ARDECHE Sexe Age Situation
I. 3.3.2.3 L’entraide et la solidarité
III.2. Le rapport au politique : entre distance et proximité
III.2.1. La distance à l’égard du niveau national et la méfiance à l’égard des positions partisanes : question de compétence ?
III.2.2.2. La figure sacralisée du maire
La conduite de l’action politique locale est incarnée dans la figure du maire. Le Maire est non seulement le proche, celui que l’on connaît, qui est parfois, si l’on remonte à trois ou quatre générations, inscrit dans une lignée familiale mais aussi celui qui porte au quotidien le souci de ses administrés, de ses concitoyens. « le maire c’est Z, Patrick Z, (…) non, non, non, ma mère c’était une Z mais ça a rien à voir justement, moi je croyais que c’était un petit peu des parentés de ma mère mais non non non par contre lui c’est un neveu de Mme C, c’est un neveu, c’est le fils de la sœur de Mme C… » (Brunier P, 07, 2) Il incarne également la communauté d’appartenance, dont les liens sont d’autant plus forts qu’elle se trouve géographiquement un peu à l’écart d’autres communes voire du monde. « on fait partie de la commune de Roux et on fait partie de la paroisse de Montpezat »
(Madame Brunier, 07, 2) Ce sentiment d’appartenance fort induit également une solidarité indéfectible à l’égard du maire qui est reconnu pour porter les intérêts de tous et de chacun. Aucune des personnes interrogées n’a émis la moindre critique à l’égard de l’action du maire ou de son conseil municipal. Au contraire ce sont les difficultés de l’exercice d’un mandat de maire qui sont soulignées, de même que l’impuissance dans laquelle il peut se trouver du fait de l’absence de moyens. « Eh bien, il fait tout ce qu’il peut mais dans une petite commune, c’est pas facile, hein, il y a pas trop de commerces, il y a pas de taxes professionnelles » (Tassy, 07, 1) Les actions menées sont commentées le plus souvent positivement, quelqu’en soit la nature. ‐qu’est‐ce que vous pensez ? – « ça se passe bien oh oui, oui, oui, qu’est ce que vous voulez, ce) qu’ils peuvent pas faire, il y a pas de miracles à faire, c’est pas comme à Grenoble où c’est des grandes villes, ici ils font avec les moyens qu’ils ont hein et si on leur donne pas d’argent comment voulez vous qu’ils fassent mais si je trouve qu’ils se débrouille bien, ils vont nous enfouir les lignes électriques et le téléphone je vous dis pas comment ça va être pendant des mois, mais bon. » (Madame Brunier, 07, 2) Ce qui est fait pour l’ensemble des habitants en terme d’aménagements, de voiries, ou comme ici d’enfouissement de lignes électriques est perçu comme une amélioration du bien commun, même si ces travaux ne viennent pas transformer fondamentalement la vie des habitants. ‐ c’est du travail d’être maire dans une petite commune – « il s’en occupe bien il va faire enfouir nos lignes. » (Monsieur Collange, 07, 1)
Globalement, même si des regrets s’expriment quant à l’absence ou l’insuffisance de services, la responsabilité n’est jamais rejetée sur l’équipe municipale. « moi des politiques j’attends rien, on peut mettre n’importe qui je vois qu’ils sont tous les mêmes –et au niveau local, sur la commune ? – ah ben nous on a un bon maire, faut pas se plaindre, ici on a un bon maire »
(Monsieur Lassagne J., 07,2) On peut expliquer ce phénomène de deux manières, d’une part le maire est inséré dans la communauté locale et il partage avec ses habitants l’absence de ressources, la pauvreté de ces zones rurales isolées, d’autre part les personnes rencontrées en ce milieu se satisfont de peu de services, habituées qu’elles sont à s’auto‐suffire ou encore à compter sur des solidarités familiales ou de voisinages. « eh bien ici on a notre maison de retraite, on a médicalisé, on a des aide‐ménagères pour les personnes qui veulent, qui peuvent rester chez elles. Eh ben oui, moi je crois que les gens vont pas aller se plaindre. » (Madame Henry, 07,1) Le maire est présenté le plus souvent comme un « bon « maire et comme « notre maire ». Il ne s’agit ni de compétence, ni de résultats obtenus dans l’action publique menée mais de sa proximité et de son souci de l’autre ainsi que de sa capacité à rester semblable aux personnes qu’il représente. Sa disponibilité est également un gage de sa légitimité. « ah mais si vous avez besoin, vous allez en mairie bien sûr si vous avez quelque chose à demander ou quelque chose un service de quelque chose c’est bien à eux, la secrétaire elle vient deux fois par semaine et si vous avez autre chose, vous essayez de joindre votre maire, ce qui est normal, c’est bien comme ça qu’on fait, mais bon m’enfin que quand on en a vraiment besoin » (Madame Brunier, 07 2)
