• Aucun résultat trouvé

Plan du chapitre 3

2. Méthodologie qualitative à travers six études de cas

2.2. La collecte et l’analyse des données qualitatives

2.2.1. La sélection des cas

L’échantillonnage suppose que l’on décide non seulement des cas que l’on va étudier mais aussi des personnes que l’on va interviewer et/ou observer. Les études de cas multiples exigent que l’on soit explicite sur les critères des choix réalisés (Miles et Huberman, 2003). C’est l’objectif de cette section.

LA QUESTION DU NOMBRE DE CAS

La question du choix des cas, leur nombre et nature, est cruciale pour le projet de recherche. Elle est également sujet à débat comme le montrent les échanges entre Dyer et Wilkins (1991) et Eisenhardt (1991) dans Academy of Management Review, les premiers remettant en cause l’idée défendue par Eisenhardt (1989) selon laquelle avec moins de quatre cas, les fondements empiriques risquent d’être peu convaincants. Ils rappellent à cet effet que les recherches qui ont marqué durablement les sciences sociales sont basées sur des cas uniques et que l’étude attentive d’un seul cas peut également conduire les chercheurs à développer de nouvelles relations théoriques et à questionner les anciennes. Eisenhardt (1991) a tendance à privilégier les comparaisons entre différents contextes organisationnels, notamment, lorsque

164

l’objectif de la recherche est la généralisation des résultats. Deux critères peuvent alors dicter le choix des cas et leur nombre : la saturation et la réplication (Royer et Zarlowski, 2007a). La saturation correspond «au moment à partir duquel l’apprentissage incrémentiel est minime, les chercheurs observant des phénomènes déjà constatés» (Hlady-Rispal, 2002, p. 68). Comme le notent Royer et Zarlowski (2007a), ce principe est souvent difficile à mettre en œuvre car il n’est pas aisé d’être assuré qu’il n’existe plus d’informations supplémentaires susceptibles d’enrichir la théorie. C’est au fur et à mesure de la démarche empirique que le chercheur peut se rendre compte qu’une unité supplémentaire n’apporte plus réellement d’informations nouvelles. La réplication signifie que chaque cas peut permettre de corroborer des propositions spécifiques (liées à des régularités) et d’éliminer certaines associations (Eisenhardt, 1991). Selon Wynn et Williams (2012), la corroboration empirique représente un des principes méthodologiques clé du réalisme critique. Il est dérivé d’une part, de son hypothèse ontologique relative à la réalité indépendante et stratifiée, et d’autre part, de son hypothèse d’ordre méthodologique concernant la non-observabilité des mécanismes générateurs et leur multitude. La corroboration empirique permet alors de s’assurer que les mécanismes générateurs proposés représentent la réalité de manière adéquate, et qu’ils ont un meilleur pouvoir explicatif que des explications alternatives. Suivant ce principe de corroboration empirique, la multiplication des cas permet d’évaluer dans quelle mesure une explication causale peut être maintenue à travers différents cas et évènements (Wynn et Williams, 2012).

Pour Yin (2009), trois situations rendent pertinent le choix d’un cas unique : (1) un cas critique permettant de tester une théorie établie dont les fondements et conditions de validité sont bien connus ; (2) un cas révélateur permettant de révéler un phénomène préalablement inaccessible à l’investigation scientifique ; (3) un cas extrême permettant de comprendre un phénomène rare. Comme nous l’avons vu, notre logique globale de recherche n’est pas de vérifier une théorie, aucun modèle d‘adoption d’une innovation organisationnelle n’existant à ce jour. L’adoption d’une telle innovation n’est pas davantage un phénomène rare, comme les résultats des enquêtes CIS ou de la recherche de Beauvallet et Houy (2009) ont pu le montrer. Aussi, pour ces différentes raisons, mais aussi dans l’optique d’atteindre une meilleure validité externe, avons-nous opté pour une analyse inter-sites (Miles et Huberman, 2003) de six entreprises industrielles ayant adopté le Lean. En effet, malgré les controverses sur le nombre idéal de cas, et sachant qu’il dépend avant tout de l’objectif de la recherche, nous avons décidé de suivre les recommandations de Eisenhardt (1989) et de choisir plus de quatre cas suffisamment parents pour autoriser des comparaisons pertinentes, tout en présentant une variété en termes de caractéristiques. Notre échantillon final est ainsi composé de six cas.

