ARDECHE Sexe Age Situation
I.1. Deux territoires ruraux, appartenant au rural isolé, restant très marqués par l’activité agricole
I.2.2. Des représentations de la vieillesse bipolaires
(éléments recueillis sur le seul territoire ardéchois par le truchement d’une autre recherche en cours sur le même territoire).
Les représentations de la vieillesse que nous avons pu découvrir auprès des maires, des élus locaux mais aussi des acteurs professionnels ou associatifs s’organisent de manière bi‐polaires, tout comme les représentations du monde rural qui ont prévalu, comme le soulignent certains auteurs ruralistes, dans la littérature : à savoir tantôt des représentations positives alimentées par une vision nostalgique et idéalisée d’une civilisation qui se meurt ou au contraire des représentations péjoratives liées à un regard acéré sur le monde paysan condamné à sa disparition du fait de son immobilisme et de son inadaptation au progrès. Ainsi, les personnes vieillissantes sont tantôt perçues comme des arriérés, « ploucs » ou autres qualificatifs du même ordre ou à l’opposé comme des héros d’un temps révolu qui portait en lui toutes les promesses d’un monde heureux et sain.
Deux courants de représentations s’expriment donc chez les élus et les professionnels que nous avons rencontrés. Il est difficile de mettre au jour ce qui fonde les différences de ces représentations : en effet, l’un ou l’autre type est porté aussi bien par des élus que par des professionnels et sur telle ou telle partie du territoire. L’un des éléments explicatifs semble donc plutôt être la trajectoire individuelle des personnes, leur vision du monde et de leur propre vie, qui s’expriment plutôt que leur appartenance à tel ou tel parti ou à telle ou telle profession. 38
Il s’agit d’un système d’accueil de personnes âgées dans une maison « familiale » dans laquelle des accueillants vivant avec les personnes âgées leur assurent le confort et l’aide quotidienne ainsi que les soins nécessaires. Villa Family en difficulté. ʺLa Montagneʺ, 20 novembre 2006 (Corrèze) et 26 janvier 2007 (Limousin)... et la réponse de M. Loubens. Quand la villa family prend l’eau
I.2.2.1. Des représentations de la vieillesse péjoratives chez les acteurs locaux tournés vers l’avenir et le progrès… Du côté de certains acteurs locaux tournés vers l’avenir et le progrès, les retraités de ces mondes ruraux, sont perçus comme des subsistances d’un autre temps, vestiges destinés à disparaître prochainement avec le renouveau des générations, incarnés en des modes de vie et des valeurs obsolètes qui ne trouvent pas d’écho dans le monde moderne : « Ici c’est un pays froid : les gens vivent à l’intérieur, il est difficile de faire sortir les gens, ils sont accrochés à ce qu’ils ont, il est difficile de leur faire accepter qu’on va être obligé de couper l’arbre qu’ils ont toujours vu devant chez eux, ils n’ont pas une vision de la vie dans les années à venir, il ne faut rien bouger… » (Maire de ST Cirgues et conseiller général)
Les retraités sont alors pointés comme conservateurs, obstacles au développement des territoires, accrochés aux subsistances d’un ordre ancien perçu comme mortifère et sans avenir : « Ceux qui sont malgré tout restés sont les plus âgés et ceux qui avaient le moins d’esprit d’initiative d’où l’immobilisme de la commune et qui avaient une vue de l’esprit étroite et sectaire ». (Maire de St Cirgues et conseiller général)
Ce sont des représentations péjoratives de ces vieillesses là qui s’expriment alors et les politiques envisagées semblent vouloir faire l’impasse sur cette population pour se tourner délibérément vers des populations espérées et à venir : « Mais ces générations vont bientôt disparaître, les suivants seront mieux adaptés au progrès et à la modernité ». C’est l’esprit d’initiative et une conception très libérale qui semble fonder ces représentations très péjoratives des personnes retraitées aujourd’hui présentes sur le territoire : « On aurait pu avoir une grosse entreprise de salaison ici avec 50 employés mais ils n’ont pas eu le courage de se lancer. Certains ont choisi d’être fonctionnaires. Ils débutent leur carrière avec 1000€ par mois et ils la finiront avec 1500. Ils n’ont pas d’ambition, ils ont perdu la valeur de l’argent… ». (maire de St Cirgues et conseiller général)
On voit bien ici le lien qui est fait entre le vieillissement et l’absence d’esprit d’initiative. Néanmoins, ce qui est plus encore conspué à travers ces propos, c’est un mode de pensée et de vie, propre non seulement aux plus anciens mais surtout aux représentants d’une civilisation paysanne, fondée sur une vie dure et d’auto‐subsistance. On peut repérer également chez certains professionnels des jugements négatifs et caricaturaux des modes de vie de ces personnes qu’elles accompagnent. Les Infirmières libérales s’appesantissent lourdement sur l’absence d’hygiène, le caractère fruste des personnes retraitées du milieu et même s’il est vrai que certaines personnes correspondent à ce portrait, elles ne constituent pas la majorité des retraités du territoire. Il s’agit donc bien de représentations qui s’expriment ici et qui frôlent parfois les stéréotypes disqualifiants.