Le maire, ses adjoints et la secrétaire de mairie sont tout à la fois des figures locales, auxquelles s’arrime un fort sentiment d’appartenance mais aussi des recours toujours disponibles, quelques soient les difficultés de la population (Faure, 1991). Il exerce aussi une fonction de médiation vis‐à‐vis des autorités départementales et dans son rôle d’intercession, exerce pleinement ce pouvoir périphérique décrit par Gremion. Néanmoins sur les territoires investigués et dans les communes qui ne sont pas chef‐lieu de canton, le maire n’est pas un notable. Une position notabiliaire (Worms, 1966) générerait sans doute une distance sociale qui mettrait en cause les modes relationnels décrits plus haut. III.2.2.3. Une identification inégale des instances de l’action publique . Il s’avère difficile pour les personnes rencontrées d’identifier clairement les niveaux de compétence national, départemental ou local dans l’absolu mais aussi dans le domaine des aides procurées. Aussi n’est‐il pas rare d’entendre certaines personnes affirmer que l’APA est octroyée par la commune.(Monsieur Collange, 07, 1). D’une manière plus globale, tout service rendu est le plus souvent attribué à l’initiative communale, tant « la mairie » est le lieu du recours spontané des personnes.
Le conseil général est identifié comme devant intervenir seulement en appoint des initiatives communales, comme un soutien financier possible et nécessaire. Par ailleurs, de même que la fonction de Maire est très personnalisée, s’incarnant dans un homme connu dont on apprécie les qualités d’homme avant tout, la conseil général est identifié à son représentant. « –Montpezat c’est le canton ? – Montpezat c’est toujours le canton mais quand même le conseiller général est à St Cirgues » (C Lassagne, ARD 2). Ainsi ce ne sont jamais les services du Conseil général qui sont mentionnés mais seulement les élus et plus précisément celui qui est l’ élu du canton. « ‐vs avez connaissance de ce que fait le Conseil Général ?‐ Ben oui, je le connaissais bien, il venait souvent, maintenant, il est à St Cirgues – il venait faire quoi ?‐ oh ben il débloque les subventions, c’est lui qui débloque l’argent….pour l’agriculture et même pour la commune quoi. Pour la commune, des aides aux voiries, des aides à l’aménagement de certaines choses quoi, à la mairie, comme à Mazan, il y a eu beaucoup de frais, mais il y a eu beaucoup d’aides, le CG a bien aidé… »(M. Lassagne, 07, 2) On retrouve ici les éléments d’une autre enquête (Gucher, Conseil Général 38, 2001) qui témoignait du rôle attribué au conseil général. La déclaration la plus fréquente consistait à affirmer que le conseil général devait venir en soutien aux communes, puis venait la mise en place de transports publics. Spontanément les personnes attachent plus d’intérêt à ce qui se passe au niveau communal et font davantage confiance à la représentation qu’assure leur maire qu’à celle d’autres élus. « ‐savez vous entre le maire et le CG qui intervient ?‐ oh ben moi plutôt c’est la mairie, le conseil général je sais pas q’il leur donne beaucoup d’argent – à qui ?‐ à la mairie, parce qu’il y a tellement de choses à faire, vous voyez bien maintenant toutes les routes c’est le Conseil général qui l’a fait faire comme là bas au Pont de la Beaume, vous avez vu ? » (Madame Brunier, 07, 2) Ces éléments ne diffèrent pas véritablement de ce qui se joue sur la scène politique nationale dans la mesure où pour l’ensemble des français, le maire est l’élu envers lequel la confiance est la plus grande. Néanmoins, c’est ici la personnalisation de la fonction qu’il convient de souligner. En revanche, le niveau de l’intercommunalité apparaît comme étant bien identifié par la plupart des personnes rencontrées. L’information sur les projets en cours semble bonne et la compréhension des enjeux des regroupements de commune assez adéquate. La loi Solidarité et Renouvellement Urbain qui a déterminé ces nouvelles articulations était initialement fondée sur l’analyse des besoins des territoires ruraux. Il semble que le résultat soit probant dans la mesure où contrairement aux milieux urbains dans lesquels l’intercommunalité semble brouiller l’identification des compétences respectives des différents acteurs, en milieu rural la reconnaissance de l’intercommunalité semble supplanter progressivement la reconnaissance du Conseil général. (Gucher, Mollier, Boisseau, 2006). « –vous pensez que c’est bien le syndicat intercommunal ? oui je pense oui je pense si moi je pense que bon, si peut‐être une commune n’a pas trop d’argent pour payer certaines choses l’autre commune le paie.. » (Madame Brunier, 07, 2)
