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Des représentations de la vieillesse bipolaires

Dans le document Vieillir en milieu rural (Page 61-65)

ARDECHE Sexe Age Situation 

I.1.  Deux territoires ruraux, appartenant au rural isolé, restant très marqués par l’activité agricole

I.2.2.  Des représentations de la vieillesse bipolaires

(éléments  recueillis  sur  le  seul  territoire  ardéchois  par  le  truchement  d’une  autre  recherche en cours sur le même territoire). 

Les représentations de la vieillesse que nous avons pu découvrir auprès des maires, des  élus locaux mais aussi des acteurs professionnels ou associatifs s’organisent de manière  bi‐polaires, tout comme les représentations du monde rural qui ont prévalu, comme le  soulignent  certains  auteurs  ruralistes,  dans  la  littérature :  à  savoir  tantôt  des  représentations  positives  alimentées  par  une  vision  nostalgique  et  idéalisée  d’une  civilisation qui se meurt ou au contraire des représentations péjoratives liées à un regard  acéré sur le monde paysan condamné à sa disparition du fait de son immobilisme et de  son  inadaptation  au  progrès.  Ainsi,  les  personnes  vieillissantes  sont  tantôt  perçues  comme  des  arriérés,  « ploucs »  ou  autres  qualificatifs  du  même  ordre  ou  à  l’opposé  comme des héros d’un temps révolu qui portait en lui toutes les promesses d’un monde  heureux et sain.  

Deux  courants  de  représentations  s’expriment  donc  chez  les  élus  et  les  professionnels  que nous avons rencontrés. Il est difficile de mettre au jour ce qui fonde les différences  de ces représentations : en effet, l’un ou l’autre type est porté aussi bien par des élus que  par  des  professionnels  et  sur  telle  ou  telle  partie  du  territoire.  L’un  des  éléments  explicatifs semble donc plutôt être la trajectoire individuelle des personnes, leur vision  du monde et de leur propre vie, qui s’expriment plutôt que leur appartenance à tel ou  tel parti ou à telle ou telle profession.  38

 

Il s’agit d’un système d’accueil de personnes âgées dans une maison « familiale » dans laquelle des accueillants vivant avec les personnes âgées leur  assurent le confort et l’aide quotidienne ainsi que les soins nécessaires.   Villa Family en difficulté. ʺLa Montagneʺ, 20 novembre 2006 (Corrèze) et 26 janvier 2007 (Limousin)... et la réponse de M. Loubens. Quand la villa  family prend l’eau   

I.2.2.1.  Des  représentations  de  la  vieillesse  péjoratives  chez  les  acteurs  locaux tournés vers l’avenir et le progrès…    Du côté de certains acteurs locaux tournés vers l’avenir et le progrès, les retraités de ces  mondes ruraux, sont perçus comme des subsistances d’un autre temps, vestiges destinés  à disparaître prochainement avec le renouveau des générations, incarnés en des modes  de vie et des valeurs obsolètes qui ne trouvent pas d’écho dans le monde moderne : « Ici  c’est  un  pays  froid :  les  gens  vivent  à  l’intérieur,  il  est  difficile  de  faire  sortir  les  gens,  ils  sont  accrochés à ce qu’ils ont, il est difficile de leur faire accepter qu’on va être obligé de couper l’arbre  qu’ils ont toujours vu devant chez eux, ils n’ont pas une vision de la vie dans les années à venir,  il ne faut rien bouger… » (Maire de ST Cirgues et conseiller général) 

Les  retraités  sont  alors  pointés  comme  conservateurs,  obstacles  au  développement  des  territoires, accrochés aux subsistances d’un ordre ancien perçu comme mortifère et sans  avenir :  « Ceux  qui  sont  malgré  tout  restés  sont  les  plus  âgés  et  ceux  qui  avaient  le  moins  d’esprit d’initiative d’où l’immobilisme de la commune  et qui avaient une vue de l’esprit étroite  et sectaire ». (Maire de St Cirgues et conseiller général) 

