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L’innovation a longtemps été envisagée sous un angle purement technologique. Seule une très faible proportion de publications académiques a été dédiée à l’innovation organisationnelle (Crossan et Apaydin, 2010; Keupp et al., 2011). Si l’on observe une croissance, très récente, des travaux, ouvrages16, et numéros spéciaux (European Management Review 2013 et Revue Française de Gestion 2013) consacrés à l’innovation organisationnelle, ce concept reste malgré tout ambigu et polysémique.

Aussi, l’objectif de ce premier chapitre était notamment de procurer une meilleure compréhension de ce concept et de voir ce qui le distingue, d’une part, des innovations technologiques (produits et procédés) et d’autre part de concepts connexes tels que le changement organisationnel. Il s’agissait également de mettre à jour les challenges à relever pour son opérationnalisation et l’intérêt de l’examiner conjointement à l’innovation technologique de procédés, du fait notamment de leur proximité..

Quatre principaux éléments qui ont des implications fortes pour la suite de notre travail sont à retenir de ce premier chapitre :

(1) Suite à une revue exhaustive de la littérature sur l’innovation organisationnelle, nous avons abouti à une définition qui reflète au mieux ses caractéristiques intrinsèques clés, à savoir :

Sa caractéristique distinctive majeure face aux innovations technologiques (notamment de procédés) i.e. le fait qu’elle ne comporte aucun élément technologique ;

Sa caractéristique distinctive clé face au changement organisationnel, i.e. sa nouveauté stricte par rapport à l’existant et aux pratiques et structures passées – et ce, quel que soit le niveau d’analyse retenu. Dans ce travail, nous retenons celui de l’entreprise ;

Sa nature multidimensionnelle dans le sens où elle comprend aussi bien des pratiques que des outils, procédés, techniques et structures, organisationnels et managériaux ;

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« L’innovation managériale », coordonné par Annabelle Jaouen et Frédéric Le Roy, Dunod 2013 ; « Handbook of organizational and managerial innovation », coordonné par Tyrone S. Pitsis, Ace Simpson et Erlend Dehlin, Edward Elgar Publishing, 2012.

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Son intentionnalité, i.e. sa recherche d’amélioration de l’efficience et de l’efficacité des procédés organisationnels internes.

Nous avons ainsi retenu la définition suivante de l’innovation organisationnelle :

«Une innovation non technologique de procédés qui comprend des pratiques, outils,

procédés, techniques, structures, organisationnels et managériaux, nouveaux pour l’entreprise qui les adopte et qui ont pour objectif d’améliorer l’efficacité et

l’efficience des procédés organisationnels internes».

(2) L’analyse comparative des innovations organisationnelles par rapport aux innovations technologiques basée sur les cinq attributs des innovations de Rogers (1995) (avantage relatif, compatibilité, facilité, observabilité et complexité) suggère que leurs modèles d’adoption ne seront a priori pas transposables stricto sensu. Elle nous incite également à ne pas négliger les relations que pourraient entretenir les innovations organisationnelles et les innovations technologiques de procédés, qui partagent de nombreuses caractéristiques et dont les frontières sont parfois floues.

Outre leur caractère nouveau, les innovations technologiques de procédés comme les innovations organisationnelles ont une portée interne (améliorer les procédés internes), un caractère systémique (elles ont l’une et l’autre des implications fortes sur l’ensemble de l’entreprise adoptante et des acteurs qui la composent) et idiosyncrasique (elles sont l’une et l’autre fortement ancrées dans un contexte).

De ce point de vue, les frontières qui séparent les innovations technologiques de procédés des innovations organisationnelles (dites de procédés) semblent perméables. Cette porosité, ou difficulté à clairement différencier ces deux types d’innovations (autrement que sur le seul fait que les unes comprennent des éléments technologiques alors que les autres en sont dépourvues), a d’ailleurs déjà été relevée, certaines recherches faisant même l’hypothèse que ces innovations pourraient représenter deux activités relevant d’un seul et même phénomène (Hervas-Oliver, Sempere et Boronat-Moll, 2012; Reichstein et Salter, 2006; Schmidt et Rammer, 2007). Ce constat impliquera que notre modèle d’adoption d’une innovation organisationnelle intègre cette proximité et cette potentielle relation d’interdépendance.

(3) Malgré une large reconnaissance de l’aspect multidimensionnel ou multiforme du concept d’innovation organisationnelle, les différents essais de catégorisations ne

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sont pas réellement parvenus à délimiter strictement les différents types qu’il englobe (Birkinshaw et al., 2008). On constate d’ailleurs que ces catégorisations ont été très peu mobilisées dans les recherches empiriques.

Si la distinction entre les innovations technologiques (produits et procédés) a fait l’objet d’un consensus depuis longtemps, et est clairement mobilisée dans nombre de recherches (voir la revue de littérature réalisée par Damanpour et Aravind, 2006), aucune typologie des innovations organisationnelles ne semble avoir été « institutionnalisée », et ce malgré diverses tentatives. De ce fait, c’est la classification proposée par le Manuel d’Oslo qui est la plus mobilisée dans les recherches et qui a même servi de référence pour la création de mesures ad hoc de l’innovation organisationnelle (Camisón et Villar-López, 2011). Ces auteurs se sont effectivement inspirés des trois premières catégories d’innovations organisationnelles des enquêtes CIS (nouvelles pratiques, modification de l’organisation du travail et modifications des relations externes) pour créer une échelle de mesure en 7-points de Likert.

Parmi les typologies existantes, la distinction entre les deux états de l’innovation organisationnelle, contextuel et établi (Hatchuel et David, 2007), paraît intéressante car elle met en exergue le caractère dynamique et non figé de l’innovation organisationnelle qui, lorsqu’elle est générée et adoptée par une entreprise pionnière, est dite contextuelle, pour passer à un état dit « établi » lorsqu’elle a été théorisée et labellisée au sens de Birkinshaw et al. (2008), et en capacité d’être adoptée par d’autres entreprises que celle qui l’a générée.

Notre travail portant sur l’adoption d’une innovation organisationnelle, nous nous intéresserons plutôt à la catégorie des innovations « établies ».

(4) L’innovation organisationnelle étant un concept complexe et multidimensionnel, son opérationnalisation représente un challenge de taille.

Cinq points de vigilance sont à retenir :

La mesure de l’innovation organisationnelle devrait si possible ne pas être agrégée ou basée sur une question unique à réponse dichotomique (oui/non). Son pouvoir explicatif en serait trop limité. Une mesure issue d’une liste de questions relatives à des pratiques détaillées serait préférable pour, notamment, éviter les biais d’interprétation des répondants;

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Une mesure respectant strictement la notion centrale de nouveauté est à privilégier;

Une mesure permettant de limiter les ambiguïtés entre innovation organisationnelle et innovation technologique de procédés en s’assurant qu’elle n’intègre aucun élément technologique serait nécessaire;

Une mesure relative à une innovation organisationnelle établie, i.e. pour laquelle des standards et une théorisation existent, serait moins discutable puisqu’une liste de pratiques et outils associés aura pu être établie dans le cadre de cette théorisation.

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Chapitre 2