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Valeurs, normes et attentes selon le contexte Maghrébin 47 

Chapitre 4 Présentation et discussion des données 40 

4.3 Accouchement et phase postnatale 47 

4.3.1 Valeurs, normes et attentes selon le contexte Maghrébin 47 

Lacoste-Dujardin (2008) mentionne l’importance de la maternité dans les pays maghrébins, celle- ci étant soulignée et encadrée par la religion, la politique et le droit. Chebel (1999), dans son ouvrage Le corps en Islam, affirme que « la natalité est une bénédiction divine, une sorte d’élection particulière, un traitement privilégié, l’accouchement est le moment le plus important de la vie d’une mère » (1999 :50). Plusieurs autres auteurs font mention de ce culte de la maternité en terre maghrébine dont Obermeyer (2000), Kuster et collègues (2002), et à nouveau Chebel (2013). Le discours de mes informatrices témoigne également de l’importance accordée aux enfants : « on vit pour les enfants », « tu dois vivre pour tes filles », « tu dois te mettre dans la tête que tu vis pour tes enfants et pour toi ». À ce propos une femme développe : « C’est la vie, c’est la tradition, c’est la vie musulmane, avoir un mari puis des enfants ».

La place importante accordée à la maternité et à la nouvelle maman est soulignée par les coutumes de maternage qui sont prescrites par les pratiques thérapeutiques remontant à l’époque

d’Avicenne31. Ce célèbre médecin prescrivit une période de repos pour la nouvelle maman, qui se nomme nafsa, qui consiste à rester confinée les sept premiers jours après l’accouchement dans la chambre et recevoir des repas et des boissons « chaudes »32. La période de repos peut durer jusqu’à quarante jours selon les ressources dont dispose la nouvelle maman (Obermeyer, 2000). Durant cette période, elle est choyée et dorlotée par son entourage féminin immédiat - sa famille, sa belle- famille, des amies proches - (Kuster et coll., 2002; Le Gall, 2002; Battaglini, 2000) afin qu’à son tour elle puisse s’occuper du bébé. À ce propos, les mamans s’expriment : « Dans mon pays, tu es traitée comme une reine après ton accouchement. » (Nora, 40 ans, éducatrice dans une garderie) ou « Tu ne fais rien, tu ne fais qu’allaiter, manger et te reposer » (Fatima).

Les pratiques de maternage traduisent aussi la conception de la fragilité (Capelli, 2011; Kuster et coll., 2002; Obermeyer, 2000a, 2000b) dans les trois pays du Maghreb, la femme qui vient d’accoucher étant perçue comme fragile et nécessitant des soins spéciaux liés à sa situation. Cette fragilité résonne dans les pratiques culturelles liées au maternage de la nouvelle mère et celle-ci s’exprime également dans le discours populaire. Dans ses mots, une informatrice décrit : « Lorsque vous accouchez, vous êtes un peu fragile, vous aimez que tout le monde soit autour » (Myriam). À partir des résultats de ses recherches, Obermeyer (2010) souligne que : « The woman who has just given birth is considered so precarious that any disturbance can kill her; she is thought to be particularly vulnerable to quarrels and needs to be sheltered from conflicts » (2010 :180). Obermeyer (2010) a aussi recueilli les formules utilisées pour parler d’une femme qui vient d’accoucher dans le langage populaire marocain: « (has) one foot in this world and one in the other world » et « (her grave) remains open for forty days » (2010 :180). Le langage reflète la conscience des Marocains et Marocaines en la précarité de la vie d’une femme qui vient d’accoucher et des risques qui découlent de l’expérience de l’accouchement.

      

31 Ibn Sinâ (980-1037) – Avicenne- est philosophe et « sans doute le plus célèbre des médecins arabes. Le livre

principal d’Avicenne est son Qanoun fil-Tîbb (Canon de la médecine), qui fût le traité médical le plus étudié durant le Moyen Âge. » (Chebel, 2013 :21)

32 Les boissons chaudes, et autres traitements chauds durant cette période ont pour but de rétablir l’équilibre du

débalancement chaud/froid causé par l’accouchement. Ces traditions culturelles proviennent de la théorie grecque des humeurs. Dans cette optique, chaque aliment possède des qualités et des tempéraments (chaud, froid, humide ou sec) (Poème de la médecine, Avicenne).

Au Maroc, à travers les traditions culturelles locales, la femme est préparée et valorisée à avoir des enfants. C’est un événement souligné et fêté par la famille et l’entourage de la nouvelle maman et ce sont spécifiquement les femmes du réseau de soutien qui sont mobilisées pour l’aider et la soutenir dans son nouveau rôle. Dans ce contexte, le réseau de soutien ainsi que les ressources autour de la maman seront mobilisés différemment. Les soins apportés à la femme qui vient d’accoucher appartiennent plutôt à la sphère féminine, tel que souligné par mes informatrices : « c’est une affaire de femmes », « mes sœurs sont brièvement venues me voir », « ma mère fait tout ». Aussi, comme l’une de mes informatrices le mentionne, au Maroc, il n’y a pas de cours prénataux pour les futures mamans, donc le savoir - les soins du bébé, l’allaitement, l’alimentation - est transmis par la parenté féminine qui est expérimentée. Myriam raconte sa première expérience de maternité au Maroc : « sinon c’est la famille qui fait tout, c’est elle qui participe, la maison est toujours pleine, si le bébé a quelque chose comme des gaz, elles [la parenté féminine] te disent : tu dois faire ça, lui donner ça, les mouvements que tu dois faire [avec le bébé]. Tu t’informes auprès des femmes qui ont déjà eu des enfants ou qui ont déjà eu des problèmes avec leurs enfants. ».

Chebel (2013) ajoute que « [c]e transfert spontané des connaissances intéresse aussi bien les croyances les plus invraisemblables que les us et coutumes en matière de protection sanitaire du bébé, de la façon de le langer, de la technique du portage, des berceuses qu’il faut fredonner, du balancement régulier qui le fera dormir, etc. » (2013 :54). L’arrivée d’un enfant est également un événement célébré et vécu avec la famille élargie (Kuster et coll., 2002), une informatrice marocaine le décrit en ces mots : « La naissance d’un enfant, c’est la fête, il faut la faire, on l’a pas encore fait pour la cadette, on attend de retourner au pays, c’est avec la famille, on égorge un mouton, d’habitude c’est après le 7e jour et on invite toute la famille. » (Myriam).

En contexte d’immigration, la situation est différente puisque les ressources autour de la future maman sont réduites. Les femmes rencontrées indiquent qu’elles se tournent vers les ressources les plus proches d’elles, soit les femmes de leur entourage ou bien leur mari. On comprend donc que leur premier réflexe est de se tourner vers leur famille. Sinon, elles font appel à leurs amies, aux services de santé et aux ressources communautaires.