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L’apport de Mélanie Klein sur l’angoisse de séparation

Dans le document L'Université, une épreuve de séparation (Page 76-80)

Métapsychologie de la solitude

I.2. L’apport de Mélanie Klein sur l’angoisse de séparation

Afin de poursuivre nos recherches théoriques sur l’angoisse de séparation et la perte d’objet, nous nous sommes intéressé aux concepts de Mélanie Klein. Ils tiennent effectivement une grande place dans sa théorie et sa pratique. Par son expérience d’analyse auprès de très jeunes enfants, elle attribua au deuil un rôle central dans la psychopathologie, mais aussi dans le développement normal.

Au début de la vie, il n’y aurait pas d’indifférenciation Moi-objet comme pour Freud (narcissisme primaire), car selon Klein, la perception du Moi et celle de l’objet existerait dès la naissance. L’angoisse serait une réponse directe au travail interne de la pulsion de mort. Cette angoisse prend deux formes, selon elle : une angoisse persécutrice qui appartient à la position schizo-paranoïde, et une angoisse dépressive qui appartient à la position dépressive, en référence aux conceptions de relations d’objets précoces développées par elle. Hélène Segal (1979, p 126) précise ainsi que l’angoisse fondamentale postulée par Freud concernant la perte d’objet pouvait être vécue soit sur un mode paranoïaque (l'objet devient méchant et attaque), soit sur un mode dépressif (l'objet reste bon et il y a angoisse de perdre le bon objet plutôt qu'angoisse d'être attaqué par le mauvais objet). La combinaison des deux modes étant aussi possible.

I.2.1 Angoisse paranoïde et dépressive

La première angoisse chez l’enfant est la peur d’être anéanti par la pulsion de mort, à rapprocher de la théorie freudienne (1926) où la première situation de danger pour le Moi est d’être submergé par une excitation excessive et non maîtrisable. Cette pulsion devant être projetée à l’extérieur, à partir de cette projection primordiale se forme alors le fantasme du mauvais objet qui menace le Moi du dehors. Corrélativement, s’établissent des mécanismes d’identification projective et introjective et, par le jeu des projections et introjections, l’objet persécuteur peut devenir menaçant à l’intérieur, à côté d’un objet protecteur introjecté. Nous observons ici une analogie avec les mécanismes d’identification d’une partie clivée du Moi à l’objet, décrit par Freud (1917), devant la menace de la perte de l’objet.

Dans la position schizo-paranoïde, l'angoisse vient de la peur que le Moi et l'objet idéalisé ne soient détruits par l’objet persécuteur. Pour se protéger de cette angoisse, le Moi utilise des mécanismes schizoïdes tels que le renforcement du clivage entre l'objet idéalisé et le mauvais objet, ainsi que l'idéalisation excessive et le déni utilisé comme défenses contre les peurs de persécutions.

Dans la position dépressive, l’angoisse surgit de l’ambivalence, le nourrisson ayant peur que sa haine ne détruise l’objet idéalisé dont il dépend entièrement. Il découvre sa dépendance par rapport à l’objet qu’il perçoit comme autonome et capable de s’en aller. Il a ainsi besoin de posséder l’objet, de le conserver au-dedans de lui et de le protéger contre sa propre destructivité. Cette position commencerait au moment du stade oral de développement, stade pour lequel « aimer, c’est dévorer ».

A cette phase, il peut se souvenir de l’amour pour le bon objet et le conserver lorsqu’il le hait. La mère est aimée et le nourrisson peut s’identifier à elle. Sa perte est alors cruellement ressentie. Si la mère ne réapparaît pas ou si son amour fait défaut, l’enfant peut se trouver à la merci de ses peurs dépressives et persécutrices. Pour Klein (1935, p.313) « en franchissant cette étape, le Moi atteint une nouvelle position qui donne son assise à la situation que l’on appelle perte de l’objet. En effet, la perte de l’objet ne peut-être ressentie comme une perte totale avant que celui-ci ne soit aimé comme un objet total ».

Les processus de deuil liés à la position dépressive sont influencés par les expériences positives faites avec les objets réels, de manière que l'enfant puisse surmonter ses angoisses et vérifier que ses fantasmes de destruction ne se sont pas réalisés. Klein montrera combien les

désirs et fantasmes de restauration permettent de constituer un bon objet en interne, condition d’une séparation efficiente, où objet et sujet se vivent et se perçoivent de manière totale, à distance respectable. L’élaboration de cette position dépressive vise à établir à l’intérieur du Moi un objet interne total suffisamment stable.

