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L’activité créatrice, signe de maturation psychique

Dans le document L'Université, une épreuve de séparation (Page 54-59)

III Statut de la Connaissance Universitaire « Oh mes amis !

III. 2 « L’effet de miroir » dans la constitution du narcissisme et le rapport à la Connaissance

III.5 L’activité créatrice, signe de maturation psychique

Si l’activité créatrice s’origine du corps de la mère, dans un rapport fantasmatique à ce dernier, il s’accompagne à l’âge adulte par la capacité de créer ce que Evelyne Kestemberg (1985, p 213) qualifie de pare-excitations. Pour que l’individu puisse créer, et se créer, il doit être capable de créer psychiquement des modalités de pare-excitation définies comme ‘‘la création d’une zone transitionnelle’’. Il s’agit d’une aire dans laquelle le sujet peut lui-même, avec lui-même, créer toute une série de pare-excitations qui permettent de conserver l’unité narcissique et de « supporter que les pulsions existent et que l’on ne peut pas être un homme et une femme à la fois tout en gardant une bisexualité psychiquexxxvi ».

Reprenant Freud, Kestemberg associe le prototype de cette création à la satisfaction hallucinatoire du désir et du plaisir. Cette fantasmatique du désir aurait donc pour fonction, au-delà d’une force vectorielle menant la génitalité à son terme par la rencontre de l’altérité, d’endiguer jusqu’à les apaiser, les conflits pulsionnels par le biais notamment d’une capacité de fonctionnement auto-érotique. Cet auto-érotisme, comme capacité de « réinvestissement intermittent des traces mnésiques de la satisfaction initialexxxvii » lié au développement du Soi, a valeur de pare-excitation vis-à-vis des stimuli externes et internes, des remaniements pulsionnels particulièrement prégnants aux cours des épreuves de séparation. Nous analysons ici combien la capacité de penser de nouveaux objets pour le sujet est liée à une capacité de se reposer sur lui-même via l’auto-érotisme, sans s’enfermer sur lui-même. Cet enfermement peut se traduire par des conduites d’échec, comme une jouissance du symptôme, faute de pouvoir jouir de la Connaissance, alimenté par des conduites addictives, toxicomaniaques, voire suicidaires, à forte connotation érogéino-masochiste avec un soubassement dépressif. Ainsi, utiliser les objets scolaires comme outils de sa pensée et création de soi, revient à renoncer à la maîtrise et au déni de la séparation. La possibilité de « jeu réciproque entre le subjectif et l’objectivement perçu démontre la capacité d’utiliser la réalité externe au service d’une expérience culturelle xxxviii», c’est-à-dire la création de nouveaux objets. Le passage à

xxxvi Kestemberg E., 1985, p. 213.

xxxvii Jeammet P., op. cit., p. 55.

l’âge adulte mènerait « de la création de soi (adolescence) à la création des objetsxxxix » associé à l’intériorisation de l’expérience de la séparation et de la mort.

Cette expérience de création peut placer le jeune adulte devant une crise, devant un « vide intérieur » (Verletxl) pouvant être le révélateur de fragilités psychiques faute d’étayage narcissique. En parlant de ses études à l’Ecole normale, le physicien Jean-Louis Verlet raconte ainsi vingt ans plus tard : « Il m’est venu cette nuit une pensée qui m’a ôté le sommeil.

Cette pensée s’est présentée comme une question : à quoi ai-je dû tourner le dos, qu’ai-je dû désapprendre de ce que j’avais appris à l’Ecole ? Venue avec le jour, la réponse à cette question : être un bon élève. Cette contrainte là - remplir tout manque avec du savoir - m’empêchait de faire face, de façon prolongée, à un certain vide, un vide intérieur, qui peut- être vertigineux mais qui est la condition de toute recherche approfondie. Plus on s’écarte des sentiers battus pour s’aventurer là où les repères font défaut, plus on traverse des moments dont on ne parle plus ensuite où l’on est devant un gouffre sans savoir parfois si l’on ne va pas y être englouti. Et on sait ainsi que c’est en faisant avec ce vide que quelque chose parvient à se créer ». Ce vide est ce qui apparaît au-delà du corps de l’objet, c’est-à-

dire une fois l’objet détruit sous la force de la pulsion épistémophilique. Ce vide fertile, peut s’avérer angoissant, voire traumatisant en écho au vide intra psychique du sujet non habité par des objets séparés, différenciés et rassurants. Le rapport à la Connaissance, au-delà du rapport au savoir tel qu’évoqué par Verlet, implique un détachement de l’objet se trouvant en résonance avec les épreuves de séparation vécues à l’Université.

Ce qui caractérise le temps universitaire est le travail de la séparation nécessaire au travail sur la Connaissance. Le but de l’Université des origines est d’être le creuset de l’élaboration du savoir, de la réflexion menant vers la Connaissance. Ce temps répond au mythe fondateur de l’Université par le caractère « sacré » de son espace. Au début du XIIIème siècle les professeurs de l’Université de Paris à peine naissante, se mettent en grève parce que les soldats du gué sont venus faire justice auprès d’étudiants éméchés qui avaient violenté à mort d’honnêtes bourgeois ! Cette intrusion de la police rompait l’ancienne promesse de Philippe Auguste qui avait accordé la franchise à l’Université. L’histoire de l’Université est donc marquée dans ses premiers temps par la mise à mort de figures parentales.

Ce mythe de la séparation et de la mise à mort est encore d’actualité et apparaît plutôt vécu aujourd’hui comme une fatalité, au lieu d’un processus actif dont le sujet pourrait s’emparer.

xxxix Gutton Ph., 2000b, p. 439. xl Cité par François-Poncet, C.-M., op. cit.