On peut donc imaginer que l’implantation de nouveaux retraités, issus d’autres milieux sociaux pourrait être accueillie favorablement. Cependant, à travers l’expression de certains élus, il est possible également d’entrevoir ce que leurs représentations des personnes vieillissantes doivent à leur propre conception de l’existence : « On a une chance ici, l’hôpital n’est pas à proximité, on peut mourir d’un coup en bonne santé sans risquer de passer encore des années sur un matelas à bulles, comme un légume. » (Maire de St Cirgues et conseiller général.)
A travers ces propos, ce qui est ici dévoilé est une conception idéalisée de la « bonne mort » (Ariès, 1977) qui consiste à mourir debout et une peur extrême de la dépendance. Or quelqu’un qui ne peut donner sens pour lui‐même à ce que serait une tranche de vie affectée d’incapacités et ancrée dans de fortes relations de dépendance, ne peut non plus en concevoir le sens pour ses administrés.
A travers ces représentations très péjoratives, il est possible de voir émerger tout à la fois une vision de ce qu’est et ce que doit être aujourd’hui la vie – y compris pour ces territoires ruraux ‐ : initiative, progrès, développement économique, ouverture… et une stigmatisation des retraités comme étant ceux qui opposent des freins au développement des territoires. Ainsi un autre élu municipal déclare‐t‐il sans ambages : « Depuis que je suis maire, j’ai réussi à pousser dehors les plus anciens conseillers. Mon conseil est jeune : les plus jeune conseiller a 35 ans et le plus vieux a 65 ans.»(Maire de Montpezat sous Bauzon) L’âge n’est donc en aucune façon un atout et le vieux ne se pare plus des attributs de la sagesse et de l’expérience. Au contraire, il apparaît essentiellement comme le tenant d’un ordre ancien, qui n’a plus de raison d’être et sa place dans les instances locales décisionnelles lui est fortement contestée.
I.2.2.2. La légitimité certaine des vieux
Cependant ces représentations plutôt disqualifiantes de l’âge et des personnes âgés ne sont pas unanimement partagé sur l’ensemble des deux territoires creusois et ardéchois. On peut souligner que les personnes de plus de 75 ans sont très présentes dans les conseils municipaux creusois et que sans doute en raison du déficit de population jeune et de l’absence de renouvellement de la population locale, leur investissement semble toujours bienvenu.
De même sur une partie du territoire ardéchois, d’autres considérations de la vieillesse se développent qui valorisent non pas l’âge en tant que tel mais l’ancienneté de la présence sur le territoire et la connaissance de l’histoire locale.
Les vieux sont alors perçus comme des représentants sensibles et pertinents d’un monde ancien que l’on souhaite défendre et s’expriment alors des attentes de politiques qui prendraient en compte la richesse de ces parcours de vie présentés souvent comme exemplaires. Les termes utilisés pour parler des personnes vieillissantes en sont un témoignage. Il est question ici de « nos anciens », du père X… : « Vous savez, ils ont été solides…et ils ont travaillé pour le pays ». (Maire du Roux et président communauté de communes). Chacun est identifié dans sa trajectoire singulière et ce qui prime ici c’est une considération sans faille pour le « courage » avec lequel ces personnes ont fait face aux aléas de leur vie difficile : « ils sont toujours restés là, ils n’ont pas eu la vie belle, moi ce qui m’intéresse c’est de voir ce que je peux faire pour les aider à rester chez eux tant qu’ils veulent ». (Maire du Roux et président communauté de communes). Ces représentations semblent aussi articulées sur des valeurs morales fortes : le courage, l’austérité, la solidarité, le sens de la famille. Elles s’appuient sur une connaissance personnelle des retraités de la commune. Chacun peut être nommé immédiatement par son nom. L’histoire de la famille est également connue et valorisée. Ces représentations positives trouvent leur traduction dans l’initiative d’une commune qui a consisté à faire un recueil écrit de l’histoire de chacune des maisons des différents hameaux de la commune et des différentes générations d’habitants qui s’y sont succédés. En introduction, le maire précise l’état d’esprit qui préside à cette initiative : « Je dédie ces quelques pages de souvenirs aux personnes qui ont vécu, entretenu et tracé l’histoire de nos villages qui composent la commune du Roux. A la vitesse où le temps défile, il faut savoir faire une pause afin de se retourner et se souvenir. »
Mais globalement, ces représentations, qu’elles soient péjoratives ou valorisantes, n’intègrent pas ou que très peu la diversité des profils de retraités nouvellement arrivés ou de retour au pays et restent tributaires d’images anciennes. Les considérations sur ce monde paysan en voie d’extinction mais dont les traces physiques restent visibles viennent sans doute influencer les représentations de la vieillesse –une partie non négligeable des vieilles personnes habitant ces territoires étant d’anciens exploitants agricoles‐.
Par ailleurs le caractère bi‐polaire de ces représentations ne semble pas être construit spécifiquement autour de la mise en opposition « dépendance/flamboyance » telle qu’elle a pu être repérée d’une manière générale sur le plan du discours politique (Ennuyer, 1991) mais être fortement articulé au regard porté sur la campagne et ses mutations nécessaires ou craintes. Le rapport au territoire, à son histoire, à ce qui constitue l’archétype de la paysannerie semble émerger comme un facteur discriminant de ces représentations des vieux en ce milieu rural isolé.