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Les études supérieures : un temps de réaménagement pulsionnel

Dans le document L'Université, une épreuve de séparation (Page 36-40)

sociologiques, psychopathologiques et psychanalytiques sur le monde étudiant

II.2 Les études supérieures : un temps de réaménagement pulsionnel

Le problème de l’adaptation de l’étudiant est un phénomène continu. Ces difficultés d’adaptations peuvent être vécues avec une intensité différente en fonction de chacun. S’il n’y a pas de « fossé » entre ceux considérés en situation de « mal-être » et les autres étudiants, il convient de déterminer les facteurs psychologiques prédisposant l’étudiant, jeune adulte, à vivre une souffrance aiguë. Selon les statistiques, cette souffrance s’exprimera plus facilement sur un versant psychotique, ce qui laisse entrevoir des mécanismes de remaniement spécifiques à l’œuvre, tels que le travail du psychisme autour d’imagos archaïques. Wittenberg (1968), dans son article ‘‘Postadolescence’’ spécifie ainsi comme une des principales caractéristiques métapsychologiques du post-adolescent, des « états momentanés de dépersonnalisation avec perte d’identité xiii».

Le degré de souffrance peut varier en fonction des situations. Il n’en demeure pas moins que le passage à l’Université, par les différents changements qu’il impose d’un point de vue intra- psychique et inter-relationnel, amène l’étudiant à une confrontation à la réalité.

Cette logique de la castration devant le principe de réalité est difficilement acceptée, ou gérée à l’Université par la coexistence d’une grande liberté dont les étudiants ne savent que faire : «

Ce moment où je suis entrée à la fac, c’était l’indépendance… c’est la liberté totale et j’en profite pas. […] il faut que j’essaie de bosser et de m’en sortir » relate une étudiante à propos

de sa première année de faculté. Cette liberté acquise du fait de la séparation familiale les confronte simultanément au vide.

« Elle a été longtemps (l’Université) l’aspiration légitime du lycéen. Malheureusement sitôt le pas franchi, la différence de cadre, les méthodes, la liberté laissée pour organiser son travail n’étaient pas toujours vécues et utilisées de façon constructive et les craquages en première année s’y observaient avec une très grande fréquence, chaque changement qualitatif entraînant le déséquilibre chez les sujets ‘‘pathologiques’’ en puissancexiv ».

xiii “ Brief states of depersonalisation, in which the person experiences a loss of sense of identity. The young adult may fell temporally disembodied, isolated, estranged. ” in Bocknek G. 1980, p. 87.

Au titre d’une liberté et d’une responsabilité revendiquées, l’Université de La Réunion a connu une période où, en faculté de Droit (1988), par le jeu des votes étudiants en conseil, la présence aux travaux dirigés n’était plus obligatoire. Deux années après, cette mesure a été remise en cause par les étudiants eux-mêmes qui réclamaient un minimum d’obligations ! Cette liberté apparente, en particulier la liberté de réalisation génitale extra-parentale, peut provoquer un accès fantasmatique à l’omnipotence, forme de retour à la toute puissance archaïque de l’enfant. Se profile ici, le retour au devant de la scène universitaire, d’éprouvés archaïques liés à la constitution narcissique de l’enfant (Delage, 1977, p.753).

En reprenant l’analyse de Coulon sur le problème du passage dans la vie universitaire, nous avons associé les termes employés par ce dernier au processus pubertaire (Gutton, 2000a) tel qu’il le définit, comme une « métamorphose » caractérisant une « nouvelle géographie des éprouvés et des potentialités, une fragilité subjectale ». Le « temps de l’étrangeté » n’est pas sans rappeler l’attitude du jeune adolescent devant un corps physique changeant, lui devenant étranger, ou des poussées pulsionnelles agissant comme un organisme à la fois inconnu et interne, au pouvoir éventuellement révélateur de traumatismes.

Contrairement à l’Université, les classes préparatoires représentent un moratoire semblant offrir une voie étayante au déroulement du travail du psychisme. L’entrée à l’Université, vécue comme « une expérience

traumatisante » (Lapeyronie et Marie, 1992) par le passage et l’intégration à un nouvel univers, oblige à une confrontation directe aux manifestations pulsionnelles inconscientes dues à ce que Alléon et Morvan, 1990, qualifient « d’œdipe non seulement réchauffé mais nouveau, donc nouvellement aménageable ». L’étudiant de premier cycle se verrait plus difficilement confronté à un travail sur ses ressources internes et externes dans le but de pare- exciter ces aménagements pulsionnels. l’Université ne propose pas, contrairement aux grandes écoles, de fonction contenante et de pare-excitation pulsionnel.

