ARDECHE Sexe Age Situation
I.1. Deux territoires ruraux, appartenant au rural isolé, restant très marqués par l’activité agricole
I.1.2. Deux territoires ruraux contrastés mais comparables, appartenant au rural isolé, très vieillissants
I.2.1.4. Une coordination improbable
En Ardèche, l’absence de formation des aides à domicile semble nuire potentiellement à une possible coordination avec les intervenants du secteur du soin qui sont, essentiellement des professionnels en exercice libéral.
Le partage des rôles avec les auxiliaires de vie ou aides à domicile ne se fait pas sans peine, chacun de ces acteurs professionnels gardant jalousement sa place. Une rivalité s’est au fil du temps installée, les IDE contestant les qualités professionnelles des auxiliaires de vie : « Elles marchent régulièrement sur nos plates‐bandes : elles prétendent faire les toilettes et vont même parfois jusqu’à distribuer les médicaments sans aucune compétence. Vous vous rendez compte des risques ! ». (Entretien IDE libérale Montpezat). Cette contestation n’est peut‐être d’ailleurs pas sans fondement puisque les responsables des services d’aide à domicile évoquent tout à la fois la difficulté de trouver du personnel fiable, engagé et formé ou susceptible de s’engager dans un processus de formation : « La continuité de présence pose problème dans le maintien à domicile et aussi le manque de compétence. On a beaucoup de mal à trouver des filles qui accepteraient de se former et le plus souvent elles ne veulent faire que des temps partiels pour se faire un petit complément de revenus. » (Responsable du service d’aides à domicile de Montpezat sous Bauzon).
La rivalité avec les institutions d’accueil pour personnes âgées est également sensible mais elle n’est pas une spécificité de ce milieu et de ce territoire. En effet, dans l’ensemble du secteur gérontologique, il n’est pas rare de constater une ligne de fracture entre les intervenants du domicile et ceux des institutions. Ces oppositions relèvent de partis pris quasi idéologiques pour l’une ou l’autre des formes d’accompagnement et de prise en charge des personnes vieillissantes.
Au‐delà de ces positionnements conflictuels c’est l’ignorance mutuelle qui domine et le secteur libéral semble fonctionner en vase clos, sans interactions avec d’autres acteurs du secteur public ou associatif. Les IDE libérales disent ne pas connaître les assistantes sociales (du Conseil Général ou des Caisses de Retraite) intervenant sur le territoire et la seule concertation qu’elles mentionnent se passe avec le médecin traitant des personnes. Cependant, les médecins ne paraissent pas tous vouloir endosser un rôle de référent ou de coordination des intervenants libéraux, même si au niveau de la région Rhône‐Alpes, le colloque de l’Union Régionale de Médecine Libérale laisse apparaître une mobilisation collective pour faire reconnaître les compétences des médecins libéraux dans le domaine de la formation des personnels intervenant à domicile mais aussi dans la réflexion à l’échelon local pour la mise en œuvre de politiques gérontologiques ad hoc. (URML, 2005).
En tout état de cause, ces professionnels du secteur libéral ne s’associent pas facilement aux réflexions éventuelles menées par les organismes publics tels les communautés de communes et leur expérience reste de l’ordre de la confrontation singulière avec l’usager, du domaine de l’intime. Cependant elles peuvent se positionner comme porteuses d’initiatives qui se situent en prolongement de leurs pratiques et n’envisagent pas alors un fonctionnement concerté avec l’ensemble des acteurs du territoire. Elles n’attendent du domaine public que des soutiens d’ordre financiers et logistiques pour des projets dont elles entendent garder la maîtrise.
Sur les pentes et sur le plateau, il semble que les secrétariats de mairie constituent un lieu de recueil et de mise en commun d’informations dans la mesure où les personnes qui bénéficient de services sont connues chacune individuellement, et que leur environnement de voisinage et familial est également connu. Les acteurs de terrain sont inscrits localement et participent d’une forme de communauté villageoise qui permet à chaque intervenant de rencontrer les autres intervenants et de se concerter de manière informelle sur la place ou à la boulangerie du bourg. Aucune rivalité professionnelle ne s’exprime ici et la mise en commun d’informations semble plutôt spontanée. Toutefois, il n’est pas possible de parler de coordination formalisée et méthodique.
Il est donc possible d’affirmer que selon les caractéristiques de telle ou telle partie du territoire, ce sont tantôt des rivalités et des concurrences qui s’expriment, tantôt une
complémentarité qui s’explique sans doute au moins partiellement par la pénurie de moyens en services, en structures et en intervenants professionnels. Ce qui amène chacun à devoir compter sur l’autre et à les prendre en compte également la sphère familiale et tous intervenants susceptibles d’apporter une contribution au mieux être des gens âgés, quelles que soient leurs fonctions. On retrouve donc ici les habituels freins à la coordination, largement analysés par ailleurs (Frossard, Boitard, Jasso‐Mosqueda, 2001), mais qui ont été en milieux urbains, parfois dépassés, grâce à l’impulsion gouvernementale donnée aux dispositifs de coordination avec le décret de 2001 portant création des Centres Locaux d’Information et de Coordination.
L’absence de coordination formalisée ne paraît pas de nature à poser problème, aux dires des divers intervenants. Mais, on peut s’interroger sur les limites de la confidentialité des échanges d’informations qui se font de manière informelle et parfois dans des lieux publics. Le respect de la vie privée des personnes peut être menacé lorsque des professionnels –qu’ils soient du secteur para‐médical ou des administratifs comme les secrétaires de mairie‐ échangent des informations dans des lieux non adaptés tels que les commerces locaux.
