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C HAPITRE 3 : METHODOLOGIE DE LA THESE

A) A VANTAGE DE L ’ ETUDE DE CAS UNIQUE DANS L ’ ETUDE DES FMN S

Nous allons montrer en quoi cette démarche reste cohérente avec notre design de recherche et les objectifs fixés. Le choix d’une étude de cas unique se justifie à travers trois avantages majeurs de cette méthode. L’étude de cas unique permet de remettre en cause des théories, de proposer des analyses plus fines de ses résultats du

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fait d’une meilleure contextualisation et enfin des études plus complexes au travers d’analyses multiniveaux.

i. UNE DEMARCHE FAVORISANT L’EMERGENCE DE NOUVELLES THEORIES

L’étude approfondie d’une FMN permet de construire, développer et illustrer de nouvelles théories (Siggelkow, 2007; Yin, 2009) à travers ce fil rouge qu’est l’étude d’une unique FMN. Nous pouvons considérer nos travaux comme une étude de cas approfondie. En effet, au regard du temps passé dans l’organisation (1 an à temps plein, 2 ans de contacts réguliers) nous avons pu en développer une image précise en particulier pour décrire un processus. Nous y sommes parvenus via les nombreux contacts, à la fois formels et informels, réalisés durant cette période.

L’étude d’un cas particulier permet de pointer des anomalies dans la théorie (Dumez, 2013) qui viennent nuancer les recherches antérieures. En montrant les contradictions de la réalité observée avec des théories établies, on souligne le besoin d’une nouvelle grille d’analyse théorique ou conceptuelle. L’intérêt d’une étude de cas approfondie réside alors dans le caractère unique de ce que nous cherchons à décrire. On peut même y développer une recherche systématique des « aberrations » qui posent de nouveaux problèmes de gestion. Une telle étude qui s’inscrit dans la durée nous a permis de rester ancré à la réalité tout en nous détachant de ces cadres théoriques. Un passage de l’éditorial de Siggelkow paru en 2007 résume très bien cette posture :

« A paper should allow a reader to see the world, and not just the literature,

in a new way. … If theory talks only to theory, the collective research exercise runs the danger of becoming entirely self-referential and out-of-touch with reality, of coming to be considered irrelevant. » (Siggelkow, 2007, p23).

L’avantage de mener une étude de cas unique réside bien sûr dans son caractère exploratoire, c’est-à-dire de pouvoir faire des découvertes. Mais elle permet aussi et surtout de construire ses propres représentations du fait de la qualité d’analyse qu’elle permet d’obtenir. En effet, une telle démarche fondée sur le long terme a rendu possible une compréhension fine de l’organisation étudiée. Un cas unique approfondi

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permet d’augmenter drastiquement la précision des unités d’analyse de recherche et la précision en matière de description. C’est ici qu’on peut opposer une approche purement quantitative à une approche plus descriptive.

ii. UNE DEMARCHE PERMETTANT UNE MEILLEURE CONTEXTUALISATION DU CAS ET DES RESULTATS

Lorsque l’on étudie les FMNs, on est rapidement confronté au besoin de distinguer différentes unités d’analyse comme les filiales, les projets multinationaux, les fonctions corporates, le siège, etc. L’approche descriptive permet d’avoir une vision plus nuancée que des définitions purement formelles (au sens d’accessibles quantitativement, approximées par des données consolidées a posteriori) et de mieux comprendre les mécanismes organisationnels en jeu. L’exemple de l’étude des filiales est frappant en ce sens.

On peut distinguer deux approches. Une première approche dite descriptive (ou compréhensive) cherchera à comprendre ce qu’est une filiale en fonction de ses relations hiérarchiques formelles ou informelles, son environnement interne et externe et ses relations avec différents acteurs. Cette approche basée sur la description permet donc d’avoir une image à la fois précise de la filiale, mais en même temps floue du fait de la diversité qui peut émerger de cette méthode. Une seconde approche plus quantitative va elle se fonder elle sur une définition purement légale de la filiale pour pouvoir utiliser des données chiffrées issues de bases de données et donc les comparer à grande échelle. Ce sont toutes les entreprises dont le capital est détenu au moins à 51 % par une société mère. On a donc ici une image moins floue, car simplifiée de la filiale. Cette approche ne permet pas de voir toutes les relations qui sortiraient de ce cadre défini très précisément, se limitant aux grandes variables accessibles et chiffrées. La nuance dans la recherche s’opère grâce à une description et une étude poussée des unités étudiées, mais aussi, dans le contexte des FMNs, par leur comparaison dans différents contextes.

L’étude approfondie d’une FMN nous a permis d’explorer une variété de situations et de sous-cas au sein d’un même contexte. Comme la fameuse recherche

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menée chez Disney par Brannen étudiant le transfert de compétences des États-Unis vers la France et le Japon (Brannen, 2004), nous avons pu étudier différents sous-cas au sein du même groupe. Cette approche permet au chercheur d’observer et comparer des différences au sein d’une même firme et dans un même contexte global. Cela facilite et accélère la compréhension des matériaux, car le contexte général est le même (même organisation mère), tout en donnant accès à une grande variété de contextes pour notre recherche. Nous avons pu observer ces différences en particulier au niveau de l’étude de la figure de chef de projet (chapitre 7). Dans cet article, nous avons pu comparer à travers des entretiens et l’analyse de projets différents types d’individus dans différents projets de déploiement au sein du groupe. Le fait que ces cas partagent le même contexte global nous a permis de contextualiser plus finement et surtout d’analyser les interdépendances entre les différents niveaux, les uns faisant référence aux autres. Finalement, ce sont les interprétations que nous faisons de nos matériaux qui sont plus fines et plus intéressantes en y apportant la richesse à laquelle nous étions confrontés presque au quotidien. Cela nous a permis de construire un nouveau cadre théorique et de l’explorer par la même occasion. Cette richesse, on la retrouve aussi dans cette démarche à travers les possibilités qu’elle offre en termes de positionnement d’analyse à différents niveaux.

