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Le choix d’une démarche qualitative par une analyse inter-sites

Plan du chapitre 3

2. Méthodologie qualitative à travers six études de cas

2.1. Le choix d’une démarche qualitative par une analyse inter-sites

L’approche qualitative a été mobilisée pour les articles 1 et 2 qui composent cette thèse. Leur objectif est d’aborder la réalité du phénomène d’adoption d’une innovation organisationnelle comme un processus et d’en identifier les antécédents. Le premier article cherche à identifier les pratiques de mobilisation des ressources humaines et leurs effets d’interaction, susceptibles de jouer un rôle de levier durant les phases de ce processus. Le second article se place sous l’angle des barrières à l’innovation, cherchant également à les identifier et à analyser leurs effets (effets d’interaction compris) en fonction des phases.

L’approche qualitative par études de cas présente, selon nous, un certain nombre d’intérêts pour répondre aux objectifs de cette première partie de recherche.

2.1.1. L’intérêt d’une démarche qualitative

Différentes raisons ont motivé notre choix de recourir à une méthodologie de recherche qualitative pour la première partie de notre travail de recherche.

Premièrement, comme le notent Charreire-Petit et Durieux (2007), l’exploration d’un thème nouveau ou peu étudié dans la littérature est facilitée par la mise en œuvre d’une méthodologie qualitative. Nous retenons donc une telle démarche pour traiter une partie de notre modèle conceptuel concernant les antécédents internes, d’une part relatifs aux pratiques de mobilisation des ressources humaines peu étudiées comme antécédents (Jimenez-Jimenez et Sanz-Valle, 2008; Mohnen et al., 2008) et, d’autre part, envisagés sous l’angles des barrières. Hormis quelques rares exceptions (Madrid-Guijarro et al., 2009; Wagner et al., 2011), l’approche par les barrières n’a été mobilisée que pour les innovations technologiques.

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Deuxièmement, pour Miles et Huberman (2003), une caractéristique des données qualitatives est « leur richesse et leur caractère englobant, avec un fort potentiel de décryptage de la complexité ; de telles données produisent des descriptions denses et pénétrantes, nichées dans un contexte réel» (p. 27). Le phénomène d’adoption d’une innovation organisationnelle est caractérisé par sa forte complexité, son aspect collectif, long, lié à l’apprentissage (Alter, 2010; Charreire-Petit, 2003; Scozzi et Garavelli, 2005) et susceptible de se heurter à de nombreux obstacles (Damanpour, 2012; Van de Ven, 1986; Vermeulen, 2005). Une approche qualitative nous permet d’appréhender ce phénomène plus en profondeur.

Troisièmement, une méthodologie qualitative parait appropriée pour expliquer la nature processuelle de phénomènes organisationnels, tels que la formation d’une stratégie, l’apprentissage, l’innovation ou la prise de décision (Langley, 1997, 1999; Langley, Smallman, Tsoukas et Van De Ven, 2013). L’adoption d’une innovation organisationnelle étant définie comme un processus en plusieurs étapes, habituellement synthétisé en trois principales (décision, mise en usage et poursuite de l’usage ou pérennisation), il semble intéressant de pouvoir l’expliquer, en tenant compte de ces différentes phases théoriques, mais sans pour autant faire ce choix exclusif.

Quatrièmement, notre souhait est de baser nos résultats sur des perceptions d’acteurs issus de différentes fonctions et relevant de différents statuts. La démarche qualitative nous a permis d’accéder à ces différentes sources.

Cinquièmement, la démarche qualitative, par le biais d’étude de cas qui reste le moyen le plus communément adopté (Stake, 2000), est considérée comme adéquate lorsqu’une problématique est formulée en termes de comment et de pourquoi (Yin, 2009). Elle suppose également de s’intéresser au contexte et ne peut convenir lorsque le chercheur souhaite garder le comportement des individus sous contrôle (Eisenhardt, 1989). Le tableau 19, ci-après, synthétise les trois critères proposés par Yin (2009) qui motivent le choix d’une stratégie de recherche basé sur des études de cas.

