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Maternité en exil : la construction d'un réseau de soutien à Montréal

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Maternité en exil :

La construction d’un réseau de soutien à Montréal

Mémoire

Stéphanie Collins

Maîtrise en anthropologie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Maternité en exil :

La construction d’un réseau de soutien à Montréal

Mémoire

Stéphanie Collins

Sous la direction de : 

 

Abdelwahed Mekki‐Berrada, directeur de recherche 

 

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Résumé

Ce mémoire intitulé « Maternité en exil : la construction d’un réseau de soutien à Montréal » propose de documenter les réseaux de soutien des femmes immigrantes d’origine maghrébine. Plus précisément, il aborde l’aide attendue et reçue lors de leur expérience de maternité. Sur la base d’entrevues qualitatives menées dans deux quartiers Montréalais auprès de femmes immigrantes et d’intervenantes du milieu communautaire, le mémoire s’articule autour de plusieurs catégories d’aidants issus de réseaux différents : de la famille, de connaissances, du milieu du travail, d’organismes communautaires ou d’établissements de santé publique. Il a notamment été observé que le réseau féminin entourant les mères immigrantes est très important et que ces femmes mettent en place des stratégies afin de combler leurs attentes.

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Table des matières

Résumé ... iii 

Table des matières ... iv 

Liste des tableaux ... vi 

Liste des annexes ... vii 

Remerciements ... ix 

Introduction ... 1 

Chapitre 1 ... 3 

Contextualisation : Immigration maghrébine et périnatalité en exil ... 3 

1.1 L'immigration maghrébine ... 4 

1.1.1 Les différentes vagues migratoires aux 20e et 21e siècles. ... 4 

1.1.2 Le profil des immigrants maghrébins au Québec ... 5 

1.1.3 La communauté maghrébine de Montréal ... 7 

1.2. Périnatalité en exil : un double processus de vulnérabilité ... 8 

1.2.1 Les facteurs de vulnérabilité due au parcours migratoire ... 9 

1.2.2 Les facteurs de vulnérabilité découlant de l’expérience de la périnatalité en exil ... 11 

1.3. Les services périnataux offerts aux personnes immigrantes sur l’île de Montréal ... 13 

Chapitre 2 Le cadre conceptuel ... 15 

Le réseau social et le soutien social ... 15 

2.1 Le réseau social ... 15 

2.2 Le soutien social : une définition ... 16 

2.3 Le rôle du soutien social et ses effets ... 18 

2.4 Les comportements de soutien ... 19 

2.5 Réseau de soutien ... 22 

2.5.1 Réseau de soutien ... 22 

2.5.2 Les propriétés des réseaux de soutien ... 22 

2.5.3 Les rôles du réseau de soutien ... 23 

2.6 La perception subjective du soutien ... 24 

2.7 Les outils de mesure du soutien social ... 27 

2.8 Question de recherche ... 28 

Chapitre 3 L’approche méthodologique ... 30 

3.1 Objectifs de la recherche et justification du choix de la méthode qualitative ... 30 

(5)

3.3 Techniques et collecte de données ... 31 

3.3.1 Recrutement ... 31 

3.3.2 Entrevues individuelles semi-dirigées ... 32 

3.3.3 Groupe de discussion ... 33 

3.3.4 Construction du schéma d’entrevue ... 34 

3.4 Échéancier de la recherche ... 34 

3.5 Contraintes de terrain et limites de l’analyse ... 35 

3.6 Population de l’enquête et échantillon ... 35 

3.7 Analyse des données ... 37 

3.8 Considérations éthiques ... 39 

Chapitre 4 Présentation et discussion des données ... 40 

4.1 Le parcours migratoire ... 40 

4.2 La phase d’établissement et phase prénatale ... 41 

4.2.1 Le réseau de soutien lors de la phase d’établissement ... 44 

4.2.2 Le soutien lors de la phase d’établissement ... 45 

4.3 Accouchement et phase postnatale ... 47 

4.3.1 Valeurs, normes et attentes selon le contexte Maghrébin ... 47 

4.3.2 Les stratégies employées par les mères immigrantes ... 50 

4.3.3 Le réseau d’entraide féminin ... 53 

4.3.4 Le conjoint ... 55 

4.3.5 Perception subjective du soutien apporté par le réseau ... 59 

4.3.6 Les professionnels de la santé ... 62 

4.3.7 Les organismes communautaires ... 65 

4.4 L’évolution du réseau de soutien ... 68 

4.4.1 Le maintien des liens... 68 

4.4.2 Construction ou élargissement du réseau: les amies ... 70 

Conclusion générale ... 73 

Bibliographie... 76 

(6)

Liste des tableaux

Tableau 1. Types de soutien reçus et leurs exemples ... 20  Tableau 2. Portrait général des mères immigrantes d’origine maghrébine interrogées dans le cadre de ce mémoire en entrevues individuelles et de groupes ... 37 

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Liste des annexes

Annexe 1 Portrait statistique de l’immigration pour la province du Québec ... 85 

Annexe 2 Portrait de l’immigration selon le pays de naissance, Québec, 2009-2013 ... 86 

Annexe 3 Les définitions des catégories d’immigration et des statuts proviennent du rapport de l’Immigration, Diversité et Inclusion Québec (mai 2015). ... 87 

Annexe 4 Carte des arrondissements de Montréal ... 89 

Annexe 5 Affiche de recrutement ... 90 

Annexe 6 Questionnaire entrevue individuelle ... 91 

Annexe 7 Questionnaires entrevue de groupe ... 94 

Annexe 8 Questionnaire distribué dans les entrevues de groupe ... 95   

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« Traditionnellement, il est un monde des hommes, il est un monde des femmes… Le monde des femmes migrantes est peu étudié. Pourtant, les marques de la migration dans leur vie sont souvent profondes, parfois béantes. Il est vrai que, pour les percevoir, il faut s'intéresser au monde de l'intimité, du dedans, du petit, du concret, des enfants. » Marie-Rose Moro (2003:96)

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Remerciements

 

Avant que vous poursuiviez votre lecture, je tiens à remercier mon directeur de mémoire, Abdelwahed Mekki-Berrada, pour son appui et ses conseils. L’intérêt et le soutien de Nora, Maria, et Nathalie du Baobab Familial, de Concertation-Femme et d’Autour du bébé ont vivement contribué à faciliter la réalisation de ce projet.

Je tiens particulièrement à remercier toutes les mamans immigrantes qui ont pris le temps de répondre à mes questions, de m’ouvrir leur cœur et de partager leurs histoires. La construction de ce mémoire repose sur la richesse de leurs propos. Merci de votre confiance.

Je remercie également mes collègues et amis pour nos discussions passionnantes et vos conseils qui m’ont procuré beaucoup de soutien moral, je pense à Cindy Deshaies Girouard, Émilie Allaire et Marjolaine Roy. Un remerciement spécial à Anne-Sophie Deleuze-Amah pour ta patience et tes précieux conseils.

Une autre mention au soutien indéfectible de mes parents et grand-mères, merci d’être toujours à mes côtés.

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Introduction

 

Depuis une quinzaine d’années, les changements effectués dans les politiques de sélection des immigrants internationaux ont favorisé l’accueil de réfugiés et d’une immigration économique. Ainsi ces politiques mises en place ont contribué à diversifier le phénomène migratoire. Le profil des immigrants provenant d’Europe et des Amériques s’est peu à peu estompé pour faire place à une immigration provenant aussi d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient (Street et Laplante, 2014; MICCQ, 2015). Les données du Ministère de l’Immigration et des Communautés Culturelles (MICCQ) révèlent que les personnes issues de l’immigration récente – admises entre 2008 et 2012 - proviennent de l’Afrique du Nord (21%), de l’Amérique centrale et du Sud et des Antilles (20%), de l’Europe (17%), de l’Asie centrale et du Moyen-Orient (10%) et de l’Asie orientale (8%) (MICCQ, 2015).