Si « les classes préparatoires sont un endroit où le narcissisme heureux ou malheureux d’un adolescent trouve à se magnifier de façon fortexv », qu’en est-il en milieu Universitaire ? Piera Aulagnier écrivait que tout sujet était d’emblée condamné à investir la mise en sens de lui- même et de la réalité afin qu’ils demeurent support d’investissement, faute de quoi la vie ne pourrait se poursuivre. La classe préparatoire favorise le sujet dans cette mise en sens par un système de reproduction des élites. L’Université confronte le sujet à cette quête de sens. Certes, si on peut incriminer le niveau scolaire ou le manque d’habitus, le passage en

première année est à comparer à un « choc des cultures », culture traditionnelle opposée à culture de la modernitéxvi, admettant que la culture « nourrisse » le psychisme du sujet.

En classes préparatoires, par le travail en petits groupes, il s’agit pour le jeune de s’auto-

expérimenter, via de nouvelles identifications possibles en vue d’une intégration ultérieure

dans une structure sociale. Cela suppose qu’une telle structure sociale existe, mais surtout, cela présume que le sujet se considère comme apte, par l’estime qu’il a de lui-même, à intégrer une telle structure au sein de laquelle on a besoin de lui. Or c’est au moment de ce questionnement soulevé par des choix sociaux importants ou de nouveaux engagements, que les problématiques narcissiques peuvent surgir, notamment au niveau de l’estime de soi et de la honte à être. Si cette expérimentation des rôles peut trouver un terrain d’expression via des relais identificatoires en grande école, il semblerait que cela soit plus difficile à l’Université qualifiée en « état de profonde désorganisation » (Lapeyronnie et Marie, 1992).

De plus, concernant la réussite, les étudiants ont une représentation de celle-ci totalement assimilée à la réussite aux examens. Pour eux, la quantité de travail et la capacité de s’organiser sont des gages de réussite. Un travail régulier et une bonne gestion de son temps sont nécessaires. L’échec est attribué aux même facteurs : ne pas travailler suffisamment, se disperser, être débordé. Echec et réussite ont un point commun, celui d’être fonction de facteurs internes de l’individu. A l’Université, les étudiants fondent leur réussite sur eux- mêmes : ils ne travaillent pas en groupe, il vont rarement consulter un enseignant. On constate une réelle absence d’attentes à l’égard de l’institution et en même temps un rapport à l’échec condamnant l’étudiant à une estime de lui-même dévaluée, voire teintée d’une honte profonde. Qui plus est, à l’île de La Réunion, la représentation de l’Université est fortement investie par les parents comme synonyme de réussite et d’intégration sociale. Un étudiant sur deux est boursier, premier de fratrie à intégrer l’Université ; les parents, pour plus de 50%, n’ont pas fait d’études universitairesxvii. Leurs projets d’études et leurs objectifs de diplôme sont très souvent surévalués par rapport à leurs possibilités individuelles. Cette surestimation est largement alimentée par l’espérance familiale. Pèse ainsi la double pression réalisée en amont par l’attente des familles et en aval par l’insertion professionnelle en période de fort chômage. Cependant cette sur-évaluation fait aussi partie de leur désir d’autonomisation par rapport au milieu familial. Le jeune adulte en quête de son identité, doit opérer des

xviWatin M., « Sociologie des étudiants », séminaire de formation : « l’Université, une école de la vie », Université de La Réunion, Service Commun de Médecine Préventive Universitaire, 08 septembre 2002.

renoncements et des deuils permettant l’autonomisation et la séparation du milieu familial. Les conditions de vie matérielles et psychologiques font que le jeune étudiant peut vivre aisément une adolescence prolongée avec un risque permanent de conduites d’échec s’inscrivant dans une période féconde de remaniements et de conflits psychiques. L’affaiblissement de la fonction d’intégration de l’Université décrite par certains auteurs en serait peut-être la conséquence. C’est ainsi que l’expérience étudiante semble avoir de moins en moins de sens véritable et que le statut étudiant ne fait plus sens, s’étant dépouillé de son contenu personnel : « l’étudiant agit alternativement en tant qu’étudiant et en tant que moi, mais jamais lui-même en tant qu’étudiantxviii ». Cette expérience conduit à une dissociation, sans capacité de lien entre l’être social et la personne, dissociation pouvant se vivre comme un écho d’une fragilité interne due aux réaménagements psychiques en cours.

xviii Lapeyronnie D., Marie J-L., 1992, p. 94.

II.3 Le temps universitaire : moment privilégié

Dans le document L'Université, une épreuve de séparation (Page 36-40)