Ces éléments viennent bousculer la tradition rurale selon laquelle le canton reste un repère politico‐administratif fort pour les ruraux. L’intercommunalité semble progressivement trouver une valorisation certaine pour les habitants de ces communes isolées. « Pour l’avenir ils vont agglomérer les communes. –vous en pensez quoi ?‐ la commune de Mazan, il y a quand même un, de bonnes petites ressources, elle touche, il y a douze cent hectares de bois communal, de bois forestier et elle touche un impôt, ça lui rapporte de l’argent, 40MM par an et ça permettrait de couvrir beaucoup de choses.(…) comme les routes, je veux dire, les routes communales, c’est la ruine des communes, je le sais, j’ai été président 50 ans du syndicat –et les communes agglomérées, vous en pensez quoi ?‐ moi je sais pas, je sais pas quoi dire(…) il y en a beaucoup qui étaient contre (…) oui mais de moins en moins y’a du monde, il y a un moment donné ça va arriver, qu’est‐ce que vous voulez, pour les subventions, les aides, ils vont faire, je pense » (Roger Lassagne, 07, 2). Néanmoins, la fonction plus symbolique du canton comme élément d’une division républicaine et jacobine de la Nation ne paraît pas pouvoir être gommé tout à fait. « Le lien particulier entretenu par la paysannerie française avec la République peut constituer un élément explicatif de cet attachement des anciens agriculteurs à une définition traditionnelle de la citoyenneté. Dans le mouvement que nous tentons ici d’éclairer, il n’y a pas une campagne en soi, hors de toute histoire. Il y a une campagne dans un pays qui comme les autres, cherche ses marques pour un futur incertain ; mais à la différence des autres, le cherche à partir d’une histoire républicaine, jacobine où la campagne fut le socle d’un corps collectif spatialisé dont l’Etat parisien était la tête unique. » (Hervieu, Viard, 2001).
Néanmoins le risque que les intérêts communaux spécifiques viennent se dissoudre dans les pratiques d’intercommunalité est clairement identifié par les personnes rencontrées.
« . Maintenant on sait pas ce que ça va faire cette communauté‐ expliquez moi‐ eh ben c’est les communes qui se rassemblent. 5 ou 6 communes qui sont rassemblées, obligatoirement. Le préfet a été obligé. J’ai l’impression que ça aussi ne sera pas bien‐ pourquoi ?‐ parce que chaque commune pensera pour sa commune. (…) » (Jean Lassagne, 07, 2)
Malgré tout la nécessité de faire front commun pour envisager le développement des territoires ruraux enclavés est envisagée de façon très consciente par les habitants. « la communauté de communes, je peux pas être contre, j’étais au CM quand elle a été crée pour l’école. Après ça s’est transformé…On a aidé quelqu’un à monter une chocolaterie, ça a été un fiasco, c’était un farfelu, c’était peut être une erreur, ils avaient pas de bons renseignements, pour Nouziers, ça a pas été mirobolant, pour la Cellette, a a aidé à rouvrir une auberge…avec le maire de Nouziers ça se passe mal, ils sont pas du même bord…Ils veulent être un peu au dessus du lot, c’est mon point de vue… Quand il y en a deux, ça peut pas marcher » (Monsieur Courbon, 23, 2).
Ainsi, globalement, au‐delà de leur attachement indéfectible à la commune, les personnes interviewées témoignent d’un intérêt certain pour les formes renouvelées de l’action publique locale. Leur connaissance des enjeux de ces nouvelles manières d’envisager l’action publique est sans aucun doute liée à leur connaissance précise, liées à l’expérience vécue, des difficultés auxquelles se confrontent ces territoires ruraux enclavés mais aussi de leur proximité avec leur maire, qui assure, à l’image des saints de tous les temps, un rôle capital d’intercession en leur faveur. Cette familiarité avec l’action publique se traduit et/ou s’explique également par les engagements nombreux et assumés comme une évidence, que ces personnes développent au sein de leur communauté de vie.
III.3. La spécificité rurale des définitions et réalités de l’intégration sociale des