Ce sont des représentations péjoratives de ces vieillesses là qui s’expriment alors et les  politiques  envisagées  semblent  vouloir  faire  l’impasse  sur  cette  population  pour  se  tourner  délibérément  vers  des  populations  espérées  et  à  venir :  «   Mais  ces  générations  vont bientôt disparaître, les suivants seront mieux adaptés au progrès et à la modernité ». C’est  l’esprit d’initiative et une conception très libérale qui semble fonder ces représentations  très  péjoratives  des  personnes  retraitées  aujourd’hui  présentes  sur  le  territoire :  « On  aurait  pu  avoir  une  grosse  entreprise  de  salaison  ici  avec  50  employés  mais  ils  n’ont  pas  eu  le  courage  de  se  lancer.  Certains  ont  choisi  d’être  fonctionnaires.  Ils  débutent  leur  carrière  avec  1000€ par mois et ils la finiront avec 1500. Ils n’ont pas d’ambition, ils ont perdu la valeur de  l’argent… ». (maire de St Cirgues et conseiller général) 

On voit bien ici le lien qui est fait entre le vieillissement et l’absence d’esprit d’initiative.  Néanmoins,  ce  qui  est  plus  encore  conspué  à  travers  ces  propos,  c’est  un  mode  de  pensée et de vie, propre non seulement aux plus anciens mais surtout aux représentants  d’une  civilisation  paysanne,  fondée  sur  une  vie  dure  et  d’auto‐subsistance.  On  peut  repérer  également  chez  certains  professionnels  des  jugements  négatifs  et  caricaturaux  des  modes  de  vie  de  ces  personnes  qu’elles  accompagnent.  Les  Infirmières  libérales  s’appesantissent  lourdement  sur  l’absence  d’hygiène,  le  caractère  fruste  des  personnes  retraitées  du  milieu  et  même  s’il  est  vrai  que  certaines  personnes  correspondent  à  ce  portrait, elles ne constituent pas la majorité des retraités du territoire. Il s’agit donc bien  de représentations qui s’expriment ici et qui frôlent parfois les stéréotypes disqualifiants. 

On peut donc imaginer que l’implantation de nouveaux retraités, issus d’autres milieux  sociaux  pourrait  être  accueillie  favorablement.  Cependant,  à  travers  l’expression  de  certains  élus,  il  est  possible  également  d’entrevoir  ce  que  leurs  représentations  des  personnes  vieillissantes  doivent  à  leur  propre  conception  de  l’existence : « On  a  une  chance ici, l’hôpital n’est pas à proximité, on peut mourir d’un coup en bonne santé sans risquer  de passer encore des années sur un matelas à bulles, comme un légume. » (Maire de St Cirgues et  conseiller général.) 

A  travers  ces  propos,  ce  qui  est  ici  dévoilé  est  une  conception  idéalisée  de  la  « bonne  mort » (Ariès, 1977) qui consiste à mourir debout et une peur extrême de la dépendance.  Or quelqu’un qui ne peut donner sens pour lui‐même à ce que serait une tranche de vie  affectée d’incapacités et ancrée dans de fortes relations de dépendance, ne peut non plus  en concevoir le sens pour ses administrés. 

A travers ces représentations très péjoratives, il est possible de voir émerger tout à la fois  une  vision  de  ce  qu’est  et  ce  que  doit  être  aujourd’hui  la  vie  –  y  compris  pour  ces  territoires ruraux ‐ : initiative, progrès, développement économique, ouverture… et une  stigmatisation  des  retraités  comme  étant  ceux  qui  opposent  des  freins  au  développement  des  territoires.  Ainsi  un  autre  élu  municipal  déclare‐t‐il  sans  ambages : « Depuis  que  je  suis  maire,  j’ai  réussi  à  pousser  dehors  les  plus  anciens  conseillers.  Mon  conseil  est  jeune :  les  plus  jeune  conseiller  a  35  ans  et  le  plus  vieux  a  65  ans.»(Maire  de  Montpezat sous Bauzon) L’âge n’est donc en aucune façon un atout et le vieux ne se pare  plus  des  attributs  de  la  sagesse  et  de  l’expérience.  Au  contraire,  il  apparaît  essentiellement  comme  le  tenant  d’un  ordre  ancien,  qui  n’a  plus  de  raison  d’être  et  sa  place dans les instances locales décisionnelles lui est fortement contestée.  

