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Utilité et considération sociales : des étalons de mesure inégalement utilisés, et partiellement déconnectés

Dans le document Vieillir en milieu rural (Page 160-165)

Perceptions spécifiques et enjeux du vieillissement en milieu rural isolé

IV.1.  Des perceptions et des représentations de la vieillesse et du vieillissement spécifiques

IV.1.4.  Utilité et considération sociales : des étalons de mesure inégalement utilisés, et partiellement déconnectés

 

La  stigmatisation  des  personnes  âgées  provient  pour  une  grande  part  de  leur  retraite,  c’est‐à‐dire  de  leur  éloignement  du  travail,  qui  demeure  une  valeur  centrale  et  une  activité  organisatrice  de  la  vie  et  des  identités  sociales  (Méda,  1995;  Dubet,  Martuccelli,1998 ). Dans un contexte où le capitalisme mesure la valeur des individus à  leur utilité, ou à leur productivité, sociales, les personnes âgées retraitées, donc hors du  marché du travail, reçoivent une position structurellement basse. Le plus souvent, c’est  de manière passive, à leur corps défendant, comme objets de soins, qu’elles sont dotées  d’une utilité sociale, puisqu’elles constituent un des gisements d’emplois de proximité le  plus souvent mis en avant par les plans gouvernementaux successifs, en particulier celui  des  services  à  la  personne.  On  comprend  combien  cette  position  de  générateur  passif  d’emploi,  dans  une  société  où  l’autonomie  fait  partie  des  vertus  cardinales,  peut  être  dominée,  et  ressentie  comme  un  déni  de  valeur  intrinsèque.  On  comprend  alors  également  pourquoi  dans  les  discours  des  personnes  enquêtées,  l’accent  sur  la 

57 C’est moins vrai en Creuse, où le territoire enquêté, situé à la limite de l’Indre, semble avoir été beaucoup plus le

lieu de micro-mobilités, et où les parentèles semblent avoir été plus vite dispersées (et l’inscription des lignées dans les lieux plus vite brisées), ce que confirment les questionnaires passés auprès des anciens exploitants agricoles.

contribution,  passée  ou  actuelle,  à  la  production  de  la  société  est  important,  tant  le  registre  de  l’utilité  sociale,  ou  de  la  valeur  fonctionnelle,  construit  dans  nos  sociétés  la  valeur  des  êtres  humains  (P.  Pharo,  2007).  Pour  certaines  catégories  de  population  (en  particulier  dans  les  classes  favorisées),  cette  question  de  l’utilité  sociale  se  pose  de  manière  accrue  à  la  retraite,  et  constitue  souvent  le  ressort  d’investissements  dans  le  monde du travail, dans l’action humanitaire, dans la vie politique et associative, locale  ou nationale selon les ressources des individus, le plus souvent de manière bénévole58 Mais  il  s’agit  bien  encore  de  participer  à  la  vie  sociale,  et  de  manifester  son  utilité.  Autrement  dit,  le  registre  de  l’utilité  sociale  serait  de  plus  en  plus  prégnant  dans  les  pratiques  et  les  représentations  des  nouvelles  cohortes  de  retraités  (Legrand,  2001),  et  fonctionnerait comme un étalon de mesure de la valeur sociale des individus âgés. Or, si  le registre de l’utilité sociale est effectivement mobilisé par les vieux habitants du milieu  rural isolé, ils s’en détachent également. D’une part, ce registre renvoie plus souvent à la  vie  passée,  à  la  contribution  passée  à  la  construction  de  la  société,  qu’aux  activités  présentes.  D’autre  part,  un  autre  registre  est  plus  fortement  mobilisé  pour  fonder  et  évaluer  son  statut  social :  celui  de  la  considération.  On  peut  alors  distinguer  deux  domaines  où  se  construit  cette  considération  sociale :  la  famille  et  le  village  ou  la  communauté  locale.  Deux  principes  alors  permettent  de  préserver  la  considération  en  dehors de toute référence à l’utilité sociale : de manière forte, l’histoire et l’enracinement,  locaux  et  familiaux,  contribuent  à  préserver  les  statuts  et  à  donner  sens  à  la  vie.  De  manière  sous‐jacente,  la  valeur  absolue  attribuée  à  la  vie  fonde  le  respect  accordé  aux  autres vieux et à soi‐même.  Le registre de l’utilité sociale est présent à travers l’évocation du travail, passé et actuel.  Le travail est une valeur, dans tous les discours, et plus particulièrement dans ceux des  anciens agriculteurs, qui légitime le repos durement gagné de la  retraite, et le droit de  vivre encore à cet âge59. Monsieur Aymard (Creuse), qui a travaillé à partir de 14 ans et  a pris sa retraite en 2004, résume ainsi sa vie de travail : « J’étais avec mes parents, j’étais  aide familial jusqu’en 69, jusqu’à 37 ans, comme j’étais célibataire, un peu plus ou un peu moins  et je suis exploitant depuis 70, ça valait pas le coup, on touche pas de grosses retraites avec ça, j’ai  une petite retraite, j’en ai versé de l’argent à la mutualité ». Le calcul coût‐bénéfices pour la  société, mobilisé dans le registre de l’utilité sociale, apparaît nettement positif. Le travail  continue d’ailleurs après la retraite, mais à sa main, à la mesure de ses forces. Ainsi, que  l’explique  Maurice,  un  ancien  agriculteur,  resté  célibataire  et  sans  famille :  « il  est  pas  foutu le Maurice ». Il fait encore son bois, « coupe » la neige, mène ses chèvres au pré. « [et  vos parents travaillaient tous les deux sur la propriété ?] Ouais, ouais, ….moi aussi hein je l’ai 

