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Chapitre 4 Présentation et discussion des données 40 

4.3 Accouchement et phase postnatale 47 

4.3.4 Le conjoint 55 

La présence et le soutien du conjoint sont également très importants pour les mamans immigrantes. Cependant, contrairement aux attentes liées au soutien féminin, les attentes des femmes à l’égard de leur mari varient largement d’une femme à l’autre. Plusieurs facteurs influencent les attentes : la relation avec le conjoint, les exemples familiaux, la présence ou non de famille et d’amies à Montréal, si le couple a déjà eu des enfants et l’expérience vécue dans leur pays d’origine. Donc,

pour quelques femmes, le conjoint doit être la personne la plus présente à leurs côtés durant la maternité. Pour ces femmes, la maternité est également une période où le soutien du conjoint est nécessaire et exigée. Myriam explique : « Le soutien, doit venir de votre mari, c’est la première personne sur qui tu dois compter, durant la grossesse, pendant l’accouchement et après » et elle ajoute : « Ça s’est bien passé, mon mari ne travaillait pas encore, c’était une bonne chose, je lui avais dit de rester avec moi ». Selon Khadija, « Il a annulé sa session universitaire. J’ai eu assez d’aide, ce n’était pas notre premier [enfant]. Il était obligé ». Dans ces cas, les données semblent indiquer que, tel que décrit par Battaglini et ses collègues (2002), « l’implication des pères représente un facteur de protection en contexte migratoire dans la mesure où ils peuvent combler le vide laissé par le réseau féminin » (2002 :179). En effet, l’implication du conjoint peut être perçue comme un gain « qui permet de compenser, du moins en partie et pour un certain temps, la perte du réseau de soutien familial » (2002 :174) également parce qu’il est « généralement la personne la plus proche et la plus disponible » (Rinfret, 2007 :24). Le contexte de migration offre aussi une opportunité aux pères de redéfinir leur rôle aux côtés de leur conjointe.

Les mères immigrantes qui ont une très bonne relation avec leur conjoint mentionnent qu’autour d’elles, les hommes participaient aux tâches et aux soins des enfants. Par exemple, Myriam explique qu’elle a eu l’exemple de son père : « Même pour mon père, il a aidé notre mère lorsqu’elle était malade ou qu’elle accouchait, j’ai vu qu’il était là pour s’occuper de nous. Une fois ma mère s’est absentée et c’est mon papa qui faisait tout, à manger, nettoyer, car ma sœur était trop jeune pour l’aider ». Donc, pour elle, c’est normal que son mari l’aide lorsqu’elle est malade : « Non, je n’ai pas eu assez de soutien à cette période, […], mais mon mari faisait tout, tout ». Pour une autre participante : « Il fait beaucoup pour moi et pour ma fille, le bain, la prendre le samedi pour que je puisse avoir du temps pour moi » (Sofia, 30 ans, d’origine syrienne, professeur de biologie dans son pays, mais mère à la maison ici). Lors des groupes de discussions, plusieurs participantes ont en effet exprimé leur satisfaction lorsque leur conjoint est resté quelques jours à leurs côtés après l’accouchement.

Pour d’autres femmes, ce sont les finances du couple qui obligent celui-ci à continuer à travailler ou à poursuivre ses études. Dans ces cas, les attentes envers leur conjoint concernent essentiellement le support financier pour la famille bien qu’elles s’attendent aussi à ce qu’il assume quelques tâches en plus pendant les relevailles telles que les bains des plus vieux, la cuisine pour

les premiers jours, tel qu’énoncé par Myriam : « il fait la cuisine, pendant la grossesse aussi, dû aux vomissements, je suis chanceuse, il m’aide le temps que j’ai besoin de lui, il est là. Même à l’hôpital, il s’occupait du bébé. Mais après, c’est fini ». Pour Lina, la situation est différente, « Mon mari ne m’aide pas beaucoup, un peu…il travaille beaucoup ».

Dans les entrevues de groupes, les femmes ont souligné que le soutien apporté par leur mari concerne surtout sa dimension instrumentale : donner le bain, leur apporter de la nourriture (malgré le fait que souvent ce n’était pas sain (fast-food)), prendre le bébé ou l’enfant quelques heures le soir ou la fin de semaine. Toutefois, certaines mentionnent aussi le soutien moral que celui-ci leur apporte.

Il est à noter que le rôle traditionnel de l’homme maghrébin n’est pas d’assumer les soins aux bébés ou aux enfants ni de réaliser les tâches ménagères(Kuster, Goulet et Pépin, 2002). À travers les propos des femmes, on observe par la réalisation de certaines tâches que les conjoints font preuve d’adaptation. En effet, dans le contexte migratoire et de maternité, afin de s’adapter à la nouvelle réalité à laquelle ils sont confrontés, le couple subit inévitablement des transformations et des bouleversements des relations (Battaglini et coll., 2000; Battaglini et coll., 2002; Kuster, Goulet et Pépin, 2002). Les données présentées suggèrent que l’une d’entre elles est la redéfinition du rôle de conjoint et de père. Celui-ci s’implique (à des niveaux et degré différents selon chaque conjoint) afin de pallier le manque de soutien de la part d’un réseau féminin. Lorsque la mère immigrante se reconstitue un réseau féminin qui la supporte lors de ses relevailles, la présence du conjoint s’estompe un peu pour la période des relevailles mais est bien présente pour le soutien au quotidien. C’est alors le rôle du papa qui importe, celui-ci consiste à subvenir aux besoins des enfants, à être présent au quotidien et surtout dans les cas urgents. En réponse à la question, Que

fait votre mari pour vous aider?, les répondantes ont indiqué que leur conjoint « cuisine »,

