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C HAPITRE 3 : METHODOLOGIE DE LA THESE

TABLE 5: SYNTHESE DE L’ENQUETE DE LA RECHERCHE ENTRE 2012 ET

B) L A QUESTION DE L ’ INTERVIEW DES ELITES DANS LES FMN S

Questionner les différentes modalités inhérentes aux entretiens (comment choisir les interviewés, comment mener l’interview et comment utiliser les matériaux

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récoltés) est essentiel. C’est en effet un des premiers matériaux auquel nous avons eu accès et qui nous a permis de faire avancer notre enquête de terrain. Cette question de la modalité des entretiens doit se poser de manière réflexive pour le chercheur afin de réfléchir à sa position au sein même de la FMN qu’il étudie. Dans notre recherche, l’interview, semi-directive ou libre, a été une des méthodes de récolte les plus utilisées. Ne pouvant pas dans de nombreux cas enregistrer les propos des interviewés, nous n’avons pas utilisé par la suite une méthode précise de codage ou d’analyse sémantique. Néanmoins, nous avons retranscrit les interviews de façon manuscrite (prise de note) et essayé de trianguler les résultats à travers des comités de pilotages (Girin, 1989), des réunions de feedback (Lervik, 2011) et l’analyse de données secondaires. Le travail de monographie a aussi été d’une grande utilité, car il nous a permis par la suite de contrôler avec les acteurs si la description du projet était bonne pour en assurer la validité interne (Girin, 1986).

i. LES MATERIAUX DE PREMIERE MAIN : LA QUESTION DES « ELITES » DANS LES FMNS

La question de l’accès aux ressources et in fine aux données issues des interviews de manager du corporate s’est donc posée tout au long de notre recherche doctorale. Comment caractériser les personnes que nous avons interviewées et en quoi apportaient-elles des éléments de réponse intéressants pour notre enquête ? On peut utiliser la notion « d’élite » pour expliciter nos sources d’informations :

« we define an elite interviewee in IB—international business—as an

informant (usually male) who occupies a senior or middle management position; has functional responsibility in an area which enjoys high status in accordance with corporate values; has considerable industry experience and frequently also long tenure with the company; possesses a broad network of personal relationships; and has considerable international exposure” Welch et al (2002, p 613)

Cette définition nous permet de dépasser le sens vernaculaire souvent donné à l’élite (groupe social considéré comme supérieur) et illustre clairement le type de personnes que nous avons pu interviewer pendant notre recherche (phase 1 et 3). Cette

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réflexion nous est apparue importante car du fait de notre position et de nos contacts l’élite managériale a été la principale source de matériaux récoltés à travers les entretiens. Il est donc intéressant de revenir sur cet aspect essentiel de notre recherche à la fois d’un point de vue pratique, mais aussi en lien avec le type de résultats que nous avons obtenus, que cela soit en termes de niveau d’analyse et de réponses aux problèmes posés. On peut souligner 4 défis particulièrement exigeants pour mener des entretiens avec des élites dans les FMNs (Welch, Marschan-Piekkari, Penttinen, & Tahvanainen, 2002).

ii. DÉFI 1 : L’ACCÈS AUX ÉLITES

C’est d’abord la question de l’accès aux élites qui est souvent difficile puisque c’est « un groupe à part ». Dans notre cas, nous avons pu être sponsorisé par des managers du corporate qui ont ensuite appuyé nos demandes d’entretiens en interne. La posture que nous avons eue au sein de l’entreprise — stagiaire Air Liquide en master de recherche puis doctorant en sciences humaines issu d’une grande école réputée — a également permis un accès relativement simple aux différentes personnes à interviewer tout en maximisant la crédibilité du chercheur. Néanmoins, le caractère multinational de la recherche a compliqué la tâche et, une grande partie des interviews a dû se faire au téléphone (Brésil, Inde, Turquie, Chine, etc.). Cependant, la possibilité de se trouver au sein d’une FMN et d’interviewer des élites a facilité la gestion du gap culturel. En effet ce gap est particulièrement fort du fait de la langue et des possibles mauvaises interprétations que cela entraîne des deux côtés. Mais interviewer des élites est un avantage du fait de leur expérience multi ou cross culturelle. Il est plus facile de communiquer avec eux dans une autre langue (l’anglais majoritairement) si ce n’est pas la sienne (le français dans notre cas).

iii. DÉFI 2 : L’ASYMÉTRIE DE POUVOIR

Au-delà des difficultés pratiques, il faut aussi prendre en compte l’asymétrie de

pouvoir entre l’interviewé et l’intervieweur. Elle se manifeste d’abord sur la question

