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Plan du chapitre 3

2. Méthodologie qualitative à travers six études de cas

2.2. La collecte et l’analyse des données qualitatives

2.2.2. La collecte des données : sources et méthodes

Suivant le principe de triangulation des données qualitatives, cher aux démarches qualitatives sous un paradigme réaliste critique48 (Wynn et Williams, 2012), nous avons mobilisé trois modes de collecte : les entretiens semi-directifs, l’observation directe non-participante, et la documentation interne et externe.

2.2.2.1. L’entretien individuel semi-directif comme source principale de données

Trois catégories d’entretien individuel (par opposition à l’entretien de groupe) sont généralement distinguées en fonction du degré de directivité de l’investigateur (Baumard, Donada, Ibert et Xuereb, 2007) :

1) l’entretien ouvert ou non-directif : il est peu structuré ; l’investigateur présente le thème de l’entretien et n’intervient quasiment plus par la suite.

2) L’entretien directif : il est basé sur une suite de questions courtes et précises ; son objectif est confirmatoire.

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Wynn et Williams (2012) identifient cinq principes méthodologiques pour conduire et évaluer une recherche qualitative réalisée sous une posture épistémologique réaliste critique : (1) l’explication des évènements, (2) l’explication des structures et contextes, (3) la rétroduction ou abduction, (4) la corroboration empirique et (5) la triangulation et l’usage de multi-méthodes. Nous avons été attentifs à ces différents principes tout au long de notre démarche.

Tableau 21 – Caractéristiques des six entreprises de l’échantillon

Echantillon établissement Effectif

CA établissement HT M€ Appartenance Groupe Si oui : Effectif/ CA

Activité Rang chaîne logistique

Score Maturité

Lean

Prg. Coll.

ENT 1 50 6,97 * / Décolletage Industrie ST Rang 1 3,45 1

ENT 2 45 15 * / Décolletage Industrie ST Rang 2 3,8 /

ENT 3 100 17 * / Décolletage Industrie ST Rang 2 1,9 2

ENT 4 5750 639,3* 21400 / 3,7 Mds* Roulements Industrie ST Rang 1 3.71 1

ENT 5 284 73.5* 1500 / 270 M* Industrie Ski DO 1,7 °

ENT 6 373 61,3 ** 272 000 / 46,1 Mds** Industrie Vérins ST Rang 2 3,3 °

Notes : * 2008 ** 2009

ST Sous-traitant / DO Donneur d’ordres

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3) L’entretien semi-directif ou centré : un guide d’entretien structuré est ici utilisé pour aborder une série de thèmes préalablement définis dont l’ordre peut être modifié si le sujet interviewé aborde de lui-même certains d’entre eux. Des questions peuvent être abandonnées au profit d’autres en fonction des qualités du sujet interviewé ou si ce dernier ressent un blocage sur certaines d’entre elles.

Nous avons, pour notre part, opté pour cette dernière catégorie d’entretiens pour trois raisons principales. Tout d’abord, nous avons souhaité définir une trame relativement précise issue de notre revue de la littérature pour guider les sujets interviewés et nous assurer de récolter des informations centrées sur notre objet de recherche (cf. guide d’entretien en annexe). Ensuite, nous ne nous situons pas dans une logique confirmatoire mais plutôt exploratoire destinée à expliquer le phénomène d’adoption d’une innovation organisationnelle par l’identification de ses antécédents, sans qu’il existe préalablement un modèle d’adoption à confirmer. Enfin, cette catégorie d’entretien offre une souplesse et laisse une grande liberté d’expression au répondant. Nous avons pu, selon les entretiens, modifier le libellé des questions afin de nous inscrire plus naturellement dans l’échange et de garder une certaine familiarité avec le langage des répondants. Cet aspect était d’autant plus important que nous avons rencontré des acteurs issus de différentes fonctions et niveaux hiérarchiques et qu’il est arrivé que nos entrevues soient limitées en temps pour des raisons de service (cas fréquent pour le personnel en production).

LES PERSONNES INTERVIEWEES

Une critique fréquente des enquêtes sur l’innovation est relative au fait qu’elles s’appuient généralement sur les perceptions des seuls dirigeants ou cadres dirigeants des entreprises. Nous avons souhaité, par cette démarche qualitative, bénéficier de différents points de vue, et pas uniquement de celui du sommet hiérarchique pour réduire « l’angle mort » de la perception d’autres acteurs engagés dans ce processus.