165

LES CRITERES DE CHOIXDES SIX CAS

La sélection des cas dans une démarche qualitative repose sur un échantillonnage, dit théorique, i.e. les cas sont choisis pour des motifs théoriques et non pas statistiques (Eisenhardt, 1989; Hlady Rispal, 2002; Miles et Huberman, 2003). Hlady Rispal (2002) propose quatre critères d’échantillonnage théorique :

1) La représentativité théorique permet d’identifier des phénomènes récurrents. Son

principe est le suivant : pour être inclus dans l’échantillon théorique, un cas doit posséder suffisamment de traits communs avec les autres cas sans pour autant être en tout point identique ;

2) La variété permet d’accroître la compréhension du phénomène et sa complexité. Son

principe est le suivant : les cas doivent appartenir à la même population théorique (entreprises adoptant le Lean) mais doivent varier sur différentes caractéristiques contextuelles, structurelles, stades de développement… ;

3) Une répartition équilibrée entre les cas est importante mais pas forcément

essentielle. Il s’agit de chercher à avoir un échantillon de cas offrant une variété équilibrée de situations différentes ;

4) La potentielle richesse des données disponibles est centrale. Il s’agit ici de s’assurer ou de trouver les moyens (confidentialité, anonymat, restitutions de résultats) pour que les personnes rencontrées pour chacun des cas soient suffisamment disponibles, intéressées, ouvertes à la démarche et libres de s’exprimer.

Nous avons retenu ces quatre critères pour sélectionner nos six cas.

La première étape de notre démarche de sélection des six cas s’est faite de la manière suivante. L’IREGE, notre laboratoire de recherche, faisait partie des six laboratoires engagés dans le projet de recherche “L’évolution vers un Lean Européen Adapté, EuroLean » financé par le Cluster régional de recherche GOSPI, Gestion et Organisation des Systèmes de Production et de l’Innovation. Dans le cadre de ce projet, Lyonnet, Pillet et Pralus (2010) avaient procédé à l’évaluation du niveau de maturité Lean (en termes de compréhension et d’application de cette innovation organisationnelle)de 44 entreprises industrielles situées dans la Vallée de l’Arve en Haute Savoie. Cet échantillon était représentatif des 300 entreprises adhérentes du pôle de compétitivité Arve Industries Haute-Savoie Mont Blanc44 en termes de taille et de secteur d’activité. Pour ce faire, ces chercheurs (spécialisés en génie industriel et génie mécanique

44

Issu d’un district industriel ancien, le pôle de compétitivité Arve Industries Haute-Savoie Mont-Blanc, créé en 2006, est spécialisé dans la mécanique de précision et la mécatronique. Il compte 300 entreprises adhérentes dont 95% sont des PME. Il axe toute sa stratégie sur le développement des PME avec un modèle d’accompagnement des entreprises tout au long de leur cycle d’innovation.

166

essentiellement) ont administré un questionnaire listant les principes et pratiques clés du Lean

pour lesquels les 44 entreprises devaient autoévaluer leur niveau de maturité sur une échelle à cinq niveaux : (1) Inexistante, (2) Existante mais manque de méthode, (3) appliquée avec Méthode mais non généralisée, (4) Systématique (application effective et systématique), (5) Exemplaire (application effective, systématique et efficiente). Un score de 1 à 5 a ensuite été attribué à chaque pratique, puis un score moyen a été calculé sur l’ensemble des pratiques afin de déterminer le niveau de maturité Lean de chaque entreprise.

