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Inflexions des pratiques et aménagement du mode de vie paysan 

Dans le document Vieillir en milieu rural (Page 168-170)

Perceptions spécifiques et enjeux du vieillissement en milieu rural isolé

IV.2.  Prendre sa retraite en milieu rural : ruptures et continuités des parcours de vie

IV.2.1.2.  Inflexions des pratiques et aménagement du mode de vie paysan 

 

Pourtant,  alors  même  qu’ils  n’en  sont  guère  conscients,  ou  du  moins  qu’ils  le  mettent  peu  en  avant  dans  leurs  discours,  la  retraite  change  les  choses  pour  les  agriculteurs.  C’est  plus  évident  pour  les  agriculteurs  exploitants  qui  n’ont  pas  d’enfants  pour  reprendre la propriété. « J’avais droit qu’à 50 ares que j’avais le droit de garder, pour la  préretraite….que j’ai eu en 2001, la retraite je l’ai eu en 2003, j’avais tout vendu avant de  me  faire  opérer…  Cela  n’a  pas  été  rien  à  faire,  fallait  trouver  les  gars  pour  reprendre,  fallait que ça passe en commission… […] Et puis j’ai des poules, mais plus de vache, j’ai  pas le droit… » (Monsieur Touvier, 23, 2). Et même pour ceux qui soulignent la continuité  de  leur  existence,  la  retraite  a  un  effet  fort :  elle  permet  de  réintroduire  du  choix  personnel  dans  une  vie  marquée  par  la  dépendance  (au  patron,  pour  les  fermiers,  aux  autres agriculteurs pour les propriétaires, aux banques, aux cours des productions, aux  aléas climatiques et à l’incertitude du métier pour tous). Ainsi, c’est la force de travail, la  santé,  constituées  comme  éminemment  personnelles,  qui  déterminent  la  poursuite  ou  l’arrêt  de  certaines  activités.  Certaines  constantes  se  font  jour :  tous  maintiennent  du  « jardinage »,  c’est‐à‐dire  la  culture,  sur  une  surface  restreinte  par  rapport  aux  terres  agricoles  qu’ils  ont  exploité,  des  légumes  pour  l’auto‐consommation  et  la  production  familiale61. L’usage même du terme de jardinage, alors que les surfaces cultivées sont le  plus  souvent  énoncées  en  ares,  est  spécifique  des  anciens  agriculteurs,  et  traduit  la  réduction en volume des activités. Les animaux sont également conservés, à la mesure  de l’attention qu’ils réclament et des forces des retraités. Monsieur Labiole et Madame  Henry  avaient  ainsi  conservé  deux  vaches,  au  début  de  leur  retraite.  « Petit  à  petit,  on  a…laissé tomber, quand même, du travail.[…] J’ai arrêté les vaches, donc j’ai fait les cochons une  paire  d’années,  mais  puis…on  en  avait  pas  beaucoup.  [Donc  après  vous  avez  laissé  tomber  les  cochons ; et qu’est‐ce que vous avez laissé tomber, encore ? rire] [L : Et les lapins, parce que …on  avait plus le temps] Les lapins. On avait beaucoup de lapins, et je les tuais, et on venait me les  prendre, les acheter, je les vendais. [L : et puis, la maximatose (sic) s’y est mis, et puis…] C’est  pas  cette  maladie,  c’est  une  autre  maladie !  Une  autre  maladie.  C’est  pas  la  maximatose.  Une  autre maladie qui s’y est mise que… ils allaient bien, et puis tout d’un coup ils tombaient comme  ça. Alors on a abandonné. Alors ça faisait trop de travail. [L : On a vendu les cages, même. Alors  comme ça]. Oui, on a vendu les cages. On a gardé les poules. [Et donc là, vous avez plus que les  poules.  Ca vous  fait  des  bons œufs].  Eh  ben  ça  fait  des  œufs,  et  puis  on  en  mange  de  temps en  temps. [L : Et puis ça tient compagnie !] Et ça tient compagnie ! Le matin, je vais donner à mes  poules,  là,  dans  la  journée,  je  lève  les  œufs,  et  puis  je  vais  leur  donner,  et…  voilà ».  Le  chien  continue à aider, pour la chasse et la garde des quelques moutons ou chèvres qui restent, 

