ARDECHE Sexe Age Situation
I.1. Deux territoires ruraux, appartenant au rural isolé, restant très marqués par l’activité agricole
I.1.2. Deux territoires ruraux contrastés mais comparables, appartenant au rural isolé, très vieillissants
I.2.1.7. Des frontières floues entre le registre professionnel et le registre des solidarités informelles, le service public et les services libéraux ou
marchands.
Globalement, on peut dire que ces territoires sont relativement bien couverts en services gérontologiques. En tout état de cause, ils suffisent à satisfaire les demandes qui leur sont adressées. Cependant, leur adéquation aux demandes ou aux besoins des populations semble essentiellement tenir à leur souplesse et repose sur deux éléments clefs.
‐ une frontière floue entre registre professionnel et solidarité locale.
Les modalités d’intervention de ces services diffèrent fortement de ce qu’on peut rencontrer en milieu urbain et il faut souligner l’improbable frontière entre ce qui ressort du cadre de l’intervention professionnelle et ce qui découle d’une relation de proximité liée à une appartenance commune au territoire. Ainsi, les facteurs sont ils mis à contribution pour quelques courses, de même que les infirmières. Les médicaments peuvent être achetés par les voisins ou l’IDE… Chacun joue sa partie professionnelle mais intervient aussi du fait de sa participation à cette société d’interconnaissance où chacun se sent co‐ responsable de la personne vieillissante en difficulté :« Mon cousin s’approvisionne pour une semaine et le facteur amène le pain parce qu’il ne conduit pas, ma cousine non plus… » (Madame Brunier, 07). Cette mobilisation d’acteurs non professionnels du secteur gérontologique se retrouve également en Creuse où le service de portage de repas à domicile ne prévoit pas le pain accompagnant le repas pour permettre la visite quotidienne du boulanger. Cette absence de limites se trouve à tous les niveaux de l’intervention publique. De même que les professionnels de l’aide à domicile assurent des fonctions relevant des solidarités de voisinage, les élus locaux sont amenés à intervenir bien au‐delà des frontières officielles de leur mandat. C’est toute une économie de services réciproques qui se développe et à laquelle chacun participe, quelle que soit sa position professionnelle.
Il apparaît dans ces territoires que l’imbrication de la sphère privée et de la sphère publique est ancienne. En effet, l’inscription des familles, des personnes vieillissantes, de leur voisinage sur un territoire restreint génère une proximité de vie dans laquelle chacun trouve sa place, sans conflit avec l’autre. La géographie du territoire, les rigueurs climatiques génèrent de forts liens d’interdépendance entre les habitants des mêmes
hameaux et le professionnel est tout autant un voisin qu’un spécialiste de l’intervention gérontologique. Par ailleurs, la pénurie d’intervenants, les distances rendent indispensables l’articulation entre les interventions professionnelles et les interventions de voisins, de familles ou d’amis, chacun étant convaincu de la place juste de la personne âgée à cet endroit. On peut souligner qu’il apparaît ici normal que les pompiers véhiculent les infirmières jusqu’à leur lieu d’intervention en cas de neige trop abondante. Et chacun est également convaincu de l’aide qu’il pourra recevoir en cas de besoin, quelques soient les conditions de l’intervention. Et si le secours ne vient pas, c’est tout simplement qu’il est rendu impossible par le climat et l’état des routes.
‐ une frontière imprécise entre Service public et services marchands ou libéraux.
Sur ces territoires inégalement pourvus en acteurs gérontologiques « traditionnels » (services d’aide et de soins à domicile…), d’autres acteurs, notamment du secteur marchand (restaurateurs par exemple ou taxis…) se sont imposés comme compléments essentiels des actions départementales ou municipales. Le service de repas du territoire creusois est assuré par l’association de développement local qui met à contribution le charcutier traiteur de la vielle proche pour la fabrication des repas. Du fait de la nécessité et de la proximité, il n’est pas rare que le restaurateur local se soit offert comme pouvant fournir des repas à domicile à des personnes isolées de même que des taxis effectuent non seulement le transport mais aussi l’accompagnement des personnes pour des consultations médicales ou des courses. Cette organisation informelle mais fonctionnelle se rapproche des usages quotidiens des gens âgés qui ne semblent pas établir de frontières entre ce qui s’inscrit dans des aides émanant de la sphère privée (famille, amis, voisins) et ce qui s’inscrit dans le cadre d’une offre de service public ou parapublic. Et lorsqu’on demande aux personnes interviewées ce qui existe comme services pour les personnes âgées sur leur territoire, elles mentionnent de manière non distincte tout aussi bien les commerces, que les services publics ou encore que les aides spécifiques. « des aide‐ménagères il y en a de plus en plus qui en prennent, ils sont subventionnés et puis il y a les soins à domicile à Genouillat, il y a des gens qui viennent les lever et les coucher…(…) Le taxi ambulance, à Bordessoule, ça a pris de l’ampleur depuis quelques années, ça s’est beaucoup développé. Sinon, il y a le café dépôt de pain, la restauration à midi, des jeux de grattage, je peux vous dire que ça marche. » (Monsieur Courbon, 23, 1)
Certaines offres de services renvoient tout autant au registre de l’aide aux personnes âgées qu’à la vie locale qui s’organise autour des derniers commerces restant.
Cependant, la place faite aux initiatives privées semble plus importante en Creuse qu’en Ardèche. En effet, l’EHPAD existant est de gestion privée et le système des villas‐ familys se développe également sur ce territoire.38
En tout état de cause, la réorganisation des compétences et l’apparition d’acteurs potentiels du secteur marchand nécessitent l’invention d’arrangements qui relèvent tout autant de la volonté politique locale que des atouts d’une société d’interconnaissance dans laquelle la proximité joue tantôt comme facteur de mise en synergie des potentiels existants, tantôt comme alibi d’une mise en concurrence de nature à desservir les populations locales. L’invention au quotidien rendue nécessaire par les logiques administratives et politiques se heurte parfois aux logiques d’intérêts sectoriels. (Argoud, Bessac, Daure, 2006).