ARDECHE Sexe Age Situation
I. 3.3.2.3 L’entraide et la solidarité
II.2 Des sociabilités de voisinage différenciées selon les lieux, selon les personnes et leur histoire de vie
II.3.1. Un modèle dominant dans les territoires étudiés : la famille entourage‐ locale
II.3.1.1. Des familles très présentes
locale.
II.3.1.1. Des familles très présentes
En Ardèche comme en Creuse, la famille est souvent très présente ce qui tient à deux éléments difficilement dissociables :
Vie privée et travail ont été toujours fortement imbriqués ce qui conduit parfois à des équilibres fragiles et des situations difficiles dans la mesure où comme l’explique Alice Barthez, calcul économique et relations personnelles peuvent s’opposer42. Dans bien des cas, les plus fréquents de ceux que nous avons rencontrés, on retrouve la solidarité si souvent évoquée, l’entraide étant une nécessité à certaines périodes de l’année où l’on avait besoin des autres pour affronter les coups durs, les surcharges de travail comme partager les bons moments de la vie. Madame H. a perdu son mari jeune, elle avait alors trois petits enfants, son frère est venu la rejoindre pour l’aider sur l’exploitation.
En Ardèche comme en Creuse, ceux qui ont été agriculteurs (5 sur les 12 personnes rencontrées sur chaque territoire) ont travaillé très tôt pour aider leurs parents. « On n’a fait que travailler à la ferme, pas de sorties, pas de congés…quand j’avais des congés, c’était pour travailler à la ferme, pour aider les parents…. » (Monsieur Lassagne R, 07, 1). « Je rentrais à’école au mois d’octobre à l’époque, et je finissais à Pâques, parce qu’il fallait travailler avec les parents, surveiller les bêtes » (Monsieur Lassagne J, 07, 1). Le récit des frères B. illustre aussi bien cette vie paysanne telle qu’elle existait il y a 40 ou 50 ans. « Moi, je préférais la vie qu’on avait malgré les difficultés. Il fallait travailler, il fallait garder mais on s’amusait. Nos parents, ils avaient pas les sous pour nous faire vivre, alors il fallait travailler, moi j’étais loué pour garder les vaches l’été jusqu’à la fin octobre... mais ça nous faisait rien, on était content…Ici, il y a 50 ans, c’était joli, on voyait pas de genêts, il y avait du blé partout, c’était propre comme tout ». (07,01)
La référence à la famille est souvent très forte. Tous parlent de leurs parents, du travail sur l’exploitation souvent difficile dans la mesure où il s’agissait le plus souvent de petites exploitations pratiquant la polyculture‐élevage et dont l’objectif essentiel était d’assurer la vie de la famille et sa reproduction.
42 Barthez A., GAEC en rupture : à l’intersection du groupe domestique et du groupe professionnel in Weber F.,
Gojard S., Gramain A., 2003, Charges de famille, dépendance et pauvreté dans la France contemporaine, La Découverte
Souvent aussi, ils ont vécu avec leurs parents au début du mariage, parfois plus longtemps tant que les parents étaient vivants. « Mes parents, ils sont morts ici , ma mère, elle est morte en mai 1977, mon père est mort plus vieux en 88… On est seuls depuis qu’ils sont décédés…. On avait une cuisine commune, trois chambres » (Monsieur Courbon, 23, 1). Aujourd’hui, certains habitent la maison des parents. « C’était la maison de mes parents… C’est la maison familiale, c’est moi qui l’ai gardé… » (Lassagne m. 07,01).
Quant à la cohabitation bien qu’en régression, elle existe encore. Sur l’ensemble des personnes enquêtées, deux cas ont été rencontrés en Creuse: un couple vivant avec la belle mère et les enfants qui du reste n’ont pas repris l’exploitation mais travaillent à proximité. De même, Monsieur Touvier, célibataire, a gardé sa mère très dépendante jusqu’à une chute qui l’a contrainte à l’hospitalisation puis à la maison de retraite. En Ardèche, deux frères habitent encore ensemble, de même que deux sœurs célibataires. Enfin, un frère a rejoint sa sœur lorsque celle‐ci a été veuve, pour l’aider sur l’exploitation.
La proximité explique aussi souvent la place que prend la famille dans la vie des personnes âgées, l’espace contribuant à la construction des liens familiaux, les individus pouvant mettre en œuvre des stratégies pour se rapprocher ou s’éloigner de leur famille. Catherine Bonvallet caractérise la « famille‐entourage » sur la base de trois critères : des affinités, la fréquence des contacts, l’entraide (le parent proche a été aidé ou a aidé) sachant que la famille‐entourage peut être famille‐entourage locale ou famille‐entourage dispersée. Dans un cas comme dans l’autre, des relations fortes existent avec un membre de la parenté, mais le jeu des migrations a pu amener à séparer les familles sans aboutir pour autant à un relâchement des liens (Bonvallet, 2003). En Ardèche comme en Creuse, la famille‐entourage locale est un type dominant, les individus reproduisant le mode de vie en famille‐entourage locale de leurs parents et grands parents. Il y a là encore une survivance de la société paysanne dans laquelle vie privée et travail sont fortement imbriqués. La lignée tient une place importante puisqu’il y a adhésion au modèle familial et transmission des valeurs, des pratiques et dans certains cas des savoirs professionnels.
L’aide familiale est souvent importante, voire très importante, sans doute davantage en Ardèche qu’en Creuse. Souvent les enfants habitent non loin des parents, se soucient presque quotidiennement de leurs parents et apportent soutien, réconfort et aide très fréquemment. Comment expliquer les différences constatées entre les deux territoires ? Plusieurs hypothèses peuvent être formulées : les familles sont souvent moins nombreuses en Creuse : 2 à 3 enfants en moyenne, 5 à 6 en Ardèche. Souvent aussi, les enfants sont partis travailler moins loin en Ardèche, la vallée du Rhône alors qu’en Creuse la faible diversification de l’économie a souvent contraint à s’éloigner,
notamment dans la région parisienne ou le nord du pays. On retrouve là les vieilles traditions d’émigration saisonnière et définitive favorisée par la révolution des chemins de fer. Il est possible enfin que l’aide familiale soit moindre en Creuse, les personnes enquêtées étant dans l’ensemble plus jeunes et moins dépendantes qu’en Ardèche, ce qui à notre avis doit inciter à la prudence dans les comparaisons.
II.3.1.2. Une importante solidarité dans le cadre d’une réciprocité directe