Les résultats de cette recherche ont représenté le point de départ de notre sélection. En effet, nous souhaitions sélectionner des entreprises qui avaient décidé d’adopter le Lean mais qui n’affichaient pas le même niveau de maturité dans ce processus d’adoption. La décision d’adopter une innovation organisationnelle telle que le Lean a été contrôlée sur la base des éléments suivants : participation des entreprises à des programmes d’accompagnement à l’adoption du Lean ou recours à des consultants. Ces informations ont été obtenues auprès du centre de ressources Thésame46 chargé des programmes d’accompagnement des entreprises dans les démarches Lean. Nous l’avons ensuite vérifié lors de la première prise de contact. Les niveaux différenciés de maturité Lean de ces 44 entreprises pouvaient dénoter des niveaux d’engagement divers dans la démarche mais aussi, ce qui nous intéressait davantage, des niveaux de réussite ou de difficulté différents. Dans un premier temps, nous avons sélectionné 8 entreprises parmi les 44 autoévaluées en privilégiant plusieurs critères répondant à la recherche de variété et d’équilibre : niveaux d’autoévaluation de maturité Lean différents (élevé, moyen et faible), positions différentes dans la filière de production (donneur d’ordre et sous-traitant de différents rangs), diversité en termes de tailles et de métiers. Nos contacts avec ces 8 entreprises nous ont amené à en sélectionner 6 pour lesquelles nous avons évalué une potentielle richesse des données sur la base de leur intérêt et ouverture face à notre démarche de recherche.

Le tableau 20 ci-après propose une synthèse des critères d’échantillonnage retenus.

45

Ces principes et pratiques sont cohérents avec notre revue de la littérature. 46

Thésame est un centre de ressources en mécatronique, gestion industrielle et management de l'innovation. Il est très reconnu en région Rhône-Alpes et est chef de file du programme régional Lean PME soutenu par la Région Rhône-Alpes et la DRIRE. Il axe son activité sur l'innovation industrielle, organisationnelle et technologique. Il informe, met en relation, conseille et accompagne les PMI, ETI et les grands groupes dans la gestion de leurs projets d’innovation.

167

Tableau 20 – Critères d’échantillonnage théorique pour la sélection de six cas

Critères

d’échantillonnage Application à notre échantillon

Représentativité théorique

6 entreprises ayant les points communs suivants :

Décision d’adopter le Lean validée

Secteur industriel incluant différents métiers

Secteur géographique commun : Vallée de l’Arve – Haute Savoie

Variété

Divergence sur les différentes caractéristiques suivantes :

Différents niveaux de maturité Lean

Tailles variables – Appartenance ou non à un groupe

Positions différentes dans la filière de production (un donneur d’ordre, deux entreprises sous-traitante de rang 1 et trois entreprises sous-traitantes de rang 2)

Répartition équilibrée

Recherche d’une répartition équilibrée :

2 entreprises avec un faible niveau de maturité Lean (- de 2 de moyenne), 2 avec un niveau correct (>2 et <3,5), 2 avec un bon niveau (> 3,5)

3 PME, 1 établissement d’ETI, 2 établissements de GE 47

Richesses des données

Riche potentiel de découverte :

3 PME « vierges » de toute investigation

2 entreprises reconnues expertes du Lean (conférences, presse, école du Lean)

Accès à certaines entreprises facilité par le support institutionnel de Thésame (signal de reconnaissance de l’intérêt de notre travail de recherche et confiance par rapport à notre démarche)

Négociation d’accès plus difficile avec deux entreprises mais chance de réaliser les premiers RDV avec des personnes très intéressées pour développer ou conforter leurs connaissances du Lean et qui nous ont ensuite facilité l’accès à de nombreuses données et interlocuteurs…et nous ont laissé une grande liberté d’observation dans les ateliers et unités de production.

Autorisation obtenue suite aux premiers rendez-vous avec des responsables d’entreprise pour rencontrer des salariés de différents statuts (opérateurs, techniciens, managers, responsables des RH, de l’industrialisation, de la qualité…)

Possibilité de rencontrer les consultants ou organismes qui ont accompagné les entreprises dans leur démarche Lean

Le tableau 21 ci-après détaille les principales caractéristiques des six entreprises composant notre échantillon pour notre recherche qualitative.

47

Selon la classification INSEE : PME (Petite ou Moyenne Entreprise) : entreprise qui occupe moins de 250 personnes, et qui a un chiffre d'affaires annuel inférieur à 50 millions d'euros ; ETI (Entreprise de Taille Intermédiaire) : entreprise qui a entre 250 et 4999 salariés, et un chiffre d'affaires n'excédant pas 1,5 milliards d'euros ou entreprise qui a moins de 250 salariés, mais plus de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires ; GE (Grande Entreprise) : entreprise qui a au moins 5000 salariés ou entreprise qui a moins de 5000 salariés mais plus de 1,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

168