58 On peut penser à ce propos à un nouveau type de vie à la retraite identifié par A.-M. Guillemard, la retraite

« citoyenne » (2001).

59 Puisque c’est bien en dernière limite la question que pose le critère de l’utilité sociale comme évaluation de la vie

faite, je l’ai faite jusqu’à maintenant et encore je n’en fais maintenant je n’en fais pas tant…faut  le  faire  le  travail  ouais »  (Monsieur  Béal,  07,  1).  Plus  largement,  pour  l’ensemble  des  catégories  populaires,  même  en  ascension  sociale,  la  description  des  vies  professionnelles, longues, débutées tôt, et dans des conditions souvent difficiles, justifie  ainsi la retraite, fonde l’estime de soi et le sens de la vie, passée et actuelle : « alors j’ai fait  7 ans salarié agricole dans les bois ça faisait partie agricole et un peu dans les fermes. On faisait  les  vendanges,  les  fruits  on  travaillait  y’avait  pas  beaucoup  de  sous ;  dans  le  Vaucluse,  dans  le  Gard surtout vers Aigues Mortes là‐bas. Et quand la guerre est déclarée on était aux vendanges  en  39.  Et  puis  pendant  la  guerre  avec  un  copain  j’ai  travaillé  6  ans  chez  un  patron  pour  les  vendanges. […] Après la guerre, j’ai travaillé dans les eaux et forêts encore, et dans le bâtiment,  et après il y a eu le chantier de La Palisse le chantier de la centrale, y’avait un puits j’ai travaillé  trois ans dans la galerie c’était pas du gâteau mais ça payait beaucoup, ça payait plus du double ;  c’était  dangereux  mais  je  m’en  suis  tiré,  j’ai  fait  deux  ans.  Après  je  suis  rentré  dans  l’administration,  c’était  mon  rêve  j’ai  25  ans  d’administration  dans  l’équipement,  ils  m’ont  compté 28 ans ; ça fait que j’ai 42 ans de salarié j’ai ma retraite principale de l’équipement, une  retraite de salarié agricole et une retraite de la sécurité sociale, voilà. Et maintenant depuis 81 je  suis à la retraite y’aura 25 ans au mois de septembre ». Le ratio entre le temps de travail et le  temps  passé  à  la  retraite  justifie  qu’on  se  repose,  de  même  que  la  dureté  des  travaux  physiques du métier exercé. Chez les personnes plus diplômées, la centralité du travail  dans l’existence, et la légitimation qu’il apporte à la retraite est construite sur un autre  registre :  celui  de  la  mise  à  la  retraite  à  son  corps  défendant,  à  des  âges  souvent  supérieurs  à  la  norme  de  60  ou  65  ans.  Ainsi  Monsieur  Rajot  (Creuse)  a‐t‐il  pris  sa  retraite à 67 ans, contraint et forcé, de même que madame H. Dans un autre domaine,  avoir donné naissance à des enfants, les avoir « bien » élevés, dans le prolongement de  l’éducation  reçue,  tant  dans  les  pratiques  familiales  que  sur  des  registres  moraux  ou  religieux  (l’attention  aux  autres,  l’observance  des  règles  de  vie  fondées  sur  la  religion)  constitue  également  en  filigrane  un  registre  utilitaire  de  l’évaluation  de  sa  position  sociale. La retraite est pour partie un « repos » bien mérité, par le travail de production  et  de  reproduction,  soutenu  avant  la  retraite,  et  dont  les  séquelles  physiques  montrent  l’engagement.  Enfin,  le  registre  fonctionnel  de  l’utilité  sociale  est  également  mobilisé  pour justifier les engagements politiques municipaux et la participation sociale à la vie  locale.  Qu’il  s’agisse  de  Monsieur  Berget,  inscrit  sur  une  liste  aux  municipales  pour  « rendre service », ou de Madame Bardin, insistant sur le fait qu’ils étaient trop jeunes,  avec  Monsieur  Eustache,  pour  « entrer  déjà  dans  cette  vieillesse »,  l’engagement  est  pensé comme un travail, dont les rétributions sont moins monétaires que symboliques et  sociales,  dans  le  statut  qu’ils  permettent  de  gagner.  En  effet,  la  valeur  positive  de  ces  engagements  pour  la  vie  de  la  commune  rejaillit  sur  ceux  qui  s’y  engagent,  et  les  valorise. L’activité, couplée au bénévolat, contribue à valoriser ces pratiques, qui forgent  largement le sens de l’existence de ceux qui les portent. Durant les premiers temps de la  retraite, et en l’absence de tout handicap ou limitation physiques, la valeur fonctionnelle 