« s’occupe des enfants » et qu’il « écoute ». Pourtant, pour certaines participantes, la réalité est différente puisque, selon elles, le mari en fait peu pour les soutenir, et il pourrait en faire plus. À cet égard, l’analyse des propos des participantes qui sont moins supportées par leurs maris témoigne d’un conservatisme du rôle de l’homme conduisant parfois les mères immigrantes à manquer de soutien. Les propos de Lina illustrent très bien ce fait : « C’est une affaire de femmes, mon mari, il travaille et il n’aime pas cuisiner donc c’est normal que ce soit pas lui qui le fasse à la maison » ou par ceux de Nora : « Il ne voulait rien faire, […], au début, il m’aide, mais

maintenant, il ralentit, il veut rien faire. C’est culturel, je sais pas, dans la tête des hommes c’est la femme qui doit tout faire dans la maison » puis « surtout que mon mari travaille de soir, alors je suis seule. Je n’ai pas d’aide ». Elle ajoute : « Toute la grossesse était, en plus de ça, mon mari comprenait pas ça, j’avais pas envie de faire du ménage à la maison, de faire certains efforts. J’avais peur de faire des efforts et de perdre le bébé. Donc je reste allongée, je fais pas beaucoup d’efforts, car il ne veut rien faire. On se bagarre et moi je pleure, je pleure, je pleure. Il est resté comme ça durant toute la grossesse. Il ne voulait rien faire ». Les propos de Salima font écho à cette réalité : « Il voulait me garder à la maison, préparer sa bouffe, ou comme on dit à la québécoise : le torcher ! »,tandis que pour Maryam (37 ans, mère à la maison), sa détresse provient principalement du fait qu’elle ne reçoit aucun soutien de la part de son conjoint, « il ne m’aide pas, ne l’a jamais fait. […], il ne m’écoute pas, c’est comme parler à un mur. Et je pleure ». Une autre participante raconte sa situation : « Je les connais les hommes maintenant, ils ne font pas ce qu’ils disent, et ce n’est pas comme ici, les hommes ici en font plus, ils aident plus. […], je lui confie les aînés quand je pars faire des choses de mon côté. Ça lui montre comme ça que c’est dur » (Assia). Ces témoignages font état d’une autre expérience auxquelles les couples doivent s’adapter, celle de la vie conjugale. En effet, sur les onze participantes rencontrées individuellement, quatre femmes parrainées n’avaient encore jamais habité avec leur mari. Elles ont rencontré leur mari par Internet (via des sites de rencontres), ont correspondu pendant des semaines voire des mois avec lui, puisqu’ils se sont rencontrés et mariés dans leur pays d’origine. De plus, cette adaptation à l’autre se fait presque simultanément avec la première grossesse. On dénote chez ces femmes un manque de soutien de la part de leur conjoint.

Les participantes manquant de soutien de la part de leur conjoint disent s’être senties angoissées lors des relevailles, elles attribuent leur état de stress et d’anxiété à la solitude et au manque de soutien lors de cette période exigeante. Par exemple, l’une d’elle décrit son état d’anxiété durant sa deuxième grossesse : « Alors, moi je suis malade, mon mari n’est pas là, j’avais un enfant à la maison. Imagine, j’ai eu une petite dépression au début de ma grossesse. J’arrivais plus à respirer, comme si je manquais d’air. Le coeur faisait comme ça, comme ça [mime avec ses mains], j’ouvrais la fenêtre mais c’était comme si il y avait pas d’air » (Nora).

Les propos recueillis suggèrent que, pour certaines, le manque de soutien va au-delà de la période postnatale, s’étendant à l’expérience de la maternité. Pour Assia, mère de trois enfants, « je me

sens toujours stressée, la routine avec les enfants c’est difficile, c’est la routine du matin qui tue », elle ajoute, « il n’y a pas assez de répit, les deux demi-journées de répit ce n’est pas assez ». Et à propos de sa routine ici elle mentionne : « ce n’est pas la vie que je croyais en venant ici ». Quant à Maryam, mère de deux enfants, « je n’ai pas eu d’aide du tout lors de l’accouchement et après » Puis, pour expliquer le besoin qu’elle ressent de s’ouvrir aux autres « mon mari ne m’écoute pas, c’est comme parler à un mur ».

On observe en somme que le soutien du conjoint est important pour les femmes, mais qu’il peut être ardu d’en avoir. La relation des mères immigrantes avec leur conjoint semble influencer la perception du soutien qu’elles reçoivent de ce dernier.