En Creuse, aucune coordination formelle n’a pu aboutir. Un projet de Centre Local d’Information et de Coordination gérontologique (CLIC) a été cependant initié par le service de soins à domicile mais n’a pu aboutir, faute de financement. On retrouve ici les difficultés de la mise en œuvre du décret de 2001, en fonction des rivalités des porteurs potentiels sur un territoire mais également des retards dans le financement des expériences de coordination. (Amyot, 2006). Néanmoins, contrairement aux rivalités entre professionnels qui s’expriment en Ardèche, il semble qu’une forme de coordination se soit mise en place puisque les différents services se concertent une fois par mois sur les dossiers partagés. I.2.1.5. Les maisons de retraite, emblèmes incontournables d’une localité, en Ardèche. Le territoire creusois semble peu doté en établissement d’accueil pour personnes âgées. En effet, il n’existe qu’un EHPAD37, établissement privé, de 80 places, dont l’agrément au titre de l’aide sociale a été dénoncé depuis 1984. La place à l’initiative privée semble avoir été largement laissée par les communes qui n’ont pas développé, contrairement aux communes ardéchoises, une politique volontariste de développement d’établissements d’hébergement. Le développement des services de soutien à domicile semble avoir fait l’objet d’une volonté politique plus forte.
En revanche, le canton ardéchois étudié, bénéficie de deux établissements de taille importante, alors même que d’autres établissements d’accueil hors du canton, se trouvent néanmoins dans un périmètre restreint de 10 à 20 kilomètres. Il importe de souligner que l’Ardèche bénéficie d’un taux d’équipements en maisons de retraites médicalisées (EHPAD aujourd’hui) supérieur aux moyennes régionales. Ces établissements sont le plus souvent anciens mais rénovés et ils expriment d’une part une vision ancienne de ce que les collectivités locales pensaient devoir faire pour les personnes âgées mais aussi le souci conjugué de l’emploi local porté par les maires de ces communes rurales dans lesquelles le travail est rare. Ils confirment également l’existence de trajectoires de prise en charge pré‐pensées par les élus, les professionnels mais aussi la société civile locale qui conduisent inévitablement –sauf cas de mort rapide et brutale‐ la personne évoluant vers la dépendance de son domicile à un établissement (Gucher, 2005). En effet, comme partout en France, le poids électoral des personnes retraitées et âgées et la tradition d’assistance aux vieillards ont amené les maires à s’intéresser à l’avenir des anciens. La maison de retraite, élément le plus visible d’une politique a souvent été brandie comme un étendard flambant pour dire l’intérêt porté par les édiles locaux aux plus âgés de leurs concitoyens. Ces constructions emblématiques se sont aussi inscrites dans une vision aujourd’hui désuète du vieillissement. La représentation des plus âgés s’articulait autour de leur besoin de calme, de tranquillité, de repos et de présence bienveillante. Ces représentations persistent aujourd’hui néanmoins du côté des habitants de ces territoires. « encore qu’à Montpezat, je trouve que …Robert, il est pas mal parce que bon, on le fait pas lever tôt le matin, qu’à huit heures et demi, on lui porte son déjeuner. Tandis que Charles, là, au début qu’il était fatigué, on les faisait lever à 7 heures et demi. Je trouve que quand même, c’était pas bien.(…) Tandis que Robert, qu’à huit heures et demi il déjeune, il mange qu’à midi, il mange qu’à sept heures le soir. Tandis qu’à Clair‐matin, comme Charles maintenant que le soir il peut pas aller manger, c’est 6h moins le quart. Ça fait de bonne heure ». (Sœur Brunier C et R, 07, 3). Offrir un lieu de vie confortable, sécurisant, à des personnes confrontées jour après jour aux difficultés matérielles générées par un environnement naturel parfois hostile à ceux qui n’ont plus autant de capacités pour y faire face, apparaissait comme un devoir collectif de la communauté incarnée par la volonté du maire.
Cependant, peu de solutions alternatives ont vu le jour dans ce territoire rural et la maison de retraite est restée la référence en matière de politique gérontologique. Un récent numéro de l’Express titré « Seniors : où vit on le mieux en France ? » classe les départements à partir notamment du nombre de places d’hébergements en EHPAD. L’Ardèche est classée « n° 1 de l’action sociale » avec un titre éloquent « Ardèche de cœur avec les anciens » en raison du grand nombre de places disponibles en
établissements (Express, 2007).Il est intéressant de constater que les habitants de ces lieux ont toujours en tête cette seule référence dans le domaine des actions municipales en direction des vieux. « ah, tout le monde le souhaite, hé.(une maison de retraite) Tout le monde le souhaite. Et le maire, lui, le pauvre il fait tout ce qu’il peut » (Mesdames Tassy, 07 ,3)
La diversité des reliefs, des climats et des mentalités, sur le territoire ardéchois, sans doute aussi l’identité locale très forte ont suscité une revendication collective forte à avoir une maison de retraite au plus près de chez soi. Les maires ont également soutenu ces revendications pour des raisons économiques. La lutte contre l’exode rural passant en partie par le maintien d’emplois au pays, les maisons de retraite, tout comme les hôpitaux locaux d’ailleurs, ont été « utilisées » comme supports d’emplois. La mobilisation des maires reposait donc sur un double motif : offrir aux anciens un lieu de vie confortable pour leurs vieux jours mais aussi revitaliser le tissu économique local. Ainsi ces établissements constituent une ressource importante pour l’économie locale et les personnes qui y travaillent sont majoritairement des femmes de la localité ou de la région. Néanmoins le nécessaire recours à des personnels plus qualifiés pour les soins dans le cadre des transformations de ces établissements en EHPAD ne trouve pas toujours de solution localement et il est alors difficile de recruter des infirmières venues d’ailleurs et prêtes à s’implanter dans ces territoires isolés et relativement fermés, dans lesquels le logement de nouveaux arrivants se pose comme problème.