simulations à l’intérieur du bassin versant (Grayson & al, 2002 ; Sivapalan, 2009) et de simuler les bons effets à partir de causes justes physiquement

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(Klemes, 1983, Beven, 2000). Ainsi la complexité d’un modèle induit le recours à une grande quantité de données si l’on souhaite améliorer ses performances prédictives (Figure I.13).

Les méthodes comme la géostatistique sont extrêmement utiles pour révéler les hétérogénéités spatiales comme par exemple l’humidité des sols mais leur apport dépend de la densité des observations dans l’espace en rapport aux processus ciblés si on veut avoir une bonne idée du « pattern » de connectivité hydrologique (Ali & Roy, 2009). De plus ces méthodes rendent compte de l’état du « pattern » mais pas du degré de connectivité. Donc toute mesure directe spatialisée est pertinente : Grayson & al, (2002) font l’analogie avec l’étude du signal radar pour l’humidité des sols (Gineste, 1997) mais surtout avec la description des champs de pluie qui a considérablement progressé avec l’avènement des pluies radar. Cet outil de télédétection terrestre mesure spatialement une variable hydrologique d’importance majeure : la pluie. Même si les résolutions spatiales restent relativement grossières, la structure spatiale restituée par le capteur préserve bien mieux la variabilité de ce processus que ne la restituent des données ponctuelles dispersées. Peut-on espérer de tels progrès sur d’autres variables hydrologiques ?

5.1.3 Un exemple de validation à partir d’observations spatialisées sur un réseau

La technique classique de validation d’un modèle hydrologique consiste à utiliser l’hydrogramme à l’exutoire du bassin versant. La validation les modèles spatialisés uniquement par cette unique localisation du débit est extrêmement limitée du point de vue de la crédibilité de l’aspect spatialisé du modèle. Mais de plus en plus d’efforts de modélisation hydrologique distribuée prennent en compte un certain nombre de données d’observations ou de mesures hydrologiques dans le réseau hydrographique interne au bassin versant. Ces valeurs sont utilisées soit en calibration soit en validation des modèles (Motovilov & al, 1999 ; Bandaragoda & al, 2004 ; Ivanov & al, 2004 ; Moussa & al, 2007). Pour un usage en calibration, il en ressort que la prédictibilité du modèle aux niveaux des sous bassins versants jaugés peut être améliorée dans le cas d’un grand bassin versant (Moussa & al, 2007).

La méthodologie d’observation des ruissellements de Krasovskaia (1988) à l’échelle d’un bassin versant de taille plus modeste a été reprise dans le but de valider les prévisions du modèle hydrologique distribué nommé ECOMAG (Motovilov & al 1999). Ce modèle tient compte de l’ensemble des principaux processus hydrologiques du cycle de l’eau. Selon les auteurs, mener des observations « synoptiques »4 des ruissellements peut donner une idée de la variabilité spatiale des écoulements. Quatre campagnes de suivis des ruissellements basés sur 38 sites de mesure ont été réalisées sur un bassin versant norvégien durant la phase de récession hydrologique pour faciliter l’interprétation des mesures. Deux campagnes ont été effectuées en conditions humides et deux autres en conditions sèches. La comparaison entre ruissellement mesuré et simulé n’a pu être effectuée que sur 12 des 38 sites d’observations. Les différences observées ne sont pas significatives et laissent apparaître un comportement correct du modèle alors que les données synoptiques n’ont pas été utilisées dans la phase de calibration. Cependant les

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L’adjectif synoptique évoque l’idée de « voir dans un même ensemble », « d’embrasser d’un coup d’œil » un système complexe (http://fr.wikipedia.org/wiki/Synoptique).

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divergences observées n’ont pu être expliquées de manière ferme. Les hypothèses avancées concernent :

Les imprécisions sur les calculs d’aires drainées par les petits affluents.

Ceci remet en cause la qualité de l’information spatiale utilisée dans le modèle.

Les imprécisions liées aux techniques d’interpolation spatiale des

précipitations. Ceci soulève le problème de l’ambition multi-échelle des modèles si la qualité du champ de pluie utilisé reste médiocre.

⇒ Les pas de temps différents entre des mesures multi-locales de débits ruisselés effectuées sur 2 à 3 jours alors que les débits sont simulés en moyenne pour la journée. Ceci met en cause directement le protocole d’observation spatialisé et sa compatibilité avec le paramétrage du modèle.

Cet exemple traduit les difficultés qui se sont présentées dans une approche de validation multi-échelle de modèle hydrologique en particulier à un niveau d’échelle relativement fin. Ces limites concernent l’adéquation entre la précision spatiale et temporelle des paramètres du modèle et la qualité des observations multi-locales effectuées dans le réseau hydrographique.