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Exister en dehors du modèle familial

Dans le document L'Université, une épreuve de séparation (Page 107-109)

IV Le concept de post-adolescence au regard de l’expérience universitaire

IV.1 Post-adolescence et entrée en vie universitaire

IV.1.1 Exister en dehors du modèle familial

En juin 2001 a eu lieu la conférence de la famille à Matignon. En marge de cette manifestation, un « appel pour un sommet de l’autonomie de la jeunesse » sur l’initiative du syndicat Unef-ID a été lancé : « Le jeune ne peut rester dans une situation de dépendance vis- à-vis de la famille ou risquer d’entrer dans la précarité. Aujourd’hui c’est toute une partie de la population à qui on ne reconnaît aucun statut lxxxi ».

Etre reconnu socialement par l’intermédiaire d’un statut et d’un rôle assure le Moi de l’efficacité de son travail. Cette reconnaissance passe par des étapes, à l’exemple des rituels religieux et communautaires. Les rites d’initiation, marquant le changement de statut social avec une coupure du monde de l’enfance et une insertion dans le monde des adultes, sont moins présents, ou n’ont plus une valeur forte d’inscription de l’individu dans une société. Les contours de cette coupure sont de plus en plus flous. Ces rites qui symbolisent des transitions importantes ont pour fonction de donner un sens et un ordonnancement au monde. Le jeune adulte se retrouverait aujourd’hui face à ses questions sans autre médiateur que lui- même.

« On trouve une situation très nouvelle représentée par ce changement social où nos adolescents restent à la fois dans la dépendance financière et souvent affective de leurs parents beaucoup plus longtemps et ont en même temps des modèles qu’ils ont à construire et qui ressemblent assez peu aux modèles que leur fournissent leurs parentslxxxii ».

Aussi, à partir de quelles identifications l’étudiant peut-il se construire ? Ces identifications qui ont eu lieu pendant l’enfance et dont l’adolescent a commencé à se débarrasser en renonçant aux images infantiles parentales, doivent être intériorisées pour servir de modèle

lxxix Dans l’acception de E.Kestemberg.

lxxx Resituée dans une perspective de prévention en santé publique, cette notion témoignerait de la santé du sujet comme une aptitude, une capacité de la personne à prendre soin d’elle-même, de manière adéquate.

lxxxi In Le Quotidien de La Réunion et de l’Océan Indien, 12 juin 2001. lxxxii Jeammet P., juin 1998, p. 12.

relationnel et de construction de soi. Cependant, l’ « obsolescence lxxxiii» (Gutton, 1991) de ces modèles serait moins, selon nous, le résultat d’une situation conjoncturelle, qu’un élément d’un changement profond des relations entre les générations. Ainsi sommes nous particulièrement attentif à la façon pour le jeune adulte, de s’approprier cette « obsolescence ».

La reproduction du modèle évite de se poser la question du sens de son action… lorsqu’il n’est plus question de reproduction mais de gestion psychique de l’obsolescence et de création dans un univers de possibles grandissants, l’angoisse liée à la séparation surgit.

Cette gestion associée à un travail de remaniement pulsionnel source d’angoisse, peut provoquer des perturbations dans l’interrelation et dans l’action manifestée par une perte de contact avec l’environnement social, un désengagement de la vie universitaire, une difficulté à faire des choix, comme nous le constatons chez Bernard.

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Bernard est un jeune homme d’une vingtaine d’années inscrit en licence à l’Université de La Réunion après avoir obtenu un DEUG en métropole. Sa mère est femme au foyer et son père est fonctionnaire. Bernard est rentré à la Réunion pour son père, « par attachement à la

famille » car il est « l’aîné de son père ».

Son père « s’inquiète » pour lui et souhaite que son fils passe un concours de fonctionnaire afin qu’il puisse s’installer à La Réunion et fonder une famille.

Ce ne sont pas là les aspirations de son fils : « si c’est pour entrer dans le moule, non ! ». Bernard aspire à travailler à l’étranger, et en même temps il a envie de continuer une formation à La Réunion pour « rester auprès des siens ».

Cependant, le contexte familial est « un contexte dont j’aimerais prendre du recul pour

savoir où je suis. Je suis en recherche de mon identité » me dira t-il.

Le départ de la famille, pour le jeune adulte, est bien souvent difficile pour des raisons financières. Le temps de ses études s’allonge, entre autres, afin d’augmenter ses chances de trouver un travail. Au-delà de déterminismes sociaux, à l’image de Bernard, de nombreux étudiants souhaitent quitter ce milieu familial tout en ayant des difficultés à faire le pas comme le décrit Anatrella (1988) :

lxxxiii Ph. Gutton (1991, p.259) décrit le processus d’obsolescence comme « un processus de désincarnation ou de décorporéité des scènes pubertaires ». Il rappelle qu’il s’agit d’une obsolescence interactive concernant parents et adolescents « L’entré en génitalité de l’enfant devrait entraîner de façon mythique la sortie du parent, sa mort incestueuse ».

« En même temps la famille demeure un lieu de référence affectif qui donne un sentiment de continuité avec soi-même. La maîtrise du monde extérieur s’éloignant de plus en plus des capacités individuelles de chacun, un sentiment d’impuissance apparaît provoquant une désertion du champ social ».

Le milieu familial devient plus refuge que support d’identification pour l’investissement extérieur. Le syndrome du vendredi soir après les cours en est caractéristique. Ici, l’étudiant de DEUG, en particulier, rentrera chez ses parents le plus tôt possible en fin de semaine et cherchera à revenir sur son lieu d’étude le plus tard possible le lundi matin. « Le sentiment d’impuissance (de castration) à faire face au monde extérieur accentue la privatisation de l’existence en valorisant la vie familiale et les relations dites de couple sous toutes leurs formes » (Anatrella, 1988).

Les relations de couples qui se mettent en place de manière différente de ce qu’elles pouvaient être au lycée (partage de lieu de vie, début de vie sexuelle régulière) sont aussi des moyens de protection par leur caractère fusionnel, la rupture sentimentale prenant alors des proportions dramatiques jusqu’à la tentative de suicide.

Cette difficulté pour l’étudiant de s’appuyer sur le modèle parental associé à une recherche de

famille refuge et le mode de vie qui en découle, sont autant de facteurs prompts à fragiliser le

travail psychique de la post-adolescence. Ce temps, qui interroge les bases narcissiques du sujet, en appelle à ses ressources identificatoires (alors que se vivent concomitamment des ruptures d’identification au niveau du Moi) et doit le mener à trouver à l’extérieur de nouveaux ressorts identificatoires. L’extérieur ne lui en fournissant pas de satisfaisants ou d’accessibles, le sujet se trouve dans une situation paradoxale d’attrait (rassurant) – mise à distance (nécessaire) des imagos parentales.

Le travail d’intégration pulsionnelle qui s’opère devient dépendant d’une mise à bonne

distance des imagos, ni trop proche par risque d’envahissement, ni trop loin par risque

d’abandon. Cette intégration ouvre sur un processus de deuil de ces imagos.

Dans le document L'Université, une épreuve de séparation (Page 107-109)