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4 2 Traumatisme de la perte et problématiques narcissiques

Dans le document L'Université, une épreuve de séparation (Page 151-157)

La tentative de suicide comme symptôme d’un impossible lien avec les objets internes

IV. 4 2 Traumatisme de la perte et problématiques narcissiques

Face au risque de la perte de l’objet, les mécanismes de défense (déni et clivage en particulier) peuvent s’installer dans une tentative de maintien de l’intégrité du Moi. L’identité du sujet portera des cicatrices dont la guérison s’organisera autour d’une pathologie du Soi, dans l’acception de Kohutcxxx (1971). Ce Soi, en tant que « contenu de l’appareil mental », est une structure psychique investie d’énergie instinctuelle mais n’en est pas une instance. Les déficiences de ces patients tiennent au fait qu’ils sont demeurés fixés à des configurations archaïques du soi grandiose et/ou à des objets archaïques, surestimés et narcissiquement investis. Ces configurations archaïques n’étant pas intégrées au reste de la personnalité, en ayant laissé place à des configurations œdipiennes, la personnalité adulte se trouve appauvrie. Elle est ainsi privée des énergies investies dans ces structures anciennes et /ou soumise à leurs exigences archaïques.

Le processus de post-adolescence, lorsqu’il est entravé, vient révéler des problématiques narcissiques de type limite (Cf. cas de Christophecxxxi) L’évitement des désirs objectaux afin de ne pas menacer l’équilibre narcissique entraîne une forme d’immobilisme de la vie psychique avec impossibilité d’envisager la perte de l’objet associée à une difficulté d’investissement de nouveaux objets affectifs ou sociaux. Le Moi est en proie à des objets archaïques, intrusifs persécuteurs ou abandonniques.

La menace de l’intrusion serait à relier à la fonction d’intrusion (Faimberg, 1987) caractéristique de la régulation narcissique d’objet qui expulse en l’enfant tout ce qu’il rejette de lui et développe ainsi une forme d’aliénation de la relation.

L’angoisse d’abandon se traduit par une menace d’intégrité du Moi qui, du fait de sa partie clivée identifiée à l’objet, appréhende la séparation, voire la perte et la castration associée. Objet et sujet se maintiendraient mutuellement dans une position réciproque de toute puissance présentant un risque mélancolique pour lutter contre la honte, en position de miroir où la proposition d’un : « c’est toi » de la mère en direction de l’enfant qui donnera un : « c’est moi » authentifié par cette dernière, s’inverse.

cxxx Kohut H., 1971, p. 7.

L’introjection profonde des objets parentaux, caractéristique de la post-adolescence, appelle à une séparation de ces objets qui amène le sujet à une position dépressive. Cette position est difficile à tenir pour les sujets présentant des problématiques narcissiques. Elle marquerait la capacité de séparation et d’individuation, qui ne peuvent se réaliser sans qu’ait eu lieu auparavant intériorisation et identification à un objet interne, entier, étayant, gage de sécurité et d’amour malgré l’agressivité du sujet auquel il aura été soumis.

Le travail psychique de la post-adolescence vient confirmer l’élaboration de cette phase dépressive par une reconquête de son agressivité par le sujet dans une évolution libidinale ou Eros et Thanatos peuvent désormais co-exister en paix. L’énergie libidinale peut alors investir et créer de nouveaux objets extérieurs de jouissance possible.

V Hypothèses

Ce ne serait pas l’Université qui serait à mettre en cause dans la souffrance étudiante, celle-ci ne serait que le terrain d’expression de cette souffrance relative à des problématiques psychiques bien spécifiques à la post-adolescence. Le processus psychique de la post- adolescence, caractérisé par un travail d’affermissement de la mise à distance des objets parentaux sous forme « d’introjection profonde » (Guillaumin, 2000) et de repositionnement vis-à-vis de ces derniers, vient convoquer la génitalité du sujet, cette génitalité supposant une capacité de différenciation sexuée dans une perspective relationnelle.