Cette immigration récente amène de nouveaux enjeux d’intervention et d’intégration notamment dans le secteur de la santé. Plus précisément, l’un d’eux concerne l’expérience de périnatalité des femmes immigrantes au Québec. En lien avec cette expérience maternelle, la littérature scientifique démontre que les immigrantes sont plus susceptibles de présenter des facteurs de risque psychosociaux les exposant davantage à la dépression. Ces mères immigrantes sont aussi plus susceptibles de rencontrer des barrières à l’accès aux soins (langue du pays d’accueil, l’isolement, la pauvreté, le chômage, un faible sentiment d’appartenance à la collectivité d’accueil, etc.) (Battaglini et coll., 2000). Plusieurs chercheurs québécois se sont intéressés à ce phénomène. Par exemple, Rinfret (2007), Bérubé (2004), Battaglini et coll. (2000), Legault et Lafrenière (1992), Alvarado et coll. (1994, 1991), Gravel (1986) ont tous travaillé sur le soutien apporté en contexte de maternité aux femmes immigrantes et sur l’expérience parentale des migrants. Tandis que Landry (2004) et Guberman (1993) ont travaillé sur la relation entre le soutien social et la dépression postpartum des mères immigrantes, Séguin (1993) a étudié cette relation chez les mères québécoises. Récemment, Le Gall et Fortin (2014) se sont intéressées à la négociation dans la rencontre soignant-soigné et à l’incidence du fait religieux sur les relations entre les familles musulmanes maghrébines de Montréal et les professionnels de la santé. Elles soulignent également que les mères immigrantes valorisent le savoir des intervenantes et qu’elles n’hésitent pas à utiliser Internet et consulter les membres féminins de leur entourage par Skype pour avoir accès au savoir

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traditionnel. Ces démarches sont aussi utilisées afin d’obtenir du soutien de la part des membres de leur famille qui sont restés dans leur pays d’origine.

Quant à ce mémoire, il s’inscrit dans la perspective de mieux cerner les besoins en matière de soutien des mères immigrantes d’origine maghrébine installées à Montréal. Plus précisément, il s’agit d’approfondir les connaissances à propos de leurs attentes et de cerner l’apport de l’expérience périnatale dans la construction d’un réseau de soutien. Dans le premier chapitre de ce mémoire, nous décrirons le contexte de cette recherche ainsi que la problématique de l’expérience de la maternité en contexte migratoire. Puis, nous exposerons dans le second chapitre le cadre conceptuel qui sous-tend la problématique, de même que les objectifs et les questions de cette recherche. Le troisième chapitre présentera la méthodologie employée pour la collecte de données et l’analyse de celles-ci, l’échéancier de la recherche, les contraintes de terrain et les limites de l’analyse ainsi que les considérations éthiques. Le chapitre quatre est réservé à la présentation de l’analyse des données, il se décline en quatre parties : le parcours migratoire, la phase prénatale (et la phase d’établissement), l’accouchement et la phase postnatale et enfin une section sur l’évolution du réseau de soutien. Nous terminerons par une conclusion générale qui proposera des pistes futures de recherche et de réflexion.

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Chapitre 1

Contextualisation : Immigration maghrébine et périnatalité en exil

Ce chapitre présente le contexte dans lequel s’est développé ce mémoire de maîtrise. Ainsi, dans la première section, un portrait de l’immigration maghrébine et des politiques d’immigration du Québec est présenté. Puis, ce sont le profil des immigrants maghrébins ainsi que les quartiers principaux à l’étude qui seront présentés. La seconde section de ce chapitre aborde l’expérience de maternité des immigrantes et les facteurs de fragilisation que les immigrants et immigrantes éprouvent lors du processus de migration ainsi qu’un bref aperçu des ressources et des services offerts aux femmes immigrantes sur l’île de Montréal.

Depuis la fin des années 1990, les statistiques québécoises indiquent une augmentation de nouveaux arrivants provenant de l’Afrique du Nord, plus précisément du Maghreb1. L’Afrique du Nord occupe le premier rang des régions de naissance avec le cinquième (19,6%) du mouvement d’immigration (MIDIQ, 2015 :7). Ce qui place l'Algérie, le Maroc et la Tunisie aux 3e, 5e et 9e rangs des principaux pays de naissance des immigrants de la province du Québec (annexe 2).

Cette sectiontraitera d’une part du phénomène de l'immigration maghrébine, plus particulièrement de l'histoire des vagues migratoires maghrébines qu'a connues la région de Montréal aux XXe et XXIe siècles. D’autre part, un portrait des Maghrébins admis et les politiques migratoires du Québec seront présentés ainsi que la localisation de ces nouveaux arrivants à Montréal.

      

(14)

1.1 L'immigration maghrébine

1.1.1 Les différentes vagues migratoires aux 20

e

et 21

e

siècles.

 

L’immigration maghrébine de Montréal est récente et se divise en deux phases. La première phase d’installation remonte au milieu des années 1950 et s’est échelonnée jusqu’aux années 1970, elle concerne principalement les juifs séfarades marocains. L’arrivée de ces immigrants à Montréal s’explique par une situation d’instabilité politique, caractérisée par « la colonisation et l’établissement d’un protectorat français au Maroc2, l’indépendance du Maroc en 19563, la création

de l’État d’Israël en 1948 » (Cohen, 2010 :34), et de la fermeture des frontières européennes, notamment françaises, pour ces immigrants (Cohen, 2010; Abouzaïd et Asal, 2013). Le Québec francophone devient une des destinations de choix pour ces migrants. L’immigration maghrébine dans les décennies 1960 et 1980 est un phénomène marginal pour le Québec, ce sont les juifs marocains qui viennent s’installer au Québec, ils ne sont que 7995 à s’être établis dans la province entre 1960 et 1991 (Cohen, 2010).

La deuxième phase d’arrivée massive de migrants issus du Maghreb débute à la fin des années 1990 et se poursuit dans les années 2000. Durant cette période, la majorité des nouveaux arrivants sont de confession musulmane, originaires du Maroc et d’Algérie (Garneau, 2008; Abouzaïd et Asal, 2013). À la fin des années 1990, le contexte économique et social au Maghreb est caractérisé par un taux de chômage élevé, un « ascenseur social en panne »4, la paupérisation de la classe moyenne, l'immobilisme politique, le prix exorbitant « d'une bonne éducation »5, l'insécurité vécue par les femmes (Garneau, 2008; Dalle, 2007). Dans ce contexte, de nombreux Maghrébins       

2 « [La monarchie marocaine] s’était progressivement mise dans une situation de protectorat. » (Dalle, 2007 :66) 3 L’indépendance du Maroc est déclaré en 1956, mettant fin à quarante-quatre années de protectorat français (Dalle,

2007).

4 L'expression d'« ascenseur social » réfère au concept de mobilité sociale. L’objet d’étude de la mobilité sociale tend à « comprendre le mouvement des individus d’une catégorie sociale à l’autre. » (Laroche, 1997 :167). Par exemple, pour le Dictionnaire de sciences économiques et sociales, « L’école peut être l’instrument d’une mobilité individuelle ascendante. Tous les ans, de nombreux enfants issus des classes populaires bénéficient de cet ascenseur social. » (2008 :369). L’expression d’« ascenseur social en panne » signifie que les moyens que les individus ont pour s’élever au-dessus de la condition sociale de leurs parents ne fonctionnent pas.

5 Une « bonne éducation » scolaire est une expression subjective et dépend de chaque personne; elle peut être basée sur la réputation d’un établissement, des professeurs, ou selon les valeurs et attentes des parents.

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souhaitent quitter leur pays en quête d’une qualité de vie meilleure au Québec6. L'immigration représente donc une stratégie d'ascension sociale pour certains immigrants (Garneau, 2008 :173). Comme nous le verrons dans la section suivante, les nouveaux arrivantssont encouragés à venir s’installer au Québec en raison d’une politique québécoise et canadiennefavorisant les travailleurs qualifiés francophones(Azdouz, 2014; Abouzaïd et Asal, 2013; Vatz Laaroussi, 2008). Au Maroc, « les offensives canadienne et québécoise en matière de recrutement sont d’ailleurs fort visibles, où un véritable marché de l’émigration, soit la venue vers le Canada, s’est déployé : présence de panneaux publicitaires, multiplication d’annonces dans les journaux et magazines, prolifération de bureaux de consultants et d’avocats en immigration et tenue de séances d’information dans les hôtels » (Garneau, 2008 :172).