Pour chacune des entreprises, nous avons donc rencontré des acteurs issus de différentes fonctions et relevant de différents niveaux hiérarchiques : des opérateurs aux dirigeants des entreprises (acteurs internes), en passant par les consultants qui ont accompagné les entreprises dans leur démarche d’adoption du Lean (acteurs externes).

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Tableau 22 – Détail des entretiens réalisés

Entreprises Fonctions Dates Durée répondants Codes

ENT 1

Directeur Général

Responsable Industriel 22/03/2010* 12/05/2009 2 :30 0 :39 DGRI_1 Technicien chef d’équipe 22/03/2010* 12/05/2009 0 :45 0 :20 TM_1

Consultant 22/02/2010 1 :43 C_1

Régleur 22/03/2010 0 :55 R_1

Responsable de la qualité 22/03/2010 0 :45 RQ_1

TOTAL ENT 1 7 7 :42

ENT 2

Directrice Générale en charge

des Ressources Humaines 09/03/2010 2 :03 DGRH_2

Responsable de la qualité 09/03/2010 1 :15 RQ_2

Technicien chef d’équipe 09/03/2010 1 :00 TM_2

Technicienne 22/03/2010 0 :37 T_2 Régleur 22/03/2010 0 :40 R_2 Opérateur 22/03/2010 0 :25 O_2 TOTAL ENT 2 6 6 :00 ENT 3 Consultant 22/02/2010 1 :12 C_3 PDG (sur le départ) 03/03/2010 1 :15 DG_3 DG (futur PDG) 03/03/2010 0 :59 DG_3

Directeur Général en charge

des ressources humaines 03/03/2010 1 :25 DGRH_3

TOTAL ENT 3 4 4 :51

ENT4

Directeur Général

Responsable Industriel 11/03/2010 1 :55 DGRI_4

Responsable Unité de

Production 1 25/03/2010 2 :03 RUP_4

Opérateur 25/03/2010 0 :28 O_4

Responsable Unité de

Production 2 03/06/2010 2 :22 RUP_4

Chef de projet Lean (Unité de

production 2) 03/06/2010 0 :33 CP_4

Régleur 1 03/06/2010 0 :30 R_4

Régleur 2 03/06/2010 0 :35 R_4

Responsable des Ressources

Humaines 23/06/2010 2 :52 RH_4

TOTAL ENT 4 8 11 :18

ENT5

Responsable industriel 12/03/2010 1 :10 RI_5

Responsable de la qualité 12/03/2010 1 :00 RQ_5

Responsable des Ressources

Humaines 12/03/2010 1 :34 RH_5 Consultant 12/03/2010 1 :26 C_5 TOTAL ENT 5 4 5 :10 ENT6 Responsable de production – Coordinateur Lean 18/03/2010 30/03/2010* 29/10/2010* 0 :48 0 :23 0 :41 RPCP_6 Directeur Général 26/03/2010 1 :02 DG_6 Manager (Superviseur) 26/03/2010 0 :44 M_6

Technicien Chef d’équipe

(Team Leader) 26/03/2010 0 :45 TM_6

Opératrice 26/03/2010 0 :45 O_6

Directrice des Ressources

Humaines 30/03/2010 1 :10 RH_6

Formateur centre de

formation Lean 29/10/2010 0 :34 CP_6

Technicien Méthodes 29/10/2010 0 :27 T_6

TOTAL ENT 6 10 7 :19

TOTAL DES ENTRETIENS 39 42 :20

* Pour les articles 1 et 2, du fait des contraintes de publication, les entretiens répétés avec les mêmes acteurs ont été regroupés sous la première date d’entretien

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LE DEROULEMENT DES ENTRETIENS

Les entretiens ont été réalisés entre le 12/05/2009 et le 29/10/2010. Les deux premiers entretiens réalisées le 12/05/2009 au sein de l’entreprise 1 étaient préalables à notre inscription en thèse et ont été réalisés dans le cadre du mémoire du Master Recherche « Décisions & Organisation » (IAE Savoie Mont-Blanc). Nous les avons conservés car ils ont été effectués sur la base d’une partie de notre guide d’entretien final et cette entreprise a ensuite été sélectionnée dans notre échantillon. Ces deux interlocuteurs ont été rencontrés une seconde fois le 22/03/2010 pour revenir sur certaines informations et aborder les questions qui ont été ajoutées au guide d’entretien utilisé durant le master recherche.