des individus semble ainsi préservée. Elle peut être mise en avant dans les relations avec  les autres.  

Mais  il  arrive  toujours  un  moment,  plus  ou  moins  précoce  selon  les  appartenances  sociales, où les forces déclinent, où les limitations deviennent plus nombreuses, et où il  faut abandonner les activités qui valorisent les individus du point de vue de leur utilité  sociale.  Dans  l’espace  public,  les  personnes  enquêtées  renoncent  ainsi,  au  cours  du  vieillissement, à leurs mandats municipaux ou associatifs, à moins que la mort ne vienne  les  cueillir  en  plein  exercice60.  C’est  également  le  moment  où  se  réduisent  ou  se  reconfigurent  les  services  apportés  aux  enfants,  que  le  passage  du  temps  rend  moins  nécessaires : les petits‐enfants ont grandi, ils partent seuls en vacances. C’est le moment  enfin où s’inversent partiellement les relations d’aide, en dépit des souhaits des parents,  ou  avec  leur  complicité,  mais  non  sans  négociations.  En  outre,  ce  rétrécissement  des  activités  publiques  et  cette  reformulation  des  pratiques  privées  a  toutes  les  chances  de  coïncider  avec  une  durée  de  retraite  longue,  où  le  pensionné  apparaît  alors  bien  plus  comme une charge sociale. Un autre registre, présent de manière plus souterraine dans  la  vie  sociale,  prend  alors  le  relais :  ce  qui  est  mis  en  question,  ce  n’est  plus  l’utilité  sociale de l’individu, mais la considération sociale qu’on lui accorde, et le sens qu’a sa  vie, pour les autres et pour lui‐même. On passe ainsi d’une valeur fonctionnelle à une  valeur  morale  (P.  Pharo,  art.  cit.)  de  l’individu,  pour  les  autres  et  pour  lui‐même,  qui  fonctionne comme un absolu. Ainsi que l’écrit N. Elias, dans La solitude des mourants, « la  réalisation  du  sens  de  l’individu  […]  est  très  étroitement  liée  à  la  signification  et  à  l’importance qu’un homme a pu prendre pour les autres au cours de sa vie, que ce soit  par sa personne, son comportement ou son travail » (1998, p. 85). C’est à la fois par ce  qu’il fait et dans ce qu’il est que l’individu acquiert un sens pour les autres (ibid., p. 75).   Parmi  les  enquêtés  les  plus  âgés  ou  les  plus  handicapés,  donc  les  moins  enclins  à  mobiliser le registre du « faire » et de l’utilité sociale pour décrire leurs pratiques et leur  statut actuels, le sens de la vie apparaît bien comme immergé dans les relations sociales :  relations  à  l’environnement  local,  et  à  la  famille  pour  ceux  qui  en  ont.  Dans  le  cas  de  personnes  très  fortement  diminuées  dans  leurs  capacités  fonctionnelles,  les  personnes  marchant difficilement, en fauteuil, ou encore sous assistance respiratoire, l’inutilité est  devenue  une  donnée  de  leur  existence :  « c’est  qu’on  n’est  pas  utile,  en  rien,  on  peut  pas  s’occuper de rien. Avant on faisait la ferme, on était tous les deux, on travaillait ensemble. On  faisait des petits travaux mais…on était… on pouvait marcher, on pouvait courir, on pouvait…  s’occuper des bêtes. Maintenant tout ça, c’est fini » (Madame Collange, 07, 3). Le vieillissement  est ici décrit comme une progressive inutilité aux autres, comme un affaiblissement de  sa  valeur  fonctionnelle  jusqu’à  la  nullité.  Pour  autant,  et  même  si  elle  souffre  de  cette  inutilité au point de vouloir parfois mourir, sa vie continue à avoir du sens, en dépit de 