 

I.2.2.2. La légitimité certaine des vieux    

Cependant  ces  représentations  plutôt  disqualifiantes  de  l’âge  et  des  personnes  âgés  ne  sont pas unanimement partagé sur l’ensemble des deux territoires creusois et ardéchois.  On  peut  souligner  que  les  personnes  de  plus  de  75  ans  sont  très  présentes  dans  les  conseils municipaux creusois et que sans doute en raison du déficit de population jeune  et  de  l’absence  de  renouvellement  de  la  population  locale,  leur  investissement  semble  toujours bienvenu.  

De même sur une partie du territoire ardéchois, d’autres considérations de la vieillesse  se  développent  qui  valorisent  non  pas  l’âge  en  tant  que  tel  mais  l’ancienneté  de  la  présence sur le territoire et la connaissance de l’histoire locale. 

Les vieux sont alors perçus comme des représentants sensibles et pertinents d’un monde  ancien  que  l’on  souhaite  défendre  et  s’expriment  alors  des  attentes  de  politiques  qui  prendraient  en  compte  la  richesse  de  ces  parcours  de  vie  présentés  souvent  comme  exemplaires.  Les  termes  utilisés  pour  parler  des  personnes  vieillissantes  en  sont  un  témoignage.  Il  est  question  ici  de  « nos  anciens »,  du  père  X…  : « Vous  savez,  ils  ont  été  solides…et  ils  ont  travaillé  pour  le  pays ».  (Maire  du  Roux  et  président  communauté  de  communes). Chacun est identifié dans sa trajectoire singulière et ce qui prime ici c’est une  considération sans faille pour le « courage » avec lequel ces personnes ont fait face aux  aléas de leur vie difficile : « ils sont toujours restés là, ils n’ont pas eu la vie belle, moi ce qui  m’intéresse c’est de voir ce que je peux faire pour les aider à rester chez eux tant qu’ils veulent ».  (Maire du Roux et président communauté de communes).  Ces représentations semblent aussi articulées sur des valeurs morales fortes : le courage,  l’austérité,  la  solidarité,  le  sens  de  la  famille.  Elles  s’appuient  sur  une  connaissance  personnelle des retraités de la commune. Chacun peut être nommé immédiatement par  son nom. L’histoire de la famille est également connue et valorisée. Ces représentations  positives trouvent leur traduction dans l’initiative d’une commune qui a consisté à faire  un  recueil  écrit  de  l’histoire  de  chacune  des  maisons  des  différents  hameaux  de  la  commune  et  des  différentes  générations  d’habitants  qui  s’y  sont  succédés.  En  introduction,  le  maire  précise  l’état  d’esprit  qui  préside  à  cette  initiative :  « Je  dédie  ces  quelques  pages  de  souvenirs  aux  personnes  qui  ont  vécu,  entretenu  et  tracé  l’histoire  de  nos  villages qui composent la commune du Roux. A la vitesse où le temps défile, il faut savoir faire  une pause afin de se retourner et se souvenir. » 

Mais  globalement,  ces  représentations,  qu’elles  soient  péjoratives  ou  valorisantes,  n’intègrent pas ou que très peu la diversité des profils de retraités nouvellement arrivés  ou de retour au pays et restent tributaires d’images anciennes. Les considérations sur ce  monde  paysan  en  voie  d’extinction  mais  dont  les  traces  physiques  restent  visibles  viennent  sans  doute  influencer  les  représentations  de  la  vieillesse  –une  partie  non  négligeable  des  vieilles  personnes  habitant  ces  territoires  étant  d’anciens  exploitants  agricoles‐.  

Par  ailleurs  le  caractère  bi‐polaire  de  ces  représentations  ne  semble  pas  être  construit  spécifiquement  autour  de  la  mise  en  opposition  « dépendance/flamboyance »  telle  qu’elle  a  pu  être  repérée  d’une  manière  générale  sur  le  plan  du  discours  politique  (Ennuyer,  1991) mais  être  fortement  articulé  au  regard  porté  sur  la  campagne  et  ses  mutations  nécessaires  ou  craintes.  Le  rapport  au  territoire,  à  son  histoire,  à  ce  qui  constitue l’archétype de la paysannerie semble émerger comme un facteur discriminant  de ces représentations des vieux en ce milieu rural isolé.  

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