1.1.2 Le profil des immigrants maghrébins au Québec

 

Cette section vise à apporter un éclairage sur le portrait socio-démographique des immigrants provenant du Maghreb. Le profil de ces immigrants est intrinsèquement lié à la grille de sélection que le Québec a adoptée en 19967. Seule province ayant acquis la compétence de choisir les immigrants qu’elle accueille, le Québec fait le choix de privilégier les immigrants francophones, scolarisés et jeunes : « Depuis une dizaine d’années, les populations maghrébines francophones sont particulièrement visées par les politiques d’immigration québécoises volontaristes à l’égard des jeunes adultes en charge de famille, dotés d’un niveau de diplôme supérieur et d’un bon

      

6 Comme le mentionne une de mes participantes, une meilleure qualité de vie désigne : « une situation politique stable », « meilleur service de santé » et « la liberté, ici, qui n’est pas pareille et le fait que l’on trouve tout ». 7 « C’est dans ce contexte qu’intervient la politique d’immigration du Canada, plus particulièrement depuis l’Accord

Canada-Québec de 1991, lequel confère au Québec davantage de pouvoirs en matière de sélection. En effet, le gouvernement québécois adopte en 1996 une nouvelle grille de sélection des immigrants visant en priorité les « jeunes personnes actives » et les « jeunes familles », les travailleurs qui s’inscrivent dans des professions en demande, les personnes hautement scolarisées ainsi que les francophones. Les pays du Maghreb constituent une région cible » (Garneau, 2008 :172). 

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potentiel économique » (Vatz Laaroussi, 2008 :47). Présentement, le portrait des Maghrébins qui sont établis au Québec reflète ces politiques : ils sont hautement scolarisés8, francisés9 et jeunes10.

Par ailleurs, les Maghrébins sont des immigrants économiques11, dont certains font partie du groupe des gens d’affaires (investisseurs)12. Nous retrouvons également des individus parrains et parrainés (par exemple en situation de réunification familiale), des étudiants étrangers, des parents accompagnateurs d’étudiants ou ayant le statut de réfugié. Au Québec, les migrants maghrébins, pour toutes les catégories d’immigration, s’établissent en majorité dans l’agglomération de Montréal.

Toutefois les Maghrébins, plus particulièrement, sont victimes de déqualification professionnelle, « le taux de chômage atteint, en 2001, 24,1% contre 8,2 % pour l’ensemble des Québécois. Ce taux est aussi nettement à leur désavantage lorsqu’on le compare à celui des autres minorités ethniques et culturelles du Québec » (Vatz Laaroussi, 2008 :52). Au sein de la littérature scientifique en sciences sociales, le phénomène du déclassement professionnel chez les immigrants est de plus en plus documenté (Chicha et Charest, 2013; Chicha, 2013, 2012; Pellerin, 2013; Forcier et Handal, 2012; Blain, Suarez-Herrera et Fortin, 2012; Giroux, 2011; Alaoui, 2011; Boudarbat, 2011; Boudarbat et Boulet, 2010; Lenoir-Achdjian, Arcand et coll., 2009; Vatz Laaroussi, 2008; Zhu et Bélanger, 2006; Blain, 2005; Cardu et Sanschagrin, 2002) et il reposerait notamment sur les préjugés qu’ont les employeurs québécois envers les candidats maghrébins. En

      

8« 41,2% des hommes affichent un très haut niveau de scolarité (17 années et plus). Ce niveau élevé est également observé chez les femmes, où ce niveau de scolarité totalise 36,6 % des admissions » (MICC, 2013 :29-30).  

9 « La quasi-totalité (96,3 %) des membres de la communauté maghrébine connaissent le français ; la moitié (49,7 %) des personnes connaissent à la fois le français et l’anglais, tandis que 46,6 % connaissent uniquement le français » (Portrait statistique de la population d’origine ethnique maghrébine recensée au Québec en 2006).

 

10 « La population d’origine maghrébine affiche une structure d’âge plus jeune que celle de l’ensemble de la population du Québec. Les personnes de moins de 25 ans comptent pour 41,4 % de cette communauté, alors que cette proportion est de 29,5 % dans l’ensemble de la population du Québec. Aussi, 43,9 % des personnes d’origine maghrébine sont âgées de 25 à 44 ans comparativement à un poids relatif de 27,8 % dans la population du Québec. À l’inverse, seulement 14,8 % des membres de la communauté maghrébine sont âgés de 45 ans et plus, alors que cette proportion est de 42,7 % pour l’ensemble de la population québécoise » (Idem, 2006 :4).

11 Voir la définition de chaque statut en annexe 2.

12 « L’Afrique du Nord est la principale région de provenance avec une part totalisant un peu plus du cinquième (22,1%) des admissions de cette catégorie » (MIDIQ, 2014 :18).

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outre, ce sont les femmes immigrantes qui sont les plus touchées par le phénomène de la déqualification professionnelle (Giroux, 2011).

Cette problématique devient un facteur de vulnérabilité de plus que ces nouveaux immigrants doivent affronter. Ajouté au fait qu’elle affecte les hommes et les femmes en âge de travailler, la déqualification professionnelle engendre des tensions au sein des couples et du noyau familial qui dépendent des revenus d’emploi (Vatz Laaroussi, 2008). À ce sujet, Massé (1995) affirme que « les attentes concernant l’avenir, et en particulier l’écart entre ces attentes et la réalité, sont aussi des sources de stress. Les immigrants indépendants qui espèrent améliorer leur situation professionnelle et économique sont souvent déçus. La prévention passe ainsi par une information adéquate et réaliste des émigrants sur les conditions d’intégration au marché du travail existant dans la société d’accueil » (1995 :398).

1.1.3 La communauté maghrébine de Montréal

 

Cette section abordera la situation générale de l'immigration maghrébine à Montréal. Un portrait des quartiers de Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce et Ahuntsic-Cartierville (annexe 4) sera effectué, car ce sont ces deux endroits où les Maghrébins ont privilégié leur installation sur le territoire de l'île de Montréal. Dans ces deux arrondissements où j’ai entrepris la présente recherche, leur présence est visible par l’existenced'épiceries et de boucheries halal, de centres communautaires et de mosquées. En 2013, le Maroc figurait parmi les cinq principaux pays de naissance des immigrants admis au Québec. Selon les données disponibles sur le site Montréal en statistiques et celle du gouvernement du Québec, les Marocains et Marocaines s’installent principalement dans la région métropolitaine de Montréal, précisément dans les quartiers Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce, St-Laurent et Ahuntsic-Cartierville : « Ensemble, ils regroupent près de 20 % de cette population [immigrante] résidant dans l’agglomération de Montréal » (Montréal en statistique, 2010 :4).

Tout comme les Marocains et Marocaines, depuis 1996, il y a eu une augmentation des migrants algériens au Québec. Plus précisément, on compte 21 000 personnes venues s’installer dans les

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dix dernières années (MIDIQ, 2006, 201013). En 2013 et en 201414, l’Algérie figure toujours parmi

les cinq principaux pays de naissance des immigrants admis au Québec. Selon les données fournies sur le site « Montréal en statistiques » et celle du Gouvernement du Québec, les Algériens et les Algériennes s’installent en majorité dans l’agglomération de Montréal (incluant les villes de Laval et de Longueuil). Les trois principaux quartiers d’établissement sont Ahuntsic-Cartierville, Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension et St-Léonard.

La communauté tunisienne au Québec est plus petite que les communautés marocaine et algérienne (voir annexe 2). Toutefois, elle présente les mêmes caractéristiques que les deux précédentes. Les personnes immigrées d’origine tunisienne sont issues d’une immigration très récente puisque plus de la moitié (55,2 %) d’entre elles se sont installées ici au cours des cinq dernières années, soit de 2001 à 2006. La grande majorité (85,8 %) des personnes d’origine tunisienne sont âgées de 15 ans et plus, sont de la première génération, donc nées à l’étranger (Portrait statistique de la population d’origine ethnique tunisienne recensée au Québec en 2006, 2010 :3). Ils seraient 20 000 au Québec, majoritairement installés sur l’île de Montréal (Azdouz, 2014).

Au regard de ce qui précède, le portrait général de la communauté maghrébine de Montréal démontre que les individus y appartenant sont jeunes, scolarisés et s’expriment en français. Ils arrivent en majorité au Québec en tant que travailleur qualifié ou parrainé. En prenant en considération leur nombre croissant et l’âge moyen de cette immigration récente, il m’importe de m’intéresser à l’un des projets de vie auquel certains de ces immigrants aspirent, soit leur projet de fonder une famille.

1.2. Périnatalité en exil : un double processus de vulnérabilité

Dans un contexte migratoire, l’expérience de la parentalité15 est soumise à un double processus de vulnérabilité, d’une part, à travers le parcours migratoire et d’autre part, par l’arrivée d’un bébé.       

13 http://www.midi.gouv.qc.ca/publications/fr/recherches-statistiques/PUB_Presence2014_admisQc.pdf

14 http://www.midi.gouv.qc.ca/publications/fr/recherches-statistiques/PUB_Presence2014_admisQc.pdf.  

