ARDECHE Sexe Age Situation
I. 3.3.2.1 Valeurs familiales
La famille apparaît ici, tout comme au niveau européen (European Value Survey, Futuribles, 2002) est citée au rang des valeurs et principes fondateurs de la vie. En effet, dans le développement des propos, tout au long des entretiens, la famille apparaît à la fois comme schème organisateur de l’existence, comme souci, préoccupation, comme lieu d’exercice d’un rôle privilégié d’entraide et de soutien entre les générations alors qu’elle n’apparaît pas à ce niveau « institutionnel » dans les propos des répondants des zones urbaines et péri‐urbaines. C’est tout à la fois une vision hétéronomique et morale du monde qui se révèle ainsi. En effet, la famille en milieu rural est considérée comme une famille élargie (ascendants, descendants et collatéraux). Elle est portée au niveau des valeurs en tant que lignée, souche et référentiel culturel. Les ruraux expriment ainsi fréquemment un souci collectif pour l’avenir de leurs enfants et leurs petits‐enfants. « Je
m’inquiète tous les jours pour nos enfants sur la route, et à cause de la violence à l’école pour nos petits‐enfants. Il n’y a plus de justice ». Ils engagent ainsi dans leurs pensées et leurs préoccupations l’ensemble de la cellule familiale. A la question « quels sont vos buts dans la vie ? », les réponses mettent majoritairement en évidence cette préoccupation du bien‐être des enfants et de la réussite des enfants, comme s’il ne pouvait ici y avoir de place pour des aspirations strictement individuelles qui ne s’articuleraient pas à l’existence et à la survie du groupe familial. Le rapport aux ascendants se décline sur le registre du devoir moral. « moi ma maman est tombée malade en 58, j’ai commencé à travailler à l’usine en 58, j’avais quatorze ans et alors ma maman était handicapée elle avait la polyarthrite chronique, elle est devenue handicapée. Alors de nos jours il y a les aide‐ménagères, il y a tout ce qu’il faut mais à mon époque à moi, il n’y avait rien. Alors qu’est‐ce qu’il fallait faire, il fallait la laisser à l’hôpital elle allait y rester des mois ? Alors mon père il m’a dit « écoute qu’est‐ce qu’on va faire de maman, on la met dans une maison, qu’est‐ce que tu penses faire ? » alors j’ai dit « non papa, maman je la garde, je m’en occupe moi .Je l’ai soignée toute sa vie, elle était en fauteuil roulant, ses soins et tout, je m’en repends pas d’avoir fait ce que j’ai fait. J’ai pas de regrets, je suis heureuse, malheureusement, peuchère, la maladie elle a évolué…Maintenant les gens vous avec votre travail, vous les voyez les gens, dès qu’il y a un petit bobo, ils mettent les parents…Si on peut garder les parents à la maison jusqu’au bout ou une partie de leur vieillesse…Je sais pas vous mais à l’époque on gardait ses parents c’était le devoir de toute les familles, ma cousine vous le dira, c’était de garder ses parents. C’était quelque chose de grave de mettre les parents dans les hôpitaux, dans les maisons de retraite que maintenant… » (Madame Brunier, 07, 2). La famille est donc bien sûr le lieu d’expression de liens et de solidarités (voir infra partie II) mais également comme enjeu moral (Lenoir, 2007).Le devoir qui lie les générations les unes aux autres s’exprime en termes de valeurs mais aussi de pratiques. Toutes les personnes natives, rencontrées sur le territoire ardéchois, ont gardé à domicile leurs parents âgés et s’en sont occupés même dans la maladie et jusqu’à la mort. La plupart des parents est d’ailleurs morte à leur domicile ou au domicile des enfants. On retrouve ici l’expression d’une solidarité du devoir qui s’oppose à la solidarité élective des jeunes générations et du monde urbain. (De Singly, 2003). Ces conduites semblent se transmettre aux générations plus jeunes puisque les trois fils de la personne qui s’exprime ainsi, encore célibataires à 35 ans, installés professionnellement en milieu urbain, viennent passer tous les week‐ends chez leurs parents.