La grande majorité des entretiens s’est déroulée sur le lieu de travail des répondants. Un entretien avec un consultant a eu lieu dans les locaux de l’université (ENT3) et trois rendez-vous avec des acteurs de l’entreprise 6 (pour l’un des interlocuteurs, il s’agissait d’un troisième rendez-vous pour revenir sur différents points) ont été fixés lors d’un salon sur la performance industrielle (entretiens du 29/10/2010).

Sur les 39 entretiens réalisés, 31 ont été intégralement enregistrés et retranscrits49 - les 8 autres (dont les deux réalisés en cours de master recherche) n’ayant pu être traités de la même manière notamment pour des raisons techniques. Nous n’avons jamais rencontré de réticences quant à l’utilisation du dictaphone, même si les premières minutes des entretiens ont parfois été marquées par une légère inquiétude. C’est pourquoi, au lancement de l’enregistrement, nous demandions, dans un premier temps, aux personnes de se présenter (parcours professionnel, ancienneté au sein de l’entreprise) et de parler de leurs fonctions ou de leur poste de travail. C’est un bon moyen, surtout pour le personnel en atelier, de mettre en confiance les interlocuteurs, qui se demandent parfois en quoi leur avis peut être utile aux recherches menées et/ou s’ils ont vraiment les qualités requises pour répondre aux questions. Les quelques exemples de verbatims ci-dessousen sont une illustration.

« Ça y est…ça enregistre…bon, j’espère que je ne vais pas dire trop de bêtises… » (Technicien Chef d’équipe, ENT2, 09/03/2010)

« J’espère que j’ai bien répondu…» (Superviseur, ENT6, 26/03/2010)

Des prises de notes ont également été réalisées. Lorsque nous passions des journées dans les locaux des entreprises, il est arrivé que certains de nos interlocuteurs (Technicien Chef d’équipe, ENT2, 09/03/2010 ; Directeur général en charge des ressources humaines, ENT3, 03/03/2010 ; Team Leader et Opératrice, ENT6, 26/03/2010 ) reviennent nous voir suite à leurs interviews pour apporter des informations complémentaires, pour nous faire part

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d’éléments auxquels ils n’avaient pas pensé durant le temps de l’entrevue… ou dont ils souhaitaient nous faire part « en off ». Notre carnet de notes était donc toujours à portée de main.

Plusieurs entretiens avec les mêmes acteurs ont parfois été nécessaires lorsque, notamment, nous cherchions à recouper certaines informations ou à revenir sur certains éléments. Par exemple, au sein de l’entreprise 6, c’est suite à notre entretien avec la DRH le 30/03/2010 que nous avons eu une information qui n’avait jusque-là pas émergé concernant un blocage sur une des chaînes de production au lancement de la démarche Lean. Nous avons alors demandé à rencontrer à nouveau le « Responsable de production et chef du projet Lean » pour reparler de cet incident et revenir sur certains points qu’il avait peut-être jugé utile de nous cacher pour ne pas ternir l’image de leur démarche générale, sachant que leur entreprise est réputée pour être exemplaire en termes de performance industrielle et de Lean. Nous avons également rencontré deux nouvelles personnes, dont un formateur aux pratiques Lean pour approfondir ces informations. Ces entretiens complémentaires étaient alors beaucoup plus courts et centrés et faisaient suite à une première analyse des entretiens préalables. Leur objectif était de comparer les propos des différents acteurs dans une démarche itérative, qui est d’ailleurs recommandée par Eisenhardt (1989).

Afin d’améliorer la validité interne, nous avons également veillé à fréquemment reformuler certaines idées émises par nos interlocuteurs. Cela permettait de nous assurer de leur bonne compréhension. Nous avons arrêté notre recueil de données lorsque nous avons eu le sentiment d’atteindre la saturation théorique.

2.2.2.2. Le recours à des données complémentaires

Outre les entretiens semi-directifs, nous avons eu recours à deux autres sources de données (l’observation directe et les documents) parmi les six distinguées par Yin (2009) : les entretiens, l’observation participante (le chercheur adopte un point de vue interne), l’observation directe (le chercheur conserve un point de vue externe), la documentation, les documents d’archives et les artefacts physiques.