15 « Le terme de « parentalité » est un néologisme officialisé dans les années 1980 et présenté dans la langue

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Ces événements sont les sources de fragilisation rendant les migrants vulnérables entre autres à la maladie physique, mentale et à la détresse émotionnelle. Ce processus découle de nombreux facteurs qui font partie du parcours prémigratoire et postmigratoire. Ces facteurs sont de diverses natures, telles que psychologique, matérielle, monétaire ou culturelle. La vulnérabilité peut être vécue à différents niveaux et son intensité varie d’une personne à l’autre. La prochaine section explorera donc l’impact du parcours migratoire chez les mères immigrantes ainsi que les facteurs fragilisant liés à l’expérience de la périnatalité16.

1.2.1 Les facteurs de vulnérabilité due au parcours migratoire

 

Tout d’abord, il y a une première fragilisation de l’individu qui est provoquée par le processus migratoire. Le processus migratoire fait référence au processus décisionnel de l’individu à quitter son pays, aux démarches entreprises à cette fin jusqu’à l’établissement dans le pays d’accueil. Dès le début du processus, les immigrants sont soumis à l’attente et aux doutes. Ensuite, le départ signifie des deuils à faire, des changements d’emploi, de routine, et une adaptation à la société d’accueil, et entre autres, à ses systèmes tels que celui de la santé.

Par ailleurs, les individus se distinguent par les conditions de départ dans lesquelles le projet migratoire prend forme. Ce sont également ces conditions de départ qui sont la racine des facteurs de vulnérabilité des individus. À ce sujet, la littérature traitant des parcours migratoires illustre une distinction importante entre un départ volontaire et un départ involontaire (Helly, Vatz-Laaroussi et Rachedi, 2001; Battaglini, et coll., 2000, Massé, 1995; Bibeau et coll., 1992, Kroll et coll., 1991). Un départ volontaire et désiré est planifié par les immigrants. Celui-ci peut prendre place, par exemple, dans une perspective d'amélioration d’une situation personnelle ou professionnelle. Ces projets sont investis par la volonté, les ressources disponibles et les motivations des migrants.       

2001) ou « fonction de parent, notamment sur les plans juridique, moral et socioculturel » » (Larousse, 2000) (Lamboy, 2009 :3).

16 Cette période couvre le moment à partir duquel la femme commence une grossesse et s’étend jusqu’à un an après

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Aussi, tel que le souligne Marie-Rose Moro (1994), la « migration sera vécue différemment selon la personnalité, […], selon le fait qu'elle soit désirée ou subie (consciemment ou inconsciemment), et selon aussi le niveau social d'origine » (Moro, cité dans Yahyaoui, 1994 :99). Ces caractéristiques propres à chacun influencent l'expérience de la migration et de l'intégration au pays d'accueil, car malgré le fait que le départ soit volontaire, les immigrants font face à une perte de repères culturels et de ressources matérielles, humaines, financières, etc. Pour ce qui est du départ involontaire, il est caractérisé par un manque fréquent de planification, et tout comme le départ volontaire par la perte des ressources et des repères. Par exemple, selon leur situation, certains réfugiés ne parlent ni l’anglais ni le français et à cela s’ajoute des expériences traumatiques (torture, viol, etc.) qu’ils ont vécues dans leur pays d'origine (Rousseau et coll., 1997, 2001) Dans d’autres cas, ils vivent dans l’angoisse de la guerre qui sévit dans leur pays et leurs pensées vont aux membres de leur famille restés dans celui-ci. En plus de devoir s’adapter à la société d’accueil, à la langue et l’environnement, les demandeurs d’asile et ceux qui tentent de faire parrainer un membre de leur famille vivent aussi l’angoisse de l’attente d’un statut.Somme toute, ce sont toutes les personnes immigrantes qui sont soumises à un stress lors de leur projet migratoire.

En ce qui concerne les conditions et les expériences postmigratoires, Massé (1995) relève quelques facteurs qui peuvent venir fragiliser un migrant, ou au contraire, peuvent devenir des facteurs de protection : les politiques et les services d’intégration aux immigrants, les attitudes de la population d’accueil envers les immigrants, les conditions d’existences de ceux-ci, le degré de pauvreté, la présence de la communauté d’origine, la maîtrise de la langue d’usage dans le pays d’accueil, l’isolement, etc. En outre, dans la section précédente, il a été souligné que la déqualification professionnelle touche particulièrement les personnes du Maghreb, celle-ci est également perçue comme étant un facteur de fragilisation individuel mais aussi du couple et de la famille. D’ailleurs, selon les résultats de Landry (2004) l’argent est le facteur stressant qui arrive en tête de liste chez les mères immigrantes de Québec. Enfin, Battaglini et coll. (2001) affirment que « pour les mères immigrantes, les éléments fragilisant prennent ancrage dans le contexte et les événements associés au parcours migratoire. Elle met ainsi en relief que la vulnérabilité des mères immigrantes n’est pas pareille à celle des femmes nées ici et que la source de leur vulnérabilité est bien souvent circonstancielle, se situant en aval du parcours migratoire » (2001 :8).

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1.2.2 Les facteurs de vulnérabilité découlant de l’expérience de la périnatalité

en exil

 

À l'expérience de migration s'ajoute celle de la périnatalité et des bouleversements que l’arrivée d’un bébé peut provoquer. Cette expérience, même en dehors du cadre migratoire, est une situation qui fragilise particulièrement la femme, peu importe sa situation socio-économique ou son origine, notamment par la perte de mobilité, le manque de sommeil, des changements physiques et hormonaux avec lesquels la mère doit composer, etc. (Dandurand et Ouellette, 1992; Moro, 1994; Battaglini, 2000). Dandurand et Ouellette (1992) estiment qu’il y a des périodes de la vie qui requièrent plus de soutien que d’autres, l’arrivée d’un enfant en fait partie. En effet, c’est une situation-clé où le besoin de soutien va s’exprimer davantage chez les nouvelles mères. Le réseau de soutien17 des parents est alors sollicité pour maintenir ou assurer leur bien-être face à la croissance des besoins psychologiques, matériels et physiques qu’entraîne l’arrivée du bébé. Chez les Maghrébins, l’importance de l’entourage féminin est très marquée, car les soins apportés au bébé et à la mère font partie de la sphère féminine et la nouvelle maman a coutume de demander de l’aide à sa mère ou tout autre membre féminin de son entourage telle qu’une sœur ou une cousine proche (Sokraf, 1994; Ben Ammar, 1994; Moro, 1994, 2008, 2010; Obermeyer, 2000a, 2000b; Capelli, 2011).

C’est ainsi que la migration peut accentuer la fragilité de la mère lors de la période de périnatalité par la perte du réseau social ou d’une partie de celui-ci. Ces femmes se retrouvent donc avec moins de ressources et de support à leur disposition que si elles étaient restées dans leur pays (Duval, 1992; Séguin et coll., 1993; Moro 1994; Heneman et coll., 1994; Battaglini et al, 2000, 2002). En effet, Battaglini et son équipe de recherche (2000, 2002a, 2002b) identifient certains facteurs de vulnérabilité des mères immigrantes tel que l’isolement, la pauvreté, la faiblesse du réseau de soutien, la méconnaissance des services de santé ou les troubles émotifs. À ce sujet, plusieurs études ont démontré que l’isolement social des femmes immigrantes est le facteur de vulnérabilité

      

17 Le réseau de soutien correspond à « un sous-ensemble du réseau social, vers qui la personne se tourne (ou pourrait

se tourner) pour obtenir de l’aide » (Vaux, 1988 cité dans Beauregard et Dumont, 1996). Le concept sera approfondi au chapitre suivant.

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qui affecterait le plus les capacités maternelles18 (Stork, 1986; Heneman et coll., 1994; Moro, 1994, 2008; Battaglini et coll., 2000). En outre, d’autres recherches ont démontré que les mères immigrantes rencontrent plus particulièrement des problèmes d’anxiété, de stress, de fatigue, de dépression et d’isolement dus à l’expérience d’immigration (Alvarado et coll., 1991; Duval, 1992; Legault et coll., 1992; Moro, 1993; Guberman, 1993; Battaglini et coll., 2000).