cette  inutilité.  Elle  ne  lui  fait  pas  perdre  la  considération  sociale  dont  elle  jouissait  jusqu’à  son  accident.  Le  sentiment  d’inutilité  se  double  pour  madame  Collange  d’un  sentiment de vulnérabilité fort. Mais elle demeure « bien considérée ». De manière plus  prononcée  encore,  Maurice  du  Faud,  ou  Monsieur  Aymard,  ne  se  vivent  pas  comme  inutiles : ce registre de l’utilité sociale n’est pas pertinent pour eux. Le sens de leur vie  est ancré dans le paysage, dans leurs terres, qu’ils parcourent avec leur chien, dans les  relations au long cours tissées dans le hameau, avec une voisine ou une aide‐soignante,  interlocutrice  privilégiée  et  secours  quotidien  pour  les  papiers  administratifs  comme  pour  le  ravitaillement.  Le  fait  d’avoir  un  sens  pour  les  autres  s’éprouve  dans  l’accomplissement  naturel  de  la  solidarité.  Maurice  commente  ainsi  l’attention  que  lui  portent les habitants de son hameau : « Maintenant, ils sont pas sauvages tout le monde. […]  Oui oui oui oui, encore, ici, on traite bien le village ». 

De manière plus évidente encore, l’appartenance à une configuration familiale, où l’on  est  personnellement  reconnu,  contribue  aussi  à  solidifier  les  positions  sociales  et  à  donner un sens à l’existence. Le rôle de maintien ou de construction de l’identité, mis en  évidence  par  F.  de  Singly  dans  la  famille  conjugale  au  mitan  de  la  vie  (1996),  est  également  assumé  dans  la  famille  élargie  aux  âges  élevés.  La  préservation  des  statuts  familiaux,  leur  persistance  dans  le  temps  malgré  la  transformation  des  rôles  (leur  décristallisation  ou  leur  dématérialisation)(  I.  Mallon,  2007),  contribue  à  maintenir  l’identité personnelle du parent âgé. La mère de Madame Duron rappelle ainsi : « Mon  grand‐père il était de 1848 ! Ils ont 100 ans de différence avec ma petite fille !». Son gendre la  reprend :  « Non,  avec  ta  fille ! ».  Mais  elle  persiste :  « C’est  toujours  la  petite ! ».  Et  s’adressant  à  sa  fille :  « Tu  sais  bien  que  tu  es  toujours  la  petite,  bon ! ».  Le  maintien  des  rôles  familiaux,  même  transformés,  même  dématérialisés,  contribue  également  à  maintenir l’identité sociale pour soi et pour autrui. Les enfants sont encore  l’œuvre de  leurs parents, même aux âges élevés, où le maintien de l’harmonie familiale est au cœur  du  travail  des  relations  que  les  mères  continuent  à  effectuer.  Etre  mère  est  l’œuvre  de  leur  vie,  ce  qui  a  donné  et  donne  encore  sens  à  leur  existence.  Ainsi  Madame  Héritier  met en avant sa maternité dans ce qui a le plus compté et ce qui compte encore dans son  existence. On n’a jamais fini d’éduquer ses enfants, de leur transmettre des pratiques et  des valeurs : « C’est comme ça qu’il faut élever les enfants, parce que l’union d’une famille, c’est  le  principal.  Vivre  sans  l’union  d’une  famille,  on  ne  peut  pas  vivre ».  Et  Madame  Bardin  reprend plus loin : « C’est un exemple qu’on donne aux enfants. Entre les sœurs. J’ai dit « vous  êtes deux sœurs. Voyez, moi, j’ai une sœur. Voyez comment on vit toutes les deux ». Eh ben, je  veux  leur  transmettre  cette…  l’amabilité  d’abord  des  gens,  et  en  même  temps  cette  tendresse,  cette…  qui  sort  de  soi‐même ».  Ainsi,  on  peut  avoir  une  position  sociale  objectivement  faible  du  point  de  vue  de  sa  valeur  fonctionnelle,  de  son  utilité  sociale,  et  continuer  à  être  bien  considéré  par  ses  voisins,  ses  amis,  ses  parents.  Ce  résultat  nous  paraît  très  important dans la prise en compte du vieillissement. D’une part, parce qu’il rompt avec 