iii. UNE DÉMARCHE PERMETTANT L’ANALYSE MULTINIVEAUX

Une étude sur le long terme permet d’explorer la même question de recherche à différents niveaux d’analyse (Lecocq, 2012; Lehiany, 2012; Musca, 2006; Rousseau, 1978) et in fine de comprendre les interactions entre ces différents niveaux. À la façon des travaux qui étudient leurs questions de recherches à différents niveaux d’analyse de la FMN (Hansen & Løvas, 2004), nous avons essayé d’étudier la phase aval du processus d’innovation de Air Liquide à différents niveaux. Nous avons souligné plus haut dans le chapitre de la revue de la littérature l’intérêt d’étudier la phase aval des processus d’innovation à partir de différentes unités d’analyses et donc de niveaux différents. Nous montrerons au travers du chapitre 5 que, d’un point de vue théorique,

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cette étude à différents niveaux faisait émerger le besoin d’un cadre conceptuel nouveau avec le concept de déploiement des innovations. Ici et à travers notre étude de cas, nous ne cherchons pas à généraliser le concept de déploiement à l’ensemble de la population des FMNs, mais plutôt de le construire comme une proposition théorique qui nous permet d’appréhender des phénomènes nouveaux impliquant des interactions nombreuses à différents niveaux d’analyses.

Pour rendre compte d’une telle perspective, il nous fallait donc investiguer ces différents niveaux d’analyse et leurs interactions, ce que nous permet de faire l’étude d’une FMN unique (Lervik, 2011). Nous avons donc pris le parti de choisir un cas unique pour avoir la possibilité d’observer la phase aval du processus d’innovation à différents niveaux d’analyses. C’est aussi exploiter au mieux la diversité du cas du fait qu’on étudie une FMN. Ce type d’organisation peut se caractériser par le fait qu’elles sont plus grosses, plus complexes et variées en termes de culture et d’institutions présentes à la fois au sein du groupe et à l’extérieur. Mais c’est aussi la possibilité de « voir » et d’avoir accès à différents pays et donc contextes via les filiales.

D’un point de vue pragmatique, au sens premier du terme, c’est aussi l’idée que pour réussir à investir un tel terrain de recherche cela doit se faire sur le long terme. Ainsi, pour comprendre un cas aussi complexe il faut y passer du temps, interviewer de nombreuses personnes, voire travailler au sein de l’organisation même. L’étude de cas unique est donc en parfaite adéquation les phénomènes que nous cherchons à étudier dans notre recherche doctorale. Cet « outil de recherche » (l’étude de cas unique) a été crucial pour nous permettre de produire nos résultats. Nous allons voir maintenant que pour construire cette analyse fine d’un cas unique nous nous sommes appuyés sur une démarche qualitative, qui a été construite comme une enquête.

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II)

N

OTRE DEMARCHE METHODOLOGIQUE

:

UNE ENQUETE FONDEE

SUR LA RECHERCHE QUALITATIVE

Dans cette partie, nous allons justifier notre choix d’une approche qualitative pour répondre à notre question de recherche. Nous verrons ensuite que cette approche est en cohérence avec notre approche par étude de cas et la démarche épistémologique que nous avons suivie, à savoir la façon dont nous avons mené notre enquête.

II.1)L

E CHOIX DE LA RECHERCHE QUALITATIVE

Nous avons montré à travers notre revue de littérature qu’il existait un gap concernant la phase aval des processus d’innovation des FMNs, comme en témoigne la littérature récente sur l’innovation et l’internationalisation de l’innovation. Comment étudier un tel gap au sein d’un ensemble de théories anciennes et fortement établies ?

L’objectif de notre recherche doctorale réside dans l’étude d’un phénomène jusqu’alors peu étudié au sein des FMNs et que les théories existantes peinent à éclairer. Ce phénomène, que la littérature décrit majoritairement à travers les concepts de diffusion ou de transfert des innovations, nous allons tenter de l’étudier et de le caractériser à travers notre recherche sous un regard neuf. La question ici n’est pas de valider un concept existant, mais au contraire de construire de nouvelles représentations des phénomènes de passage d’une innovation d’un pays à un autre à travers leur description et leur compréhension (Dumez, 2013). Nous avons vu que l’étude de cas était l’outil le plus pertinent pour étudier ce type de phénomène ce qui nous a amenés de fait à suivre une démarche qualitative. Une fois que nous avons fait choix de cette démarche qualitative, car adaptée à la fois à notre mode opératoire (l’étude de cas) et à nos objectifs de construction de nouvelles connaissances ainsi que d’enrichissement des modèles existants, une question se pose. Comment avons-nous « mené » l’enquête ? Cette question est essentielle pour comprendre la démarche de recherche choisie et ses fondements.

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II.2)L

A RECHERCHE QUALITATIVE VUE COMME UNE ENQUETE

Dans cette partie, nous allons montrer les fondements de notre démarche à travers l’idée de l’enquête au sens de Dewey, qui emprunte les chemins de l’abduction et de l’opportunisme méthodologique.