 

D'autres chercheurs provenant de diverses disciplines ont contribué à documenter et analyser la période de la périnatalité en exil. Ils ont documenté les représentations de la maternité selon les cultures, la transmission des soins et des habitudes entre parents et enfants, la maternité chez les immigrantes et leur relation avec leur enfant et leur entourage dans un cadre transculturel (Sork, 1986; Moro, 1994, 2008, 2010). Toutes ces études ont démontré qu'il y a de nombreuses façons d'être parents, que chacun possède ses représentations culturelles, ses façons de dire et de faire autour de la grossesse. Les recherches menées au Québec, dont celles de Battaglini et coll. (2000, 2002a, 2000b) portant sur la paternité et la maternité chez les immigrants, soulignent que confrontés à un nouveau milieu culturel et social, isolés de leur réseau de soutien pour certains, ou face à un questionnement identitaire, les parents doivent ajuster leur rôle au sein du couple et réinventer leur parentalité respective.

Les travaux ethnopsychiatriques de Moro et coll. (2008) documentent aussi les tensions et les problématiques que les mères en exil rencontrent durant leur expérience de périnatalité. Les recherches de Moro (1994a, b), psychiatre spécialisée en ethnopsychanalyse auprès des parents et enfants migrants, exposent plusieurs problématiques qui résultent de rencontres cliniques (Yahyaoui, 1994). L’une d’entre elles concerne les manières de faire médicales entourant la périnatalité qui ne correspondent pas nécessairement aux valeurs et aux habitudes des mères immigrantes, et qui peuvent être traumatiques. Par exemple, l’échographie qui peut être contradictoire à une volonté de ne pas révéler la grossesse à autrui. Une autre problématique soulevée par Moro (2008) concerne la solitude et la perte d'accompagnement par le groupe qui entraîneraient dans certains cas l'impossibilité de donner un sens culturellement acceptable aux dysfonctionnements et entraîneraient donc des effets négatifs sur la relation entre la mère et son       

18 Selon les auteurs, les capacités maternelles référent à la prise en charge du bébé par la mère et la capacité de répondre

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bébé ou à l'égard de sa grossesse ou de son accouchement. Ainsi, selon l'auteure, ce serait le processus de portage19 et de construction de sens qui sont affectés par la migration. Selon Moro, « la grossesse et l'accouchement en situation migratoire réactivent la perte du cadre ». Ces femmes seraient donc plus vulnérables à la tristesse, aux doutes, au sentiment d'incapacité et aux interactions mère-bébé disharmonieuses (Moro, 2009 :283). 

 

Par conséquent, ces femmes doivent se (re)construire un réseau de soutien et trouver des stratégies qui leur permettront de gérer cette période plus exigeante de leur vie. Nous estimons qu’il est important de se pencher sur la période de périnatalité, car elle représente un moment de fragilité pour toutes les femmes qui la traversent autant sur le plan physiologique que psychologique. 

1.3. Les services périnataux offerts aux personnes immigrantes sur l’île de

Montréal

 

Dans certains quartiers de Montréal, des organismes communautaires, des cliniques transculturelles et des services spécialisés ont vu le jour pour répondre aux besoins des familles immigrantes. D’autres programmes ne sont pas exclusivement réservés aux immigrantes mais également aux personnes d’origine québécoise en situation économique précaire20.  

 

Les Maisons Bleues21, situées dans les quartiers de Côte-des-Neiges et de Parc-Extension, offrent plusieurs services et se spécialisent auprès de la clientèle immigrante. Cet organisme a comme mission de soutenir la femme durant tout le processus de la grossesse, en offrant des suivis prénataux et postnataux (rencontres prénatales, suivi de santé auprès des enfants, vaccination,       

19 Traditionnellement la grossesse est un moment initiatique où la future mère est nécessairement portée par les femmes du groupe : accompagnement, préparation aux différentes étapes, interprétation des rêves… (Moro, 1994)

20 Pour Wresinski (1987 :14), « La précarité est l'absence d'une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et aux familles d'assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux. L'insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. »

 

21 Les Maisons Bleues sont des partenaires du réseau de la santé et des services sociaux de l’île de Montréal offrant des services de périnatalité sociale aux mères et aux familles vivant dans des contextes qui les rendent vulnérables.

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ateliers parents-enfants). Les intervenants qui travaillent dans ces deux maisons font aussi de la prévention ciblant les complications durant la grossesse. Cet organisme a pour philosophie d’offrir aux femmes « un cadre porteur qui respecte leur autonomie et où elles peuvent prendre appui pour porter leur enfant dans le monde. Cependant, il existe d’autres lieux comme les CSSS de Côte-des-Neiges et d’Ahuntsic-Cartierville qui offrent des soins aux enfants, ainsi qu’un suivi aux jeunes familles (des séances d'informations, la distribution des coupons OLO22, etc.). Un soutien à l’allaitement (marraines d'allaitement) et un suivi avant et après naissance sont également offerts. En outre, des organismes travaillent en partenariat avec les CSSS, tels que le Baobab Familial (Côte-des-Neiges), Halte-répit et Autour du bébé (Ahuntsic) ont comme mission d'être des lieux de soutien, d'entraide autour de la mère et de la famille. Ils offrent comme services des haltes-répit, des séances d'allaitement collectives, des ateliers de couture ou d'arts, des cours pour les enfants en bas âge et des cours de francisation pour les parents.

      

22 OLO désigne Œuf-Lait-Orange, c’est un programme provincial qui a pour but de donner gratuitement des aliments essentiels ainsi que des suppléments de vitamines et de minéraux à toutes femmes enceintes qui ont un faible revenu.

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Chapitre 2 Le cadre conceptuel

Le réseau social et le soutien social

Le cadre conceptuel de ce mémoire s’inscrit dans une perspective anthropologique de la santé empruntant des concepts initiés dans cette discipline, mais largement repris par la suite par les disciplines de l’ethnopsychiatrie et de la psychologie. Plus précisément, ce chapitre s’articule principalement autour de deux concepts soit celui de réseau social et de soutien social. Ces concepts sont pertinents car ils ont été abondamment utilisés pour comprendre entre autre les phénomènes de migration ou de diaspora (Lyman, 1985; Duval, 1992; Delaunay et Lestage, 1999; Streiff-Fénart, 1999; Gill et Bialski, 2011), de négociation de l’identité et des rôles dans ces contextes23 (Plaza, 2000; Montgomery, Mahfoudh et coll., 2010; Pantea, 2011; Skandrani, Taïeb et Moro, 2012) et pour mieux saisir l’expérience de parentalité en contexte migratoire (Battaglini et coll., 2000; 2002a, 2002b; Moro, 2009). Puisque ce chapitre explore les concepts de réseau social et de soutien social, il sera essentiellement consacré à une revue de la littérature portant sur la définition, les dimensions, les limites et les outils de mesure des concepts de soutien social et de réseau de soutien. C’est également à travers ce chapitre que les choix théoriques retenus pour cette recherche seront explicités.

2.1 Le réseau social

 

Le concept de réseau social s’est développé dans les années 1950 par l’anthropologue John Barnes (1954) qui évoqua pour la première fois, dans son travail, le concept de « network ». Par définition, ce concept de réseau désignait les liens qui transcendent les frontières des groupes institutionnels ou des catégories sociales. Sur son terrain, il observa que le réseau des personnes interrogées dépassait les frontières paroissiales, communautaires et professionnelles. Toutefois, le concept couvre une multiplicité de facettes de la réalité sociale d’une personne ou d’une communauté.       

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Selon l’approche choisie, il peut définir, les liens structuraux entre ego et un groupe de personnes, les liens d'un groupe à un autre, ou être fondé sur le territoire, sur l'occupation professionnelle, ou comme Barnes (1954) a fait, sur la parenté, l'amitié ou la classe sociale. Le concept de réseau a également été utilisé par des anthropologues tel que Lévi-Strauss (1958), pour documenter la structure et la place de la famille, des amis, du voisinage, de la communauté, dans la société au sens large. Pour Pierre Bourdieu (1980), ce concept prend une toute autre dimension, car celui-ci est intimement imbriqué à sa notion de capital social qui est : « l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’inter-reconnaissance; ou, en d’autres termes, à l’appartenance à un groupe, comme ensemble d’éléments qui ne sont pas seulement dotés de propriétés communes (susceptibles d’être perçues par l’observateur, par les autres ou par eux-mêmes) mais sont aussi unis par des liaisons permanentes et utiles » (Bourdieu, 1980 : 2). De fait, pour le sociologue, les acteurs utilisent les relations sociales comme ressources pour atteindre leurs buts, celles-ci sont donc considérées comme faisant partie du capital social dont les acteurs disposent (Kamanzi, 2006). Dans cette perspective, le concept devient plus intéressant que la simple description du réseau social entourant une personne. Plus récemment, la théorie des réseaux sociaux a été utilisée pour l’analyse de phénomènes sociaux tels que la toxicomanie, la marginalisation, le vieillissement, la migration, etc. (Bantman, 2004). Découlant de ces recherches, un lien naturel s’est développé entre les concepts de réseau et de soutien. Aussi, dans la section 2.5 de ce chapitre, le terme de réseau de soutien sera retenu et le choix de ce terme dans le cadre de ce travail sera justifié.