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même si dans notre cas nous avons réussi dans la plupart des cas à aménager des entretiens et des réunions (prévus des semaines voire des mois à l’avance). Ensuite, c’est la question de la pertinence des propos issus de ces interviews qui est critique puisque ces personnes peuvent rapidement dominer et orienter les sujets dans leur sens et mettre le chercheur dans une position d’infériorité (McDowell, 1998). Cette infériorité est liée à la fois à son statut d’externe, mais aussi du fait de l’âge du chercheur. Dans notre cas, nous avons réussi à éviter ces écueils en orientant très tôt les interviews sur des sujets très précis, construits en amont avec les différents sponsors. Appartenir à l’entreprise dans la première phase de la recherche offrait aussi un crédit en plus, le sujet des entretiens étant centré sur des problématiques managériales précises. On a alors gagné en crédibilité tant par la maîtrise du vocabulaire que par des références internes qui faisaient échos aux interviewés. Ces discussions rejoignent les questions de la « place » du chercheur au sein de l’organisation dans laquelle il circule (Dumez, 1988) et donc de son statut vis-à-vis des acteurs internes. Quel sens donner aux propos que nous récoltions lors de nos interactions ?

iv. DEFI 3 : EVALUATION ET PERTINENCE DES PROPOS RECUEILLIS

Ces interrogations questionnent aussi l’évaluation et la pertinence des propos

issus des élites. La question est double, car elle renvoie aussi à la posture du chercheur.

En effet, si je suis sponsorisé par le siège et que je vais interviewer une filiale, on peut alors me prendre pour un « homme du siège », un espion. Dans cette logique, les réponses a priori franches de managers élite de filiale peuvent se transformer comme le moyen de transmettre des messages vers le siège. Dans notre cas, cela a pu se ressentir, mais souvent dans une volonté de « montrer ce qu’il se passe ici », « chez nous on fait ça, on a besoin de ça », etc. De plus, nous pensons que pour gommer ces effets, au-delà de la triangulation des données il faut réussir à traiter le profil de l’interviewé. Cet effort est critique, plus particulièrement dans une grande FMN où la personne

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interviewée n’aura pas le même degré d’ouverture ou de « calcul » en fonction de son réseau, de ses ambitions, de son âge, de son parcours, etc.

Néanmoins, c’est en interagissant avec de très nombreuses personnes lors des entretiens, mais aussi en dehors que nous avons pu donner du sens à tous ces discours. Comme nous l’avons vu plus haut, c’est par le cumul des anecdotes, des discussions et donc de nos interactions fortes, quitte à perdre une partie de notre recul « scientifique » (Favret-Saada, 1977), que nous avons réussi à comprendre ce cas en finesse et en tirer nos résultats. C’est donc en discutant, en échangeant pendant des réunions ou sur des sujets très différents que nous avons pu par la suite réussir à donner du sens et à pondérer les propos des interviewés (Dumez, 1988). Ceci soulève aussi la question de l’anonymat et de l’enregistrement, car certains ont pu avoir peur que cela puisse se retourner contre eux. C’est le cas en particulier lorsque l’on est sponsorisé voir mandaté par des managers du siège qui peuvent se servir de l’étude pour conforter leurs idées ou positions sur un sujet. Dans notre cas, nous avons dû jongler avec cette position lors de la première phase de la recherche, en particulier lors des réunions de débriefing des interviews et des comités de pilotage.

v. DEFI 4 : LA GESTION DES FEEDBACKS AVEC LES ELITES

Les réunions formelles ou informelles dites de « feedback » sont particulièrement intéressantes. Elles permettent d’obtenir de nouvelles informations, plus de finesse dans l’analyse des premiers résultats et enfin des nouveaux contacts qui permettent d’avancer plus encore dans l’enquête. Dans notre cas, elles nous ont aussi permis de sortir de cet effet « grisant » de ne fréquenter que des élites. En effet, le jeune chercheur peut se retrouver très rapidement à discuter avec des managers haut placés (dans notre cas, la direction internationale d’une division ou des directeurs de très grandes filiales). Leurs discours et leurs analyses doivent aussi être perçus en fonction de leur statut. La prise de recul est difficile puisque l’on a accès à l’élite des élites, en quelque sorte leurs paroles sont d’or. Il faut alors éviter le transfert qu’on peut faire entre soi et l’interviewé (Favret-Saada, 1977; Girin, 1981), ici l’impression

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d’être aussi une élite, en quelque sorte un privilégié. Les réunions de feedbacks avec d’autres managers, mais aussi d’autres chercheurs sont alors essentielles pour confronter des points de vue différents et remettre « les pieds sur terre ». C’est donc un moyen et une démarche clés pour réussir à objectiver à un certain degré des données subjectives (Girin, 1986, 1989).

Dans un second temps, il faut aussi faire attention à parler le même langage (doers vs theorist) pour rester audible et continuer à intéresser ses contacts privilégiés. Cet effort de « traduction » de la recherche académique vers les praticiens et encore plus vers ses contacts est crucial. Dans une FMN c’est encore la même chose, mais potentiellement plus complexe de par la diversité institutionnelle des acteurs rencontrés et donc des attentes. Ce type de feedback est donc très bénéfique pour l’enquête du chercheur, mais reste parfois très difficile à mener et en particulier sur la question de la position du chercheur, entre consultant interne, chercheur extérieur objectif, etc.

Nous avons fini de décrire la démarche méthodologique générale (et transversale) de cette thèse. Nous allons donc maintenant rentrer dans les détails de cette « enquête » en explicitant le cadre empirique de la thèse.

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