une  logique  utilitariste  très  prégnante  (et  avec  laquelle  les  personnes  âgées  sont  rarement gagnantes, c’est‐à‐dire qu’il arrive un moment où, les handicaps venant, elles  sont  constituées  comme  des  charges  pour  les  autres).  D’autre  part,  parce  qu’il  met  en  évidence  que  la  position  sociale  n’est  jamais  uniquement  gagée  sur  l’utilité  sociale.  Et  enfin, parce que cela signifie que l’existence n’a pas à être justifiée par sa seule utilité. Le  sens de l’existence d’un individu repose bien davantage sur les liens sociaux entretenus  avec la famille, les amis, les voisins. 

Enfin, la valeur qu’un vieux reconnaît à sa vie et à la vie des autres vieux, quel que soit  leur handicap, repose sur la vie même, comme un absolu qui trouve sa justification en  elle‐même.  Madame  Bardin  reconnaît  que  « maintenant,  non.  Maintenant,  on  n’est  plus  utile à rien, qu’à soi‐même ! Maintenant, on se laisse vivre ! ». Et pourtant, elle manifeste sa  joie  d’être  en  vie,  de  vivre,  à  96  ans  passés,  même  handicapée,  même  en  maison  de  retraite :  « Alors  moi,  j’aime  la  vie,  donc…  c’est  primordial  pour  moi.  Voilà.  Et  j’essaie  de  la  vivre le plus possible. J’ai fait mon travail, donc, quand ça a été la vie active, on a travaillé. Après,  la retraite, donc, avec Monsieur Eschalier, une petite équipe, on a monté ça, donc on a travaillé  encore  après.  Donc,  c’était  pas  morose.  Au  contraire,  nos  journées  étaient,  étaient  bien  accaparées, et en même temps distrayantes. Moi, il me semble qu’on trouve la distraction partout.  Auprès des autres. Si vous travaillez pour les autres, on trouve la joie. Non ? Je sais pas, quelle  est votre idée ? ». La vie est justifiée par la joie de vivre, par la vie même. La justification  de soi, de sa présence, n’est rien d’autre que la vie même. Vivre vieux, mais vivre. Vivre  handicapé,  mais  vivre.  Cet  appétit  pour  la  vie  est  conservé  par  le  maintien  d’intérêts  multiples,  soutenus  soit  par  les  dispositions  sociales  forgées  durant  la  vie,  soit  par  les  relations  sociales  maintenues  à  la  vieillesse.  La  famille  apparaît  alors  comme  décisive,  puisqu’elle  constitue  dans  la  seconde  partie  de  la  vieillesse  le  lieu  privilégié  des  occasions et des relations de sociabilité.  

 

IV.2.  Prendre  sa  retraite  en  milieu  rural :  ruptures  et  continuités  des  parcours 

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