 

2.2 Le soutien social : une définition

 

Le soutien social est un concept qui fait l’objet d’une riche littérature. Dès les décennies soixante-dix et quatre-vingt, de nombreux travaux, notamment en psychologie, en sociologie, en anthropologie et en épidémiologie ont été lancés sur les relations entre les liens sociaux et la santé (Tousignant, 1988; Caron et Guay, 2006). À cette époque, plusieurs études soulignent alors l’existence de rapports entre le soutien social, la santé psychologique (Caplan et Killilea, 1976; Andrews et al., 1978; Mueller, 1980; Bell, 1981; Leavy, 1983; Biegel et al., 1984; Cohen et Wills,

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1985; Kessler et McLeod, 1985; Kessler, Price et Wortman, 1985) ainsi qu’avec la santé physique (Bozzini et Tessier, 1985). Le concept de soutien social est alors vu comme un déterminant important de la santé. Les premiers travaux adoptent une approche objective et quantitative en s’intéressant principalement au « nombre de personnes présentes [qui composent le réseau], au type de soutien offert, à la source d’aide, à la quantité d’aide reçue et la fréquence à laquelle l’aide était fournie. » (Devault et Fréchette, 2002: 4).

Par la suite, les chercheurs se sont aussi intéressés à la dimension subjective du soutien tel que la satisfaction et la disponibilité de l’aide reçue du point de vue de ceux qui en reçoivent (Barrera, 1986; Vaux et al., 1986; Streeter et Franklin, 1992; Pierce, Sarason et Sarason, 1996). Des recherches qualitatives ont été menées et elles ont conclu que la dimension subjective du soutien démontre « davantage de liens significatifs avec l’impact sur la santé que des mesures objectives comme le nombre de personnes dans le réseau ou la quantité d’aide reçue. » (Devault et Fréchette, 2002: 5). L’approche qualitative permet donc une meilleure compréhension du phénomène en saisissant la qualité et la satisfaction des liens et du soutien apportés plutôt que de tenter de le quantifier. Elle permet aussi de remettre le soutien dans son contexte culturel (Jacobson, 1987; Tousignant, 1988).

Malgré la diversité des définitions du concept et la manière de l’aborder, deux points font consensus dans la littérature. Le premier est le caractère interactionnel du soutien, précisément, le lien entre le donneur (individu) et le bénéficiaire (communauté ou individu) (Boucher et Laprise, 2001). Les recherches précisent que ces interactions peuvent être autant positives que négatives (Tousignant, 1988; Dandurand et Ouellette, 1992; Pierce, Sarason and Sarason, 1996; Battaglini et coll., 2000; Boucher et Laprise, 2001). Felton et Shinn (1992) soulignent l’importance de considérer « le soutien social avant tout comme une caractéristique des réseaux sociaux ou des communautés et non des individus eux-mêmes. Il peut ainsi être présenté comme un facteur environnemental, présent dans les différents systèmes sociaux dans lesquels les individus s’inscrivent, et qui interagit avec eux pour leur fournir force, confiance et sentiment d’appartenance » (cités dans Boucher et Laprise, 2001 :123).

Le deuxième point en commun des travaux est l’accord portant sur l’aspect multidimensionnel du concept de soutien social (Beauregard et Dumont, 1996; Boucher et Laprise, 2001). Au terme de leur recension de la littérature, des auteurs comme Beauregard et Dumont (1996) identifient trois

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grandes dimensions du soutien social. Ces dimensions sont : les comportements de soutien (ou les fonctions du soutien), l’appréciation subjective (les perceptions) du soutien et le réseau de soutien. Ces dimensions font chacune l’objet d’une section dans ce chapitre.

La définition du soutien social retenue, dans le cadre du présent mémoire, est celle de Boucher et Laprise (2001), ces auteurs ont développé une définition et un modèle intégrant les principales dimensions du soutien existant dans la littérature. Selon eux, le soutien social : « fait référence au résultat de l’intégration sociale d’un individu dans différents réseaux (structure) qui lui fournissent un appui affectif, matériel, cognitif et normatif (fonctions), et qui contribue à des perceptions sociales satisfaisantes » (2001 :124). Ces auteurs proposent une définition précise et une façon d’opérationnaliser le concept selon les dimensions que peut prendre le soutien social.

2.3 Le rôle du soutien social et ses effets

À la lumière de ce qui précède, il importe de mentionner l’impact du soutien sur les bénéficiaires. Les études en psychologie (voir Tousignant, 1988) ont démontré le rôle positif que le soutien apporte sur la santé mentale et physique. En revanche, les chercheurs ont encore beaucoup de mal à saisir les mécanismes qui sous-tendent le phénomène (Barrera, 1986, Tousignant, 1988). Afin de mieux le comprendre, deux principaux modèles théoriques retiennent l’attention, soit le modèle d’effet protecteur direct du soutien social et le modèle d’effet indirect contre le stress. Le premier modèle avance l’hypothèse d’un effet direct sur la santé et le bien-être, et ce indépendamment des conditions de stress (Guay et Caron, 2005 :18). Ce modèle soutient aussi que « le réseau social permettrait d’offrir des expériences positives régulières et un ensemble de relations sociales stables et renforçantes. Ce type de soutien, en permettant l’obtention d’affects positifs, de stabilité et de sécurité, favoriserait un sentiment général de bien-être » (Cassel, 1976; Thoits, 1985 cités dans Guay et Caron, 2005: 18). Selon les auteurs, le réseau social permettrait aussi de favoriser l’estime de soi et la reconnaissance de la valeur personnelle. Malgré le fait que ce modèle se veut indépendant des éléments du stress, plusieurs auteurs s’accordent pour affirmer que les deux modèles sont complémentaires (Guay et Caron, 2005).

Le second modèle proposé par Cobb (1976) est celui des effets indirects, il avance l’hypothèse du « stress buffering effect ». Le soutien aurait la propriété d’atténuer les conséquences négatives

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associées au stress tel un tampon. Ce modèle explicatif propose que le soutien joue un rôle médiateur entre l’événement stressant et la santé, et ce, de trois façons. D’abord, l’aide agirait de manière positive sur les perceptions qu’a l’individu de son environnement (la disponibilité et la présence de ressources autour de lui) et de sa capacité à affronter l’adversité. Ensuite, le soutien interviendrait au niveau de « la réponse émotive liée à l’événement stressant et sur l’évaluation de ses conséquences. Le soutien des proches atténuerait l’impact du stress en offrant des solutions aux problèmes de l’individu. » (Guay et Caron, 2005: 20). Aussi, le soutien atténuerait le stress en agissant directement sur les « processus physiologiques » (Cohen et Wills, 1985, cité dans Guay et Caron, 2005). Le soutien aurait également « un effet préventif sur les troubles psychologiques, particulièrement en période de stress » (Gottlieb et Selby, 1989 cités dans Devault et Fréchette, 2002 : 7). Le travail de Cobb (1976) démontre que c’est la dimension subjective de l’aide qui est liée à l’effet modérateur du stress. Les auteurs Guay et Caron (2005) soulignent l’apport des travaux de Weiss (1973) à la compréhension de l’importance des relations sociales dans le maintien de l’équilibre de la santé. Ainsi, selon Weiss (1973) les relations sociales jouent un rôle quant à « l’intégration sociale, l’occasion de se sentir utile et nécessaire, la confirmation de sa valeur et l’acquisition d’aide concrète et matérielle » (Guay et Caron, 2005 :17). À partir de leurs recherches, Cutrona et Russell (1990) bonifient la théorie d’atténuation du stress en soulignant que le soutien est optimal lorsque celui-ci est approprié à l’événement stressant qui lui est associé.