L’entrée à l’Université serait pour nous comparable à une véritable épreuve initiatique, par la capacité pour le sujet à « retravailler l’Œdipe, et donc également le meurtre et la mort dans son rapport à la castration » (Alléon et Morvan, 1990), dans une perspective de construction identitaire d’un adulte en devenir. La variabilité des possibles au niveau de l’orientation, des choix de vie personnels, des engagements relationnels, serait un élément déclenchant en terme d’économie pulsionnelle, conduisant à un remaniement par un travail du psychisme autour des images parentales. Cette initiation viendrait prendre la forme d’une expérience d’affiliation à un corps social étudiant par le vécu de séparations et l’acceptation de la castration. L’Université, par les séparations qu’elle impose, viendrait réveiller les angoisses inhérentes à la séparation de l’objet. Cette angoisse serait ainsi potentialisée par le processus de post-adolescence impliquant un détachement stable et définitif des figures parentales. Ce détachement présenterait ce que nous qualifions de risque mélancolique. Il s’agirait pour le jeune adulte de maintenir en soi l’objet (ou partie), sous forme d’introjection de l’objet perdu dans une partie clivée du Moi. Ce risque serait d’autant plus amplifié que sujet et objet se maintiendraient dans une forme d’aliénation narcissique réciproque, afin de lutter contre l’épreuve de la séparation. « Introjection d’objets parentaux désormais morts-vivants » (Guillaumin, 2000, p.390) et risque mélancolique pour le sujet iraient ainsi de pair.

Le temps universitaire serait celui d’une révélation et d’un dépassement psychique possible des blessures narcissiques liées aux vécus antérieurs de séparation. Les observations de symptômes à allure psychotique viendraient signifier une période de fragilité particulière. Cette vulnérabilité se traduit dans les faits, par des mouvements de décompensation plus nombreux que dans la population générale (Paysant, 1995 ; Vauthier, 1998). Elle serait

significative du travail d’élaboration et de consolidation du psychisme dans des retrouvailles avec des imagos archaïques, intrusives, possessives ou abandonniques, auxquelles devront se substituer des imagos œdipiennes.

L’entrée à l’Université, décrite comme « une expérience traumatisante » par les sociologues Lapeyronie et Marie (1992) recouvre une réalité psychique que la sociologie ne peut appréhender. Ce qui, autour de vécus de séparations antérieures, telles que des impressions ou des traces mnésiques, n’a pu être intégré dans un contexte significatif, reviendrait au devant de la scène psychique dans un mouvement « d’après-coup » (Freud, 1895). Le présent du traumatisme, ce n’est pas tant le passé de l’événement, mais le souvenir de ce passé et les représentations inconscientes qui y sont associées. Ces représentations concernent en particulier la mort et la sexualité, intimement liées, et difficilement gérables pour la conscience. Le souvenir et ces représentations finissent par hanter le sujet si elles n’ont pu être médiatisées et métabolisées par la parole ; cet insupportable du traumatisme aura été effacé dans une mesure d’urgence, sous forme de déni, sans disparaître réellement, avec un risque d’immobilisme libidinal. La notion de traumatisme apparaît ici comme un réelcxxxii de solitude difficilement supportable pour le Moi.

La séparation du corps de la mère et les phases successives de l’élaboration de la subjectivité du nourrisson et de l’enfant, seraient ainsi retraversées fantasmatiquement à l’occasion de cette rencontre avec l’Université en tant qu’alma mater. Cette rencontre, dans une perspective du devenir adulte, impliquerait de retraverser les deux niveaux d’angoisse que sont l’angoisse de séparation et de castration en se confrontant à la réalité du monde social étudiant.

Ces angoisses conduiraient à un vécu prégnant de la solitude, telle une solitude de l’angoisse, devant notamment l’angoisse de mort. La capacité de vivre cette angoisse est signe de maturité, car au-delà d’une forme d’angoisse de castration, elle inscrit dans le psychisme du sujet la mort possible, psychique et biologique, des parents et aussi du sujet lui-même. Elle permet d’une part, l’inscription du sujet dans la génération et dans son environnement en tant que principe de réalité et signe, d’autre part, un temps d’affermissement dans la croissance de la sexualité. Nous qualifierions ce temps de sexualité sociale, défini par une génitalité affirmée, voire affinée, dans une relation possible d’altérité où les désirs réciproques se rencontrent, s’élaborent, en investissant le champ de la réalité sociale.

cxxxii Le terme de « réel » est ici à prendre dans son acception lacanienne en tant qu’impossible. « défini comme l’impossible, il est ce qui ne peut-être complètement symbolisé dans la parole ou l’écriture » ., in Chemmama, op. cit., p. 360.

L’accession à ce temps qui nécessite un détachement des figures parentales, implique un travail de déconstruction-reconstruction des identifications du sujet, dans un premier temps au niveau narcissique, puis au niveau œdipien. La névrose d’échec vient ainsi signer la difficulté de ce réaménagement entre sujet et objet dans une épreuve de séparation.