90 % des personnes enquêtées chez les anciens exploitants soulignent l’importance des relations entre les générations et les motifs de ces liens s’articulent autour de la transmission, du maintien de la continuité, de la compréhension mutuelle. « pour perpétuer les traditions », « pour transmettre les valeurs des anciens », « transmission du savoir ancestral ». Mais c’est aussi le souhait de voir la vie se perpétuer sur le même modèle qui
s’exprime : « il faut dire aux jeunes de rester à la campagne. Comme ça les jeunes aident leurs parents ». (Monsieur Courbon, 23, 1). Ou encore « à mes enfants, je vais régler la succession de mon mari, je vais leur transmettre déjà les champs que mes aieux ont possédés. »(Madame Gallice, 23, 1) La vie autonome et indépendante des jeunes générations n’est pas souhaitée par les générations les plus âgées qui voient dans la coexistence dans une même localité de plusieurs générations une source de bien être pour les plus âgés, mais aussi une garantie de la continuité de ce qui a été entrepris par les plus anciens. « l’été on est souvent trois générations, ma fille, mon petit fils et ça marche bien, impeccable ». « avec mon fils on est toujours ensemble, ce matin on était ensemble, je faisais les lapins, mon fils faisait les bêtes »(Monsieur Lassagne, Ardèche, 1). I.3.3.2.2. Le travail et autres principes moraux.
Le travail apparaît également comme une valeur qui se développe sur différents registres mais le plus souvent sur un registre moral. Inglehart souligne que selon le niveau de prospérité d’un pays, le travail peut être apprécié en tant que support d’appartenance, porteurs d’épanouissement individuel et de qualité de vie (Galland, Lemel, 2007).Chez les enquêtés du milieu rural, le travail est mentionnée en tant que valeur principalement de la manière suivante : « le goût du travail bien fait ». Le terme beau travail est souvent utilisé. Ainsi « mais nos enfants, ils sont bien, c’est de beaux travailleurs, ils ont de bonnes situations, on les a élevés comme ça ». (Monsieur Lassagne, 07, 1). Il faut ici souligner que les bonnes situations ne sont pas des situations pécuniairement très favorables. Ainsi l’un des enfants a repris l’exploitation agricole et fait de l’élevage, l’autre est institutrice et le troisième handicapé est employé à la DDE. Le travail apparaît comme une valeur en soi qui protège contre une mauvaise conduite. « on leur dit profitez de votre jeunesse, mais honnêtement, aimez le travail ».(Monsieur Lassagne, 07, 1). On n’est pas très loin ici de la conception Webérienne selon laquelle le devoir s’accomplit dans le travail (Beruf). (Weber, 1964)
Assez souvent, cette mention se poursuit par l’énoncé d’autres valeurs ou principes fondateurs de l’existence porteurs de connotations morales qui n’apparaissent pas en zones urbaines : valeurs religieuses, droiture, conscience, honnêteté, charité, foi, bonté, ouverture aux autres, respect, éducation, politesse, formation religieuse, discipline, solidarité, convivialité. Plus précisément, dans l’enquête FDSEA, la foi est souvent mentionnée comme principe directeur de l’existence ainsi que tous ses adjuvants : moralité, vie chrétienne…. « j’ai reçu une éducation religieuse et toute ma vie j’ai essayé de garder cette voie. La fois vous redonne confiance dans les moments difficiles ».
Même explicitement, La référence aux valeurs ou à une éducation judéo‐chrétienne est très présente, dans de nombreux entretiens. La foi est souvent mentionnée comme
principe d’action mais certaines personnes évoquent aussi une appartenance de fait à la religion catholique, acquise par l’éducation mais à laquelle les personnes consentent. « elles ne vous le disent pas mais elles sont de ferventes catholiques ! Bon, moi je suis catholique de principe, je ne renie pas mes origines mais je suis non croyant alors que les filles là le sont beaucoup plus… »(Monsieur Duron, 23, 1). C’est ce que nous nommons l’ethos du certificat d’études ou encore une version laïcisée d’un socle de valeurs judéo‐chrétiennes. Bertrand Hervieu mentionne comme une caractéristique de la civilisation paysanne « son attachement aux traditions, à l’Eglise catholique, aux cadres stables de la République ou aux organisations professionnelles (qui) est pour une large part le fruit même de la relation forte entre le lieu, le métier et la lignée. » (Hervieu, Viard, 2001). Le regret d’un temps où les principes moraux étaient clairs et encadrés par des institutions principes se fait jour au détour des conversations, même si parfois les personnes qui ont été élevées dans des écoles tenues par des religieux soulignent la trop grande emprise et la trop forte contrainte des règles imposées. « y’avait le curé, la religion tenait plus de place, les gendarmes ils en avaient peur tandis que là ils n’ont peur de personne »(Couple Collange, 07, 1). La foi apparaît aussi comme un recours pour faire face aux difficultés de l’existence. « c’est la…la foi, la religion ! (qui a guidé notre vie). Moi je dis, celui qui a pas de religion, qui a rien, eh ben…il est malheureux, parce que…quand il arrive un coup dur, eh ben, on a besoin de…voila…s’accrocher. »(Monsieur Labiole et Madame Henry, 07, 1)