2.4 Les comportements de soutien

 

Les comportements de soutien représentent l’une des dimensions du soutien social. Ils désignent le soutien reçu, donc « l’ensemble des actions ou des comportements qui fournissent effectivement de l’aide à la personne » (Barrera, 1986, cité dans Beauregard et Dumont, 1996 :59). Les comportements de soutien font l’objet d’une classification afin de mieux comprendre la fonction de chaque type de soutien. Cependant, les catégories de soutien font l’objet d’une diversité d’interprétations. À travers une revue de littérature, Beauregard et Dumont (1996) et Boucher et Laprise (2001) ont tenté de cerner les principales catégories. Trois catégories de soutien émergent : il s’agit du soutien instrumental, du soutien informatif et du soutien émotif.Le soutien instrumental fait référence à toute forme d’aide tangible (les corvées, les soins du bébé), matérielle ou

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monétaire. Le soutien informatif inclut les informations, les avis et les conseils qui peuvent être relatifs à la santé, à l’éducation, aux soins du bébé, au logement, etc. Quant au soutien émotif, celui-ci réfère au sentiment d’être écouté, au partage de sentiments tels que l’empathie, l’amour, la confiance. Toutefois, contrairement aux catégories précédentes, le soutien émotif ne fait pas consensus dans la littérature. Certains auteurs y incluent le soutien normatif, d’estime, de reconnaissance ou d’affirmation (qui contribuent au renforcement de l’estime de soi, à l’adoption de comportements adaptés aux situations) et le soutien de socialisation (qui est le fait de passer du bon temps entre amis) (Boucher et Laprise, 2001).

Pour ce mémoire, une catégorisation inspirée du travail de Battaglini et coll. (2000) est retenue, car elle est simple, précise et n’exclut pas la complémentarité des catégories. Cette typologie propose une distinction entre le soutien instrumental et le soutien matériel. Ainsi le soutien instrumental désigne les gestes concrets d’aide tandis que tout ce qui concerne les objets matériels et les dons monétaires sont inclus dans la catégorie du soutien matériel. Les formes de soutien émotif, normatif et de socialisationsont incluses dans la catégorie du soutien moral. Ce dernier inclut donc le fait de pouvoir socialiser et de s’épanouir grâce aux relations avec les autres. Le tableau suivant résume ces catégories qui caractérisent le soutien social :

Tableau 1. Types de soutien reçus et leurs exemples

(Source : Modification personnelle inspirée de la classification de Battaglini et coll. (2000))

Cohen et Wills (1985) soulignent que le type de soutien doit être pris en compte dans une recherche. Selon les auteurs, « le contexte spécifique de l’aide joue un rôle dans son efficacité; ainsi, selon le contexte de la situation, certains types de soutien peuvent être inappropriés » (Beauregard et Dumont, 1996:61). Cette affirmation est appuyée par le travail de recherche de l’équipe de Battaglini (2000), auprès des mères immigrantes, qui dévoile que le type de soutien

Types de soutien Exemples

Soutien matériel Prêts ou dons de vêtements et d’accessoires pour bébé, dépannage alimentaire et soutien financier, etc.

Soutien instrumental Ménage, courses, repas, lavage, soins et garde du bébé, etc. Soutien moral Pouvoir se confier (avoir de l’écoute), parler, avoir des visites ou

faire des activités avec cette personne, etc.

Soutien informatif Toutes formes d’informations et de conseils sur la santé de l’enfant, sur les sources de revenu possibles, et sur les services de santé.

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instrumental (corvées et soins au bébé) est le plus apprécié. Tandis que le travail comparatif de Séguin et coll. (1993) auprès de femmes favorisées et défavorisées de Montréal conclut qu’en plus du soutien instrumental, elles « ont spécialement besoin d’informations adaptées, de soutien émotif et aussi de soutien approbatif, […], qui peuvent avoir un effet protecteur pour leur santé mentale » (1993 :222). De plus, pouvoir identifier spécifiquement le type de soutien que les mères immigrantes recherchent peut permettre d’améliorer l’intervention des organismes communautaires et de santé.

Weiss (1974) ajoute que les comportements de soutien sont plus efficaces selon la présence de certaines composantes au sein des relations entre l’aidant et l’aidé.Il s’agit de l’attachement, c’est-à-dire, une relation à travers laquelle la personne vit un sentiment de sécurité ou de protection. Il s’agit aussi de l’intégration sociale : le réseau de relations à travers lequel la personne partage des activités. Ensuite, les relations doivent présenter un renforcement de l’estime de soi, il faut aussi que ces relations soient fiables, honnêtes et que les acteurs fassent preuve de dévouement (Landry, 2004). Cutrona (1984), pour sa part, ajoute que : « les femmes pouvant se comparer à d’autres femmes vivant une situation semblable à la leur se sentent moins uniques et frustrées, ce qui amoindrit les réactions affectives » (cité dans Landry, 2004 :15).

En résumé, les comportements de soutien ont été catégorisés par les chercheurs dans le but d’analyser plus finement les types d’aides fournies, d’identifier leurs sources, leur fréquence ainsi que la perception qu’ont les bénéficiaires de ces comportements. Les auteurs sont unanimes : le soutien ne se limite pas à ses fonctions ou aux comportements qui le caractérisent et qu’adoptent les membres du réseau de soutien. Ces comportements, pour être efficaces et positifs doivent être considérés dans leur interaction dynamique avec les dimensions subjectives mentionnées par Weiss (1974).

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2.5 Réseau de soutien

2.5.1 Réseau de soutien

 

C’est au sein d’un réseau social, et plus spécifiquement d’un réseau de soutien, que prennent place les comportements de soutien. Le réseau de soutien est défini comme étant le « répertoire de liens qu’un individu possède avec d’autres individus et qui sont susceptibles de lui procurer diverses formes d’aide ou de ressources » (Boucher et Laprise, 2001 :124). Vaux (1988) le définit comme « un sous-ensemble du réseau social, vers qui la personne se tourne (ou pourrait se tourner) pour obtenir de l’aide » (Vaux, 1988 cité dans Beauregard et Dumont, 1996 :58).

Dans le cadre de ce mémoire, le terme de réseau de soutien sera privilégié car, comme le mentionne Wellman (2008) avec pertinence, les concepts de soutien et de réseau se superposent sans toutefois converger. Ainsi, il peut y avoir présence de réseau chez une personne, mais celle-ci ne garantit pas celle de soutien. Dans certains cas, le réseau peut devenir un fardeau ou avoir une influence négative sur la personne. Par exemple, l’ingérence de la famille, de la belle-famille ou encore le fardeau économique que peuvent représenter les membres restés au pays (Battaglini, 2000). Donc, ce ne sont pas tous les membres du réseau d’une personne qui peuvent offrir du soutien. Par conséquent, dans le cadre de ce travail, nous nous intéressons spécifiquement au terme de réseau en tant que réseau de soutien puisque nous nous intéressons aux membres qui apportent du soutien à la mère immigrante.

2.5.2 Les propriétés des réseaux de soutien

 

Beauregard et Dumont (1996) et Barrera (1996) rappellent que le réseau de soutien peut être étudié selon plusieurs angles d’approche. Pierce, Sarason et Sarason (1996) proposent d’aborder le concept de réseau de soutien selon trois dimensions, il s’agit du réseau de soutien (supportive

network), des relations de soutien ou des ressources du réseau de soutien (supportive relationships)

et de la perception du soutien social reçu (perceived social support). C’est à l’intérieur du réseau de soutien que les relations de soutien se concrétisent (Pierce, Sarason et Sarason, 1996). Ainsi, le réseau de soutien désigne plutôt la structure et les liens unissant les personnes tandis que les

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relations de soutien désignent le soutien ou les ressources apportées par ces relations. Pour Vaux (1988, 1992), le réseau de soutien peut se traduire par les ressources offertes, il s’agit de la grandeur, de la structure et des caractéristiques relationnelles propres au réseau de soutien.

2.5.3 Les rôles du réseau de soutien

 

Pierce, Sarason et Sarason (1996) soulignent que les relations de soutien sont « those dyadic social bonds from which individuals are able to derive resources that may aid in coping » (1996 :435). Ainsi, les ressources qu’une personne peut obtenir proviennent des relations qu’elle entretient. De ce fait, ces ressources aideraient le ou la bénéficiaire dans ses stratégies d’adaptation. De ce point de vue, les relations de soutien apportent du soutien actif notamment lorsqu’une personne subit ou a subi une situation stressante. La littérature reflète lesmultiples facettes du soutien apporté par le réseau dans la vie quotidienne des femmes immigrantes. Selon Duval (1992), les réseaux d’entraide jouent un rôle essentiel pour le support, le contrôle des conduites, de médiation des conflits et de sociabilité.