L’OBSERVATION DIRECTE

Tout d’abord, la majorité des entretiens réalisés ayant eu lieu au sein des entreprises, nous avons eu l’occasion d’observer, de façon passive, le fonctionnement des unités de production et ateliers. Nous avons également été invités à visiter des unités de production et à

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observer le fonctionnement de nouvelles organisations du travail, telles que le « petit-train » au sein de l’unité de production 2 de l’entreprise 4, ou le fonctionnement de l’école « Lean par les mains » au sein de l’entreprise 6. Ainsi, cette observation directe, dite « flottante » car non systématique (Baumard et al., 2007) permet de compléter efficacement les données collectées pendant les entretiens et de rendre concrétes certaines méthodes abordées au cours de ceux-ci. C’est aussi le moyen d’observer les comportements et attitudes des acteurs face aux méthodes de travail, et de prendre la mesure du climat général et des relations de coopération réelles générées par certains dispositifs. Ainsi, nous rejoignons Hlady Rispal (2002) lorsqu’elle mentionne que l’observation directe peut donner « plus de relief aux résultats recueillis sous d’autres formes » (p. 121).

Les panneaux d’affichage représentent également une source d’informations très riche, d’autant qu’ils ont tendance à être très développés dans les entreprises qui adoptent une démarche Lean. En effet, par exemple, dans le cadre du principe Lean d’amélioration continue (mais également de management visuel), des entreprises développent des « points CIP » (Continuous Improvement Process). Il s’agit d’un espace au sein même des ateliers ou le manager réunit son personnel à intervalles réguliers pour aborder les problèmes rencontrés, décider des actions à mettre en oeuvre pour les solutionner, faire le point sur les résultats en termes de production, qualité…Cet espace est généralement démarqué par un panneau d’affichage sur lequel toutes ces informations sont consignées.

LA DOCUMENTATION ET LES ARCHIVES

En complément des données recueillies lors de ces observations « flottantes », nous avons également récolté deux types de documents : internes et externes.

Pour la documentation interne, nous avons demandé à chaque entreprise de nous fournir, dans la mesure du possible, les documents suivants : organigramme de l’entreprise, livret d’accueil, formulaires d’entretien d’évaluation du personnel, résultats des enquêtes de satisfaction du personnel, exemplaires de journaux d’entreprises, charte des valeurs, indicateurs de performance du Lean. Nous avons parfois eu accès aux archives relatives à la démarche Lean, notamment lorsque des procédures formelles avaient été élaborées et mémorisées.

Pour la documentation externe, nous avons, préalablement aux entretiens, visité les sites internet des six entreprises. Nous avons également essayé de suivre l’actualité desdites entreprises par une collecte d’articles parus dans la presse locale (Eco des pays de Savoie, Le Messager, Le Dauphiné Libéré) ou spécialisée (Usine nouvelle, JITEC51) et la participation à des conférences ou salons (Salon Progiciel et cycle de conférences ProGection, département QLIO,

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Nouvelle méthode logistique qui consiste à livrer les opérateurs sur le poste au lieu de les faire se déplacer pour aller chercher les pièces et fournitures au magasin central. Voir annexe 2 pour plus de détails.

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Qualité Logistique Industrielle et Organisation, IUT Annecy) où certaines des six entreprises étaient présentes ou durant lesquels des acteurs de ces entreprises intervenaient.

Suivant le principe de triangulation des données, nous avons donc combiné plusieurs sources de données, primaires et secondaires, dont une synthèse est proposée dans le tableau 23 ci-après.

Ce tableau met en évidence que les six cas n’ont pas été conduits exactement de la même manière et avec les mêmes volumes et types de données. Ils se différencient d’une part par le nombre d’entretiens réalisés et d’autre part par les nombre et types de documents recueillis. Autrement dit, certains cas ont été conduits avec plus d’intensité que d’autres. Néanmoins, les cas ENT 3 et ENT 5 ont été sources de données riches qui se recoupaient, pour certaines, avec des données recueillies dans d’autres entreprises. Comme le mentionnent Langley et Royer (2006), tous les cas au sein d’un même ensemble ne sont pas censés être conduits avec la même intensité pour enrichir l’analyse globale.