C’est dans cet espace de travail psychique que surgirait de manière privilégiée le sentiment indicible de la honte. Le travail psychique « d’introjection profonde » dû au détachement des figures parentales, en menant inexorablement à une rupture des identifications du sujet, le laisse seul face à son désir, d’où le risque de la honte à être et à ressentir. Freud avait situé les origines de la honte dans une dimension liée à la sexualité de l’enfant mais n’avait pas établi un lien clair avec les mécanismes de séparation dans la relation. La séparation serait ainsi potentiellement révélatrice de honte pour le sujet tenté de ne pas se séparer de tout ou partie de l’objet. Nous pourrions ainsi affirmer que la capacité à faire face à la honte nécessiterait le développement d’une capacité à être seul.

Cette séparation nécessaire à la construction identitaire du sujet serait particulièrement révélatrice de honte chez le sujet post-adolescent, pour lequel se pose de manière aiguë la définition de soi, en similitude et en rupture avec l’autre.

L’accès à des objets de Connaissance, par un investissement sublimé, sous l’impulsion de la pulsion épistémophilique, viendrait participer au consentement de la honte par le sujet. Ce travail de déconstruction-reconstruction des identifications serait à mettre en parallèle avec le travail autour de l’objet de Connaissance soumis à la pulsion épistémophilique. Tout se passe comme si travail interne au niveau psychique du jeune adulte étudiant et travail externe au niveau universitaire, étaient soumis au même destin pulsionnel. Il est ainsi intéressant de mettre en évidence ce travail de remaniement pulsionnel, d’en définir les contours. L’Université deviendrait un véritable espace de transition, en terme d’espace potentiel de subjectivation.

La pulsion épistémophilique vectorise l’acquisition d’un savoir sous forme d’un corpus théorique dont l’étudiant doit être en mesure de s’emparer. Ce corps, symboliquement celui de l’alma mater, se verra saisi, mâché, digéré et enfin recraché sous une forme nouvelle, vectorisée cette fois-ci par une puissance phallique appelant à la création et à l’affirmation de soi. Il devrait importer à l’étudiant de pouvoir jouer avec l’objet et même d’en jouir. L’imago paternelle, qui empêcherait un enfermement dans la jouissance, jusqu’à en devenir honteuse, serait aussi celle auprès de et par laquelle, la honte s’assume et se dépasse. Dans sa fonction

de tiers séparateur, le père deviendrait ainsi présent en qualité de figure de solitude par la possibilité qu’il offre au sujet de se rencontrer soi-même et de s’accepter avec sa honte.

Ainsi, ce qui serait au cœur de la ré-élaboration post-adolescence, observé particulièrement en milieu universitaire, demeurerait la question de l’avènement et de l’affirmation du désir dans un rapport à l’autre. Cet avènement et cette élaboration s’appuieraient sur une satisfaction hallucinatoire du désir dans une relation à l’objet, un objet par lequel le sujet a pu être séduit, voire abusé. Ce temps interroge les bases narcissiques du sujet, mais aussi celles de l’objet qui peuvent vaciller et tenter de maintenir ainsi sous forme collusive, voire intrusive, une relation au sujet, empêchant tout détachement inhérent au travail de deuil que doit effectuer le jeune adulte. Nous avons ainsi explicité l’importance du travail psychique autour des imagos archaïques, notamment l’imago maternelle.

L’affirmation d’une sexualité sociale nécessiterait un ré-aménagement des imagos œdipiennes, par un dépassement des angoisses pré-génitales, dans l’élaboration d’un rapport à l’autre social.

Elle impliquerait pour le sujet une re-connaissance et une acceptation de son agressivité, de la dimension agressive de la sexualité jusqu’à pouvoir tuer l’autre. Tel un cheminement initiatique, le post-adolescent est invité à la traversée du Thanatos le menant à Eros. S’agissant de l’enjeu primordial du travail psychique du jeune adulte, l’espace universitaire (physique et psychique) mènerait directement l’étudiant dans un temps particulier de confrontation à cette dimension sous forme initiatique pour le mener à une re-naissance. Dans ces conditions, l’investissement de la Connaissance et la rencontre avec l’autre social, seraient possibles par l’intégration de deux univers en soi, celui de l’enfance et du monde adulte. Le devenir adulte témoignerait d’une capacité dynamique pour le sujet de pouvoir jouir, sans se sentir menacé ou débordé par l’infantile, de la création et/ou de la rencontre avec de nouveaux objets tout en tenant compte de la réalité. Ce rapport à l’autre du social ou de la Connaissance dans une perspective de jouissance possible, s’incarnerait via l’Université et la perspective d’une insertion professionnelle par l’obtention d’un concours

par exemple. Il deviendrait prometteur d’un formidable potentiel de vitalité psychique dans une société en mutation et en perpétuelle construction. Cette vitalité serait à entretenir, à accompagner au niveau universitaire : nous n’en mesurons aujourd’hui malheureusement pas assez, selon nous, les enjeux psychiques et sociétaux.

Troisième partie L’assomption de la

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