I.2.2 Les mécanismes de défense conceptualisés par Mélanie

Klein

Face à la crainte de la séparation et de la perte d’objet, Klein (1935) décrit une défense qu’elle désigne comme ‘‘défense maniaque’’. Cette dernière vise à nier la réalité psychique de la douleur dépressive. Ce type de défense se mettrait en place à partir de la phase dépressive. A ce moment, l’objet est contrôlé de manière toute-puissante, sur un mode triomphant et méprisant, de façon que la perte d’objet n’entraîne ni souffrance ni culpabilité.

L’identification projective constitue une défense primitive pour Klein (1946), faisant partie du développement émotionnel du nourrisson. Pour elle, il s’agit d’un fantasme omnipotent à travers lequel le nourrisson se décharge de certaines parties indésirables (ou parfois désirables) de sa personnalité et de son monde interne en les projetant dans l’objet externe. Dans leur définition Laplanche et Pontalis (1967, p. 192) insistent sur le fait que le sujet « introduit sa propre personne en totalité ou en partie à l’intérieur de l’objet pour lui nuire, le posséder, le contrôler ». Cette notion de contrôle est un point commun à la défense maniaque (1935) et reste à souligner en référence à ce que nous analysons en clinique à travers la tentative de maîtrise de l’objet devant l’angoisse de séparation.

La mère en tant qu’objet externe doit être capable de recevoir les angoisses et les émotions du

bébé tout en les détoxiquant afin de les rendre plus tolérables pour ce dernier. Cette capacité d’accueillir les identifications projectives, Bion (1962), continuateur des travaux de Klein, l’a nommée « capacité de rêverie ». Par cette fonction, les « éléments bêta » qui représentent l’ensemble de ce qui est expulsé par l’identification projective, sont transformés en « éléments alpha » servant à former les impressions de la veille, les souvenirs, les pensées. Pour Bion la transformation de bêta en alpha caractérise ainsi la capacité pour l’enfant de ré-introjecter son angoisse devenue supportable. Cette fonction est aussi la source de l’activité réflexive car « l’activité de pensée dépend de l’introjection réussie du bon sein, qui est, à l’origine, responsable de la performance et de la fonction alpha » (Bion 1962, p. 37).

Il s’agit pour l’infans, grâce à la ré-introjection de quelques éléments de la capacité de rêverie maternelle appliquée aux éléments projetés en elle par lui, d’établir à l’intérieur de lui- même « sa propre capacité d’identification projective normale, donc les débuts de sa propre fonction alpha » ( Bégoin-Guignard, 1990 p. 130). Elle constituera le contenant de ses propres expériences émotionnelles à venir, la ‘‘membrane de contact’’ (Bion) entre sa propre vie psychique et la vie psychique d’autrui.

La capacité de rêverie de la mère serait donc à la base des capacités de pensée, de symbolisation et de communication inter-humaine du sujet. En tant que contenant des expériences émotionnelles ré-introjectées, elle permet aussi la création d’une aire psychique d’étayage interne, ce que Alléon et Morvan (1990), qualifient de « néo-étayage » pour le jeune adulte.

A travers les différentes théorisations abordées, nous constatons que la relation d’objet est au cœur de l’épreuve de séparation. Cette épreuve ne peut être dépassée que par l’intériorisation d’un bon objet en soi, support d’un auto-étayage à venir. Auparavant l’objet aura été agressé, voire détruit fantasmatiquement, avant de pouvoir être intériorisé comme objet vivant et support d’identification. L’intérêt pour nous des travaux de Klein et de ses continuateurs, porte sur l’importance de l’agressivité dans la relation d’objet. Celle-ci tient ainsi une place importante dans notre clinique. Toute épreuve de séparation viendrait donc réactiver cette relation objectale, où les motions pulsionnelles internes du sujet pourraient lui faire revivre une éventuelle défaillance de l’objet source d’angoisse. Que cela soit par l’abandon, voire l’absence ou une trop grande présence, ou encore l’envahissement de l’objet, ces angoisses se réfèrent à des stades narcissiques du développement infantile. Ces références aux stades précoces de développement, par les mécanismes régressifs et les problématiques narcissiques observées en consultation, présentent pour nous un intérêt majeur dans nos analyses de cas, en référence par ailleurs à ce que nous avons rapporté des études antérieures sur les étudiants. Enfin, de manière conceptuelle, les théorisations freudiennes et kleiniennes sur l’angoisse de séparation dans la relation objectale, nous introduisent, sans que cela soit dit, à l’origine et à l’importance des affects de honte dans les processus de séparation et de maturation psychique. C’est ce que nous développerons dans le chapitre suivant.

II La question de la honte en psychanalyse

Dans le document L'Université, une épreuve de séparation (Page 76-80)