même  s’il  constitue  plus  une  compagnie  qu’un  auxiliaire  intensément  sollicité.  Sauf  difficultés  physiques,  la  continuité  avec  la  vie  antérieure  se  marque  aussi  dans  les  « coups  de  main »,  aux  enfants,  à  des  amis  ou  à  des  voisins62.  « Faire  son  bois »,  le  couper, le charrier, le ranger, est enfin une activité que citent très souvent les hommes,  dans  la  continuité  des  travaux  physiques  de  l’exploitation.  C’est  alors  bien  par  ces  travaux,  par  leur  réaménagement  ou  leur  impossibilité,  progressive  ou  brutale,  que  se  mesure la vieillesse, plus que par la durée de retraite. Et la retraite peut alors être vécue  comme un « soulagement », un « repos bien mérité », pour ceux qui étaient en peine à la  fin de leur vie active. Monsieur Duron, tout en rappelant que la retraite n’a rien changé  pour lui, l’évoque bien : « Ça a pas changé beaucoup… pour moi, ça a été si vous voulez une  sorte  de  soulagement,  soulagement  physique  et  moral.  Pourquoi  physique,  parce  que  j’étais  handicapé,  et  que  j’avais  de  la  misère  à  assumer…  moral  parce  que  je  travaillais  l’été  avec  d’autres personnes, le travail en commun, et ceux‐ci, surtout les 2 dernières années j’avais perdu  un  petit  peu  d’activité,  mais  je  me  suis  toujours  débrouillé  à  pas  trop  handicaper  qui  que  ce  soit… ».  

Si  la  retraite  desserre  certaines  contraintes  en  réduisant  le  volume  des  activités63,  elle  autorise  également  un  accès  à  de  nouveaux  loisirs,  que  le  travail  intensif  sur  l’exploitation et l’absence d’organisations spécifiques ne permettaient guère auparavant.  L’accès  à  de  nouveaux  loisirs  est  ainsi  mentionné  par  45  %  des  anciens  agriculteurs  enquêtés  par  questionnaire.  Dans  la  même  proportion  (5  sur  11)  les  agriculteurs  de  Creuse  et  d’Ardèche  évoquent  les  réunions  au  club  du  3ème  âge  ou  les  voyages  organisés, d’un ou plusieurs jours, qu’ils ont effectués avec le club ou grâce à leur caisse  de retraite. « Cette année, une journée à Toulouse avec Groupama, l’an dernier 2 jours à Millau  avec le club du 3ème âge de Crozant, en septembre, il y a une voyage organisé à Andorre, 3 jours,  mais je ne sais pas si je pourrai y aller, ma sœur se fait opérer » (Monsieur Touvier, 23, 2). « On  allait  longtemps  au  club  de  Montpezat  on  allait  aux  voyages,  aux  repas,  j’avais  la  voiture »  (Monsieur Jean Lassagne, 07, 1). Le fait d’être en couple, ou de vivre avec un frère ou une  sœur,  joue  favorablement  sur  la  capacité  à  s’ouvrir  à  ces  nouveaux  loisirs.  Les  vieux  célibataires semblent en effet plus casaniers, moins enclins à s’ouvrir à l’inconnu64. Ces  voyages  se  déroulent  principalement  en  France,  et  constituent  souvent  les  premières  vacances  prises  par  ces  enquêtés  si  on  exclut  le  temps  de  l’enfance,  où  les  vacances  étaient  réglées  par  l’école.  De  ce  point  de  vue,  il  y  a  un  début  d’alignement  des 

61 Les enfants et petits-enfants sont également les destinataires des produits cultivés.

62 24 % de l’échantillon des anciens exploitants agricoles mentionnent de tels coups de main, et 30, 2 % l’aide à la

famille.

63 De ce point de vue, les autochtones non agriculteurs qui ne sont jamais partis ne présentent pas de différence forte.

Ainsi, les sœurs Tassy, mercières, tiennent toujours leur commerce, même si elles ont réduit les heures d’ouverture, et si elles n’hésitent pas à partir en voyage, à la journée.

64 A ce propos, un article un peu ancien déjà d’A. Guillou sur « Les vacances des agriculteurs » (1990) montrait bien

agriculteurs sur le reste d’une société65 où la « révolution du temps libre » identifiée par  J.  Dumazedier  (1988)  ou  encore  J.  Viard  (2002)  a  fait  des  vacances  une  scansion  incontournable  de  la  vie  professionnelle.  Leur  retraite  s’apparenterait  ainsi  à  celle  des  autres  retraités  français,  pour  qui  elle  constitue,  dans  ses  débuts  au  moins,  un  temps  privilégié  pour  les  voyages  (Chauvel,  1998 ;  Rochefort,  2000 ;  Caradec,  2007).  Même  si  cette  consommation  de  loisirs  à  destination  des  personnes  âgées  n’est  guère  intensive,  elle  marque  tout  de  même  une  différence  avec  la  vieillesse  des  parents  de  ces  anciens  agriculteurs.  

 

IV.2.1.3.  Un  mode  de  vie  inchangé  dans  un  pays  en  transformation 

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