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Plan du chapitre 3

POURSUITE USAGE Révision fonctions

2.3. Validité et fiabilité de la démarche qualitative

Pour s’assurer de la rigueur et de la qualité d’une démarche qualitative et de ses résultats, et dans une tradition « critique et réaliste », Miles et Huberman (2003) recommandent d’aborder cinq questions principales : l’objectivité et la confirmabilité du travail qualitatif ; la fidélité et le sérieux ; la validité interne (crédibilité, authenticité), la validité externe (transférabilité, intégration), l’utilisation (application, prescription).

2.3.1. La fiabilité externe

L’objectivité et la confirmabilité ont trait à la « fiabilité externe », c’est-à-dire la possibilité de reproduction de l’étude par d’autres chercheurs. Il s’agit de s’assurer que si l’on mesure le même phénomène avec le même instrument de mesure, on obtient des résultats similaires. La fidélité et le sérieux sont relatifs au soin et à l’attention avec lesquels a été réalisée la démarche qualitative. La rigueur méthodologique et la transparence de notre démarche dans les différentes phases opératoires de collecte et d’analyse des données que nous détaillerons dans les prochaines sections, peuvent garantir cette fiabilité externe (Miles et Huberman, 2003).

2.3.2. La validité interne

La validité interne permet d’apprécier la véracité des liens établis par le chercheur dans son analyse. Il s’agit, avant d’affirmer des conclusions, de se demander dans quelles mesures, une inférence est exacte et s’il n’existe pas d’autres explications, d’autres facteurs explicatifs. Différents biais relatifs au contexte de la recherche mais aussi à l’échantillon et au recueil des données peuvent limiter la validité interne des démarches qualitatives : les effets d’histoire (des évènements extérieurs survenus pendant la période d’étude ont-ils pu fausser les résultats ?), les effets de maturation (les objets d’analyse ont-ils changé au cours de la démarche ?), les effets d’instrumentation (les questions du guide d’entretien sont-elles bien formulées ?), les effets de sélection (les critères de choix des cas sont-ils justifiés ?) (Campbell et Stanley, 1966). Pour accéder à un bon niveau de validité, il est donc nécessaire de réduire, voire d’écarter ces biais, en prenant un certain nombre de précautions. Miles et Huberman (2003) et Hlady Rispal (2002) préconisent par exemple de trianguler les sources de données et les méthodes, de vérifier la saturation sémantique, de conserver une trame de guide d’entretien stable au fil des interviews, de remettre en

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doute les intuitions et hypothèses provisoires, de rechercher des « preuves » contraires et considérer les explications rivales, de faire confirmer les données par les informants.

Dans le cadre de notre démarche de recherche qualitative, nous avons essayé d’éviter, ou en tout cas de réduire au maximum, les écueils les plus importants liés à la validité interne. Le tableau 27, page suivante, inspiré de Campbell et Stanley (1966) et des questions suggérées par Miles et Huberman (2003) en propose une synthèse.

2.3.3. La validité externe

La validité externe renvoie à la question de généralisation des résultats (Miles et Huberman, 2003), sachant qu’un des reproches fréquent fait aux recherches qualitatives est leur fort ancrage contextuel qui représente un frein à cette généralisation.

Même si la généralisation des résultats n’est pas forcément l’objectif d’une démarche qualitative, cette préoccupation quant aux possibilités et conditions de réappropriation des résultats d’une recherche, ne doit pas échapper au chercheur qualitatif (Drucker-Godard, Ehlinger et Grenier, 2007). Les techniques visant à s’assurer de la validité externe d’une recherche qualitative portent principalement sur la démarche de recherche, et plus particulièrement sur la manière de choisir le terrain et d’analyser les données (Drucker-Godard et al., 2007). Ainsi, des auteurs recommandent de recourir à plusieurs études de cas pour permettre des comparaisons entre différents contextes organisationnels (Eisenhardt, 1989), tout en reconnaissant que c’est moins le nombre de cas que la capacité du chercheur à générer de nouvelles connaissances avec le ou les cas dont il dispose, qui s’avère crucial (Eisenhardt, 1991). Dans un objectif de généralisation, les deux critères dictant le nombre de cas nécessaires sont alors la saturation et la réplication.

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Tableau 27 – Précautions prises face aux potentiels biais limitant la validité interne

Biais limitant la validité interne

Questions pertinentes à

se poser Précautions prises lors de notre démarche qualitative

R el at if a u c o n te xt e

Effet d’histoire Est-ce que des évènements extérieurs survenus pendant la période d’étude ont pu fausser les résultats ?

Prise en compte des contextes historiques et économiques des différentes entreprises, notamment la période de crise du secteur automobile en 2009 pour les entreprises de sous-traitance de ce secteur, une restructuration une année avant nos entretiens dans une des 6 entreprises (ENT5).

Vigilance sur les évènements concernant les six entreprises de notre terrain et leur secteur d’activité au travers d’une veille de l’actualité les concernant.

Effet de maturation Les objets d’analyse

ont-ils changé pendant la période d’analyse ?

Réduction au maximum de la période d’étude en condensant le recueil des données sur une période courte : de mai 2009 à octobre 2010. R el at if à l’é ch an -ti ll o n

Effet de sélection L’échantillon étudié est-il

représentatif ? Grande attention portée au choix des six cas (cf. section 2.2.1. Sélection des cas).

R el at if a u r ec u ei l d es d o n n ée s Effet d’instrumentation

Les questions utilisées pour recueillir les données sont-elles bien formulées ?

Le guide d’entretien considère-t-il des explications rivales ?