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Tableau 19 – Les critères de choix d’une stratégie de recherche (D’après Yin, édition 2009, p.8)

Stratégie de recherche

Nature du questionnement

Contrôle sur les comportements

Focalisation sur des évènements contemporains

Expérimentation Comment / pourquoi ? OUI OUI

Enquête Qui / quoi / où / combien ? NON OUI

Analyse d’archives Qui / quoi / où / combien ? NON OUI / NON

Histoire Comment / pourquoi ? NON NON

Etude de cas Comment / pourquoi ? NON OUI

Dans cette recherche, nous nous intéressons au comment et pourquoi des firmes adoptent des innovations organisationnelles et ne souhaitons pas mettre les acteurs internes et externes des entreprises en situation d’expérimentation puisque, au contraire, nous souhaitons avoir une approche systémique de ce phénomène et, tenir compte du contexte, de l’environnement et des comportements et attitudes des acteurs. Dans cette perspective, « les données qualitatives sont séduisantes ; elles permettent des descriptions et explications riches et solidement fondées de processus ancrés dans un contexte local. Avec les données qualitatives, on peut respecter la dimension temporelle, évaluer la causalité locale et formuler des explications fécondes » (Miles et Huberman, 2003, p. 11). Enfin, le phénomène d’adoption du Lean Management par les entreprises a eu lieu ces dernières années. Nous nous intéressons donc à un processus contemporain qui pour certaines entreprises est encore en cours.

Sixièmement, « les mots, particulièrement lorsqu’ils s’organisent en récit, possèdent un je ne sais quoi de concret, d’évocateur ou de significatif qui s’avère souvent bien plus convaincant pour le lecteur, qu’il soit chercheur, décideur ou praticien, que des pages de chiffres.» (Miles et Huberman, 2003, p. 11-12). Notre travail ayant également un objectif managérial revendiqué, nous ne souhaitions pas passer à côté des mots et récits porteurs de sens pour le plus grand nombre et dont l’analyse peut être évocatrice, notamment pour les praticiens.

2.1.2. Le choix de cas multiples et d’une stratégie processuelle

Dans les stratégies de recherche qualitative en sciences de gestion, l’étude de cas a su s’imposer (Eisenhardt, 1989; Hlady Rispal, 2002; Langley et Royer, 2006; Stake, 2000). Elle n’est pas attachée à un paradigme épistémologique particulier et peut être utilisée pour comprendre, expliquer, tester ou générer une théorie (Eisenhardt, 1989; Langley et Royer, 2006). Langley et Royer (2006) choisissent de définir l’étude de cas comme une étude d’au moins un cas, i.e. un système délimité pour, contrairement à Yin (2009), ne pas exclure certaines stratégies de

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collecte de données qualitatives telles que les analyses d’archives et les études historiques. La définition proposée par Easton et Harrison (2004) va aussi dans ce sens. Selon eux, une étude de cas «implique d’investiguer un ou un petit nombre d’entités sociales ou de situations à propos desquelles les données sont collectées en utilisant différentes sources »42 (p. 119).

Différents types d’études de cas existent et sont fonction du nombre de cas étudiés (Miles et Huberman (2003) parlent d’analyse intra-site et inter-sites), du niveau d’analyse, et de la prise en compte - ou non - de l’aspect processuel. Yin (2009) en propose une typologie qui distingue quatre designs en fonction du nombre de cas mais aussi de leur caractéristique enchâssée ou non (cf. figure 14).

Nous faisons, pour notre part, le choix de nous situer dans la partie droite de ce schéma, autrement dit de ne pas circonscrire notre analyse à un contexte unique. Un premier intérêt de mener plusieurs cas est d’accroître la « généralisabilité »43 (même si cet objectif n’est pas toujours recherché par les démarches qualitatives), en se donnant la possibilité que les évènements et processus observés ne soient pas purement idiosyncrasiques (Miles et Huberman, 2003). La multiplication des cas peut également être utile dans une logique comparative et pour permettre de trouver des cas contraires qui inciteront à approfondir la compréhension et l’explication. Son inconvénient est sans doute de réaliser une analyse moins

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A case study «involves investigating one investigating one or a small number of social entities or situations about which data are collected using multiple sources of data” (p. 119)

43 Terme utilisé par Miles et Huberman (2003)

Figure 14 – Matrice des différents designs d’études de cas Source : Yin (2009, p. 46)

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approfondie de chacun des cas (surtout dans le cas de la contrainte temporelle forte liée aux délais d’une recherche doctorale). Enfin, sa principale limite est de bien échantillonner les différents cas. Nous aborderons les précautions que nous avons prises à ce sujet dans une prochaine section.

L’adoption d’une innovation organisationnelle étant définie comme un processus composé de différentes phases, nous recueillons des données processuelles issues majoritairement de récits d’évènements, d’activités et de choix. Bien sûr, idéalement, il aurait été intéressant de chercher autant que possible à observer directement les mécanismes par lesquels les phénomènes d’adoption d’une innovation organisationnelle se produisent dans le temps. Mais étant donné la durée de ce type processus (Aoki (1988) note qu’il a fallu 20 ans à l’entreprise Toyota pour passer de l’application expérimentale à l’application intégrale du Lean), nous avons opté pour des récits rétrospectifs et l’analyse de documents et archives pour les phases passées, et des récits contemporains pour les phases en cours. Nous détaillons notre protocole de collecte et d’analyse de ces données qualitatives dans la section suivante.