IV Problématiques

Nous observons que les motifs de consultations aussi bien en Service Universitaire de Médecine Préventive, qu’en centre anti-poison font référence à des problématiques d’ordre relationnel, familial ou amoureux. Ce sont en particulier des étudiants de premier cycle de sexe féminin (dans leur expression) qui sont concernés. Les problématiques des étudiants que nous rencontrons sont plus axées sur un versant narcissique, c’est-à-dire sur des angoisses de séparation qu’il leur faut dépasser pour accéder à des angoisses génitales. Il est à noter, en rapport à la population générale, un taux plus important de pathologies d’allure psychotique. Nous pouvons à juste titre questionner cette différence observée.

Les résultats de l’enquête « Le mal-être étudiant : cause ou conséquence de l’échec à l’Université ? » nous invite à nous interroger sur la nature symbolique du lien à créer entre étudiants et enseignants. Que représente cette « évolution des rapports entre les enseignants et les étudiants » préconisée par l’enquête en tant que clés de leur réussite ? Cette réussite mériterait d’être interrogée ! N’y a t-il pas un risque à persister dans un besoin de

maternage, dans le maintien d’un mode relationnel de proximité limitant le développement de

l’individualité ?

Si la perspective relationnelle et de lien apparaît évidente dans le bien-être du sujet, elle ne doit pas masquer, selon nous, ce qui se joue à un niveau interne et symbolique.

Pour la plupart des étudiants que nous rencontrons en consultation, il y a difficulté, voire impossibilité d’investir la Connaissance Universitaire. Notre impression est qu’ils ne réalisent pas le potentiel d’épanouissement que leur offre l’Université de La Réunion, pourtant de taille moyenne, avec des moyens matériels et une disponibilité certaine des enseignants- chercheurs et de l’encadrement universitaire.

La libido semble employée dans un ailleurs, en autre lieu et place de ce pourquoi le sujet serait inscrit en faculté. A travers les motifs de consultation, nous découvrons que celle-ci est consacrée à un réchauffement œdipien occupant le devant de la scène. Des plaintes apparaissent sur un versant narcissique autour de la confiance en soi, l’estime de soi, la perception de soi-même dans le regard d’autrui, avec un sentiment diffus et difficilement traduisible de honte.

Nous constatons une forme d’immaturité affective en lien avec la gestion des relations familiales et amoureuses. Des situations qualifiées « d’urgence » par les sujets eux-mêmes

sont présentées au service et dans nos consultations. Ces plaintes s’accompagnent d’angoisse qui, par la nature des problématiques observées, s’originerait dans la crainte de la perte de l’objet en liaison avec la constitution narcissique du sujet.

Nous serons donc particulièrement sensible, dans nos exposés cliniques, à l’adresse de la plainte. A l’encontre de qui, est exposée cette plainte ? Quelle forme prend-elle et que vient- elle dire de l’élaboration subjective du sujet ?

Ce travail opérant autour de la séparation, voire du vécu de la perte, serait donc pour l’étudiant une source particulière d’angoisse, de souffrance, de crises, de remaniements psychiques, de mises à jour de problématiques singulières favorisant la mise en place de comportements spécifiques pouvant aller jusqu’au suicide ; le suicide étant caractérisé en dernier ressort par l’absence, la négation du lien à autrui et le vécu d’une solitude insupportable, révélateur d’une impossibilité de nouveaux investissements libidinaux objectaux.

C’est ici, dans une perspective de lien à l’autre dans un nouvel environnement social, que le

devenir adulte interroge. Qu’est-ce qu’être un adulte lorsqu’on a 18 ans et que l’on est

étudiant ? Cet état adulte serait celui d’une maturité acquise et certaine qui, pour Georges Lapassade (1963), ne reste « qu’un masque ». « La méthode et la cure psychanalytique visent au contraire à déraciner cette illusion d’un achèvement que chacun croit constater chez autrui et dont il s’imagine privé. En libérant l’homme de cette illusion, Freud a contribué à détruire le mythe de l’adultexli ».

L’idée d’un inachèvement de l’homme s’appuie sur les théories de Bolk (1926) qui, à partir d’observations anatomiques, émet l’idée que le développement de l’homme connaît un processus de retardement. L’homme serait un néotène ayant conservé la plasticité de la vie embryonnaire et juvénile tout en présentant une certaine fragilité. Appliquée à la psychanalyse, la névrose se traduit comme une fixation à l’enfance, telle une « affection psychogène où les symptômes sont l’expression symbolique d’un conflit psychique trouvant ses racines dans l’histoire infantile du sujetxlii». Ainsi sommes-nous particulièrement attentif

aux figures de l’infantile convoquées ou réveillées par le passage à l’Université.

Si l’homme doit apprendre à vivre son inachèvement, selon Lapassade, que se passe t-il alors pendant la traversée psychique qui mène de l’enfance, puis de l’adolescence, à l’age adulte ?

xli Lapassade G., 1963, préface à la seconde édition. xlii Laplanche, J. Pontalis, J.-B., p.267.

D’emblée, nous pouvons situer deux niveaux d’analyse qu’il nous faudra appréhender tout en privilégiant le second :

- Premièrement, celui du social, auquel le concept d’adulte lié à l’idée d’un achèvement de la croissance prend du sens par rapport à celui d’enfant et d’adolescent.

- Deuxièmement celui de l’inconscient, auquel la distinction entre adulte et enfant et/ou adolescent n’a plus vraiment de sens, à l’exemple du Ça freudien qui n’est pas dans le temps.

Dans le document L'Université, une épreuve de séparation (Page 54-59)