Revue approfondie de la littérature préalable à l’élaboration du guide d’entretien permettant d’acquérir une certaine expertise sur les sujets de l’innovation organisationnelle, ses antécédents et barrières, du Lean Management et des pratiques de mobilisation des ressources humaines.

Pré-test du guide d’entretien semi-directif auprès d’un consultant chargé de l’accompagnement des entreprises dans l’adoption du Lean Management et d’un dirigeant d’entreprise.

Point de vue sur les évènements demandé sous deux angles antinomiques : (1) ce qui favorise ou a favorisé l’adoption et (2) ce qui la freine ou l’a freinée.

Trame de guide d’entretien stable au fil des 37 interviews59.

Enregistrement et retranscription intégrale des entretiens. Effet de

contamination

Est-ce que le chercheur a pu être contaminé par les discours des entreprises ? Est-ce que des répondants ont pu être « briefés » avant les entretiens, ce qui pourrait fausser les résultats ?

Un travail de triangulation comme parade à la contamination : (1) interview de membres ayant des statuts et rôles différents dans les entreprises, voire des points de vue divergents sur le processus d’adoption du Lean au sein de leurs entreprises ; (2) lectures préalables relatives à l’adoption d’innovations organisationnelles ou du Lean.

Guide d’entretien non remis aux interlocuteurs avant les entrevues.

Souhait d’un choix à l’aveugle des techniciens et opérateurs interviewés non totalement assouvi60.

Capacité à mettre en confiance61 nos interlocuteurs, à les faire parler pour éviter qu’ils suivent « la voix de leur maître ».

Anonymat et confidentialité garantis

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Nous avons été amenés à l’aménager, du fait de sa longueur, pour les interviews pour lesquelles le temps qui nous était imparti était court. Dans ce cas, nous omettions la partie 1 (informations entreprise) et nous limitions à une question générique par type de pratique de mobilisation dans la partie 4 du guide d’entretien (cf. annexes 4).

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Nous sommes conscients que le choix de nos interlocuteurs techniciens et opérateurs n’était pas toujours neutre de la part des entreprises qui évitaient de nous mettre en contact avec les salariés les plus récalcitrants. 61

Nous avons la plupart du temps interrogé ces salariés dans leur cadre habituel de travail (mais suffisamment à l’écart de leurs collègues pour qu’ils puissent parler librement) et les avons incités à nous expliquer leur travail avant d’aborder les questions du guide d’entretien, ce qui permettait de les mettre en confiance.

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Nous avons fait le choix de recourir à six cas suffisamment parents pour autoriser une comparaison pertinente, et suffisamment contrastés pour permettre une généralisation des résultats. Les six cas ont donc été choisis dans une logique de réplication littérale et théorique (Royer et Zarlowski, 2007a; Yin, 2009). Nous avons choisi six entreprises industrielles qui avaient toutes décidé d’adopter une innovation organisationnelle telle que le Lean Management afin de voir si elles produisaient bien des résultats identiques quant à l’impact des antécédents internes relatifs aux pratiques de mobilisation des ressources humaines et des barrières internes et externes sur le processus d’adoption d’une telle innovation (réplication littérale). Mais nous avons également fait en sorte qu’elles présentent des caractéristiques différentes (taille, appartenance à un groupe, position dans la chaîne de sous-traitance, niveau de maturation du Lean) pour qu’elles produisent au contraire des résultats différents pour des raisons prévisibles (réplication théorique).

La validité externe d’une recherche qualitative dépend également de l’analyse des données collectées. Suivant les recommandations de Miles et Huberman (2003), nous avons utilisé des matrices d’analyse des données à visée chronologique et causale, compilant les données et résultats pour l’ensemble des entreprises. L’analyse des données a donc été réalisée de manière identique pour chacune des six entreprises retenues.

2.3.4. La validité pragmatique

La validité pragmatique est, selon Miles et Huberman (2003), un complément essentiel aux gages plus traditionnels de la « qualité ». Même si les résultats sont « valides » et transférables, il est nécessaire de se questionner sur leur intérêt et usage managérial. Selon eux, des questions éthiques du type « A qui l’étude qualitative profite-t-elle et peut-profite-t-elle nuire ? » doivent être posées.

Nous pouvons noter à ce niveau que les résultats aggrégés ont été proposés aux six entreprises et aux consultants qui les ont parfois accompagnées. Trois d’entre elles ont répondu à notre invitation pour une présentation des résultats globaux des six entreprises. Une présentation auprès des consultants a également été réalisée. En cours de recherche, ces premiers résultats ont servi de guide à des actions de formations et d’accompagnement proposées par un de nos financeurs aux entreprises décidant de se lancer dans un processus d’adoption du Lean Management. Les utilisateurs des résultats ont donc développé de nouvelles capacités sur la base de nos résultats.

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Par ailleurs, nous n’avons jamais dérogé à notre principe d’anonymat des entreprises et des répondants au sein de chacune d’elle. C’est la raison pour laquelle, lors de la restitution organisée avec et pour les entreprises, nous avons présenté les résultats de manière globale - et non entreprise par entreprise - de façon à éviter toute possibilité de recoupements avec les salariés et personnes extérieures interrogés.

Dans notre travail de thèse, nous avons choisi de combiner cette démarche qualitative avec une approche quantitative afin d’apporter des explications complémentaires au phénomène d’adoption d’une innovation organisationnelle (Zachariadis et al., 2013). La section suivante s’attache à présenter l’intérêt d’une méthodologie quantitative et des enquêtes françaises Changement Organisationnel et Informatisation (COI) et Enquête Annuelle des Entreprises (EAE) pour notre recherche, et à préciser les différentes précautions prises pour assurer la robustesse de nos résultats.