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V Premières hypothèses théorico-cliniques

Dans le document L'Université, une épreuve de séparation (Page 59-62)

Développer une écoute clinique à propos des problématiques étudiantes, consisterait à analyser le positionnement psychique de l'étudiant vis-à-vis de l'objet de Connaissance. Le rapport à cet objet qui consiste en l’exploration et l’acquisition d’un corpus issu de l’alma

mater viendrait réactiver des fantasmes infantiles de la relation objectale. Ainsi, du rapport à

la Connaissance Universitaire, naîtrait une remise en scène fantasmatique du rapport pulsionnel au corps de la mère. C’est donc un ensemble de pulsions exprimées par l’enfant vis-à-vis du corps maternel, qui par la capacité de les contenir, de les accepter et de les détoxiquer, prédéterminerait les modalités ultérieures d’investissements de la Connaissance de la part du sujet. Ce scénario serait rejoué à l’occasion de l’entrée à l’Université, par la nécessité d’investissement d’un corpus théorique.

La capacité de penser par soi-même, de créer de nouveaux objets de Connaissance, suppose un détachement de l'objet avec la possibilité de créer en soi une aire de pare-excitation où se joueraient et se régleraient de manière fantasmatique, des scènes post-œdipiennes, voire archaïques pré-œdipiennes. Cette aire permettrait au sujet de ne pas se laisser déborder par l'infantile, tout en développant un sentiment de continuité narcissique, voire de sens à sa vie par des rapports d’identification. Il apparaît que le rapport au groupe ou aux enseignants en classe préparatoire faciliterait la mise en place de cette aire de pare-excitation par une aide au contenant ou au déplacement, sur les encadrants adultes, des imagos parentales. La dimension sexuelle est donc présente dans le rapport à la Connaissance. Les désirs infantiles liés à cette dimension devant être sublimés, les conflits apaisés sous forme de latence post- pubertaire devant permettre l’investissement et la création de nouveaux objets du temps universitaire.

Par le passage à l’Université, synonyme de passage à l’âge adulte, le monde extérieur devient plus présent et le sujet est appelé à se soumettre sur un plan psychique au principe de réalité. Selon la théorie freudienne, le principe de réalité est lié, entre autres, à l’amour de l’objet total et au détachement psychique des parents (Freud, 1911). Effectivement, le jeune adulte est appelé à s’auto-conserver sur un plan matériel, mais surtout à gérer seul ses mouvements psychiques, sans s’appuyer sur les autres, et notamment ses parents, de qui il doit effectuer une séparation déjà entamée à l’adolescence.

Les obligations inhérentes au travail universitaire, au-delà de l’organisation personnelle et de la gestion de son temps, font appel à de nouvelles façons de raisonner et de penser. Celles-ci passent par un travail d’élaboration de l’expérience de perte et de séparation, elle-même différée en classe préparatoire. La passion de penser deviendrait alors, comme l’écrit de Mijolla-Mellor (1998, p. 53), « projet de reconquête d’une certitude, d’un objet susceptible de faire cesser la tension, provoquée par le besoin insatisfaitxliii ».

La conquête de l’Universel à travers la Connaissance Universitaire, passerait par la conquête de son identité, la découverte de sa singularité qui demeure irrémédiablement liée à l’Autre. Le jeune adulte étudiant serait amené à vivre un véritable cheminement, avec une place à trouver vis-à-vis d’un autre dans un ensemble qui le dépasse : « A l’altérité qui naît dans un premier temps par des processus d’identification s’oppose une deuxième dimension de l’altérité, une altérité qui ne se résorbe pas, un Autre qui n’est pas semblable écrit avec un A majuscule pour le distinguer du partenaire imaginaire, du petit autrexliv ». Cette définition du grand Autre résume à elle seule tout objet de recherche universitaire et moteur du désir. Cet objet du désir, teinté spéculairement de la dimension maternelle n’est pas sans risque fantasmé lors de sa rencontre, d’autant plus s’il y a absence de tiers. Nous l’avons vu, le travail de création, d'élaboration réflexive, s'élaborerait à partir d'un principe Féminin et un repositionnement psychique vis-à-vis de l'objet. Le travail sur la Connaissance Universitaire, représentante symbolique du corps de la mère, passe par la recherche du phallus paternel, objet du désir de la mère, lequel doit se donner à voir en arrière plan de l’objet maternel. Nous sommes donc ici introduits à la question de l’altérité et à l’orientation du désir vers un tiers, que doit encourager l’objet maternel, faute d’un enfermement fusionnel entre sujet et objet. L’Université serait le temps de la rencontre avec cet autre social dans une perspective de rencontre de l’Autre en soi. Il offrirait ce temps d’affermissement de la personnalité, de la découverte de la singularité du sujet et de sa capacité d’être en lien.

Perte et séparation seraient deux expériences majeures que vivraient les étudiants lors de leur entrée à l’Université. Il leur est donc imposé un appel à des ressources psychiques identificatoires afin de maintenir leur intégrité psychique et leur capacité à entrer en relation. L’expérience universitaire offrirait donc un possible axe de verticalité psychique, à l’image d’un tuteur psychique. Cet axe serait marqué du sceau d’un « trait unaire », incarnation du signifiant phallique et vecteur de différenciation et de séparation ultérieure possible.

xliii de Mijolla-Mellor S., 1998, p. 53.

Si cette expérience semble représenter une épreuve sociale de séparation dans un premier temps, en tant qu’espace-temps intermédiaire entre la vie chez les parents et la vie active, elle serait aussi une épreuve psychique de séparation et de perte. Epreuve de séparation, car ce passage met à l’épreuve le sujet dans sa capacité de penser par lui-même liée à l’estime qu’il se porte. Cette disposition aurait pour corollaire la création d’une aire interne de pare- excitation, espace de gestion des mouvements pulsionnels, qui témoignerait aussi de « la capacité d’être seul » au sens de Winnicott (1958), dans une capacité de présence à soi-même via un objet interne.

Nous définirons ainsi dans les parties suivantes un cadre théorique au sein duquel nous avons travaillé la notion de séparation. Nous verrons combien, au cœur de ces expériences liées au vécu de la perte, peuvent se vivre des angoisses liées à la honte et à la solitude. Nous resituerons ces deux affects en particulier, dans une perspective de maturation psychique et d’affirmation de la personnalité du jeune adulte étudiant, vivant un « grand saut qualitatif » (Danon-Boileau, 1971) : le temps de la post-adolescence.

Deuxième partie Séparation, honte

Dans le document L'Université, une épreuve de séparation (Page 59-62)