Le réseau pourrait aussi jouer un rôle quant à l’adaptation de ces femmes à la société d’accueil. À ce propos, Bibeau et le comité de la santé mentale du Québec (1992) mentionnaient que la communauté ethnique ou d’appartenance peut être perçue comme une source de référence et de soutien. En effet, pour une personne immigrante, le fait d’aller vers une communauté qui partage la même langue, les mêmes valeurs ainsi que la même culture offre plusieurs avantages, dont le sentiment de sécurité, une aide quant à la recherche d’un logement ou d’un emploi. Ce groupe peut aussi être une source d’information à propos des divers systèmes scolaire, de santé, juridique et de revenus du pays d’accueil. Le travail de Battaglini et coll. (2002) souligne que « la place d’une personne immigrante dans un réseau détermine largement son accès à des ressources et à du soutien. » (2002 :44). Néanmoins, une nuance est apportée par les travaux de Bérubé (2004), elle avance que certains immigrés sont peu enclins à se tourner vers leur communauté, car ils jugent que cela peut nuire à leur intégration dans la société d’accueil.

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L’intégration sociale est aussi utilisée par les chercheurs comme indicateur des ressources du soutien dont une personne peut bénéficier et des liens sociaux entourant celle-ci. À ce propos, Cobb (1976), Barrera (1986) et Streeter et Franklin (1992) avancent que les ressources de soutien équivalent aussi à l’intégration sociale, qui représente les liens ou contacts d’un individu avec les autres personnes significatives de leur environnement. Plusieurs mesures de l’intégration sociale ont été créées afin d’avoir un aperçu de ces liens sociaux. Par exemple, le statut matrimonial, le statut d’emploi, l’appartenance à des groupes formels ou informels ou la participation à des organisations communautaires (Beauregard et Dumont, 1996). Ces indicateurs peuvent aussi refléter les ressources potentielles auxquelles un individu peut accéder en cas de besoin.

2.6 La perception subjective du soutien

 

Cette dimension du soutien social découle des recherches faites selon la perspective des modèles cognitifs de stress et de stratégies d’adaptation. Pour Barrera (1986), « l’approche perceptive renvoie à l’évaluation cognitive, à la perception d’être connecté aux autres » (cité dans Boucher et Laprise, 2001 :129). Buchanan (1995) mentionne, pour sa part, que le soutien serait lié à une expérience personnelle plutôt qu’à un ensemble de circonstances objectives (cité dans Beauregard et Dumont, 1996 :60). En quelques mots, Beauregard et Dumont (1996) résument la portée de la perception au sentiment d’avoir suffisamment de soutien, la satisfaction à l’égard du soutien reçu, la perception selon laquelle les besoins sont comblés et peuvent être comblés, la disponibilité, la confiance et l’adéquation de l’aide apportée. Dans cet ordre idée, selon Pierce, Sarason et Sarason (1996), la perception du soutien social signifie « the general perception that others are available and desire to provide assistance should the individual need it. » (1996 :435). La perception du soutien social ne se limite pas au soutien reçu, elle englobe au-delà de l’aide, l’attitude de l’entourage, sa disponibilité et la confiance qu’il apportera de l’aide en cas de besoin. C’est ce qui est retenu dans le cadre de ce mémoire. Un exemple est apporté par Boucher et Laprise (2001), « une personne peut posséder un réseau social restreint et se voir offrir peu de soutien, tout en ayant une perception élevée de soutien » (2001 :129).

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La perception subjective du soutien varie selon de nombreux facteurs qui concernent l’individu tels que les valeurs, la culture, les expériences vécues dans le pays d’origine, les attentes envers le pays d’accueil, les sources d’aide et le type d’aide, l’état émotif et la vulnérabilité dus aux contraintes de la migration, etc. Dans un contexte d’immigration, la perception des mères immigrantes peut être influencée également par les étapes du parcours migratoire (Battaglini et coll., 2000); en commençant par les motivations qui entourent le choix de migrer et le contexte migratoire. Selon l’analyse de Battaglini et coll., (2000) c’est une vision marquée par les gains et les pertes liés à leur migration qui teinte leur perception. Par exemple, les résultats de leur recherche montrent que les parents ayant vécu un départ volontaire avaient une vision plus positive de leur avenir. À l’inverse, les femmes réfugiées ou immigrées en attente de leur statut qui se retrouvent déjà dans une situation de fragilité vont avoir une vision plus négative de leur avenir. À ce sujet, plusieurs auteurs, dont Barrera (1986) et Tousignant (1988) soulignent que la perception des bénéficiaires peut être affectée par le stress ou la détresse psychologique. Leur détresse vient donc altérer leur espoir et une vision positive de la migration. Pourtant tel que le mentionnent Caron et Guay (2005), « [la présence d’un réseau de soutien et ses ressources] en période de stress peut s’avérer déterminante pour le maintien ou le rétablissement de l’équilibre » (2005 :21). Tousignant (1988) souligne que la perception positive ou négative du bénéficiaire a une incidence également sur l’efficacité de l’aide reçue. Selon l’auteur, le soutien ne peut être efficace qu’à des conditions bien précises, c’est-à-dire que le soutien doit correspondre au « type de besoin ressenti et que son destinataire puisse avoir un sentiment d’indépendance suffisamment développé pour accepter une aide sans qu’elle attente à son orgueil ou ne soit ressentie comme une dette morale excessive » (1988 :100). L’attitude du donneur peut aussi contribuer à une vision favorable ou défavorable du soutien offert. Dandurand et Ouellette (1992) et Devault (1992) abondent dans le même sens, le soutien sera perçu de façon négative si le don est perçu comme une dette, une ingérence ou une interdépendance.

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Les normes24 et les valeurs25 liées à une culture peuvent aussi influencer les attentes des mères immigrantes envers leurs relations de soutien, le type de soutien, et les moyens mobilisés face aux difficultés 26. Par exemple, les Indiens de Montréal vont favoriser la famille ou un effort personnel plutôt que de se diriger vers une ressource extérieure pour régler leur problème (Duclos, 2009). Dandurand et Ouellette (1992) ajoute que devant un univers de contraintes et de normes, une variété de stratégies individuelles ou familiales va se développer pour faire face aux difficultés. Par ailleurs, plusieurs études soulignent les impacts de la migration sur le rôle du conjoint. Par nécessité, il y a une restructuration au sein du couple, c’est-à-dire que les rôles maternel et paternel sont renégociés (Battaglini 2000, 2002; Moro, 1994, 2008, 2010; Séguin, 1993; Duval, 1992). Selon les répondants de Battaglini (2000, 2002), l’implication du père serait accrue dans un contexte d’immigration, et celle-ci viendrait pallier ou s’ajuster à un réseau de soutien réduit ou absent. Toutefois, dans certains cas, le conjoint ne semble pas combler les attentes des mères immigrantes (Rinfret, 2007). Les mères peuvent se tourner vers d’autres ressources, ainsi en cas d’absence de femmes expérimentées dans leur entourage, les femmes interrogées par Battaglini et coll. (2000) et Rinfret (2007) vont se tourner vers des professionnelles de la santé ou bien vers des organismes communautaires.

En somme, la perception subjective du soutien est une dimension importante du soutien, c’est grâce à l’analyse de celle-ci que nous pouvons saisir le degré d’efficacité et d’appréciation du soutien obtenu par le bénéficiaire. C’est notamment cette dimension qui nous permet de comprendre les dynamiques sous-jacentes entre le donneur et le bénéficiaire du soutien et de comprendre les stratégies pour obtenir du soutien.

      

24Les normes étant des « règles de conduite déterminant un comportement obligatoire » (Legault, 2010 :284). 25Les valeurs étant définies comme « des orientations normatives de l’action, positives ou négatives, explicites ou

implicites, organisées systématiquement au sein d’une totalité culturelle » (Kluckhohn cité dans Bonte 2007 :733).

26 Témoignages, dans Mères immigrantes : Pareilles, pas pareilles!, (Battaglini, 2000 : 87) : « Parce que là-bas, ma

mère et ma soeur auraient pu m’aider, ma belle-famille aussi. Ma mère aurait fait à manger, les repas et moi juste me reposer.» (22 ans, Liban)

« C’est un tout autre monde ! J’aurais eu de l’aide de tout le monde, il y avait plus de 20 personnes pour mon premier accouchement. Je n’ai qu’à dormir, manger et allaiter… » (31 ans, Liban)

Figure

Tableau 2. Portrait général des mères immigrantes d’origine maghrébine interrogées dans le  cadre de ce mémoire